Furtivement peut-être. Mais vous êtes déjà passés devant la vitrine de ce magasin sans vraiment comprendre ce qu'il se passait à l'intérieur.
Installé depuis un an rue des Lombards dans le centre-ville d'Amiens, le Games workshop a l'air d'un magasin comme les autres. De loin, il se fond facilement dans la foule de bars, restaurants, snacks et magasins de vêtements qui peuple les rez-de-chaussées du centre-ville d'Amiens. Pourtant le «centre hobby Games workshop» - c'est ainsi que cette entreprise anglaise appelle ses points de ventes – n'est pas un commerce comme les autres.
Rue des Lombards à Amiens.
«J'aimerais bien faire quelque chose comme du marbre ou du jade», déclare Pierre, dix-huit ans. Assis près de la vitrine, il choisit les couleurs qu'arborera une figurine de sa nouvelle armée de comtes vampires. «Je veux lui donner un côté hyper kitsch années 80 à la Evil dead».
Autour de Pierre, une petite dizaine de garçons dont les âges varient du collège à l'université discutent sans discontinuer. Soirées, musique, jeux, films. Tout y passe. «L'acteur Sean Bean, tu connais pas?» Clément, le vendeur, détaille: «Boromir dans le Seigneur des anneaux, Ned Stark dans Game of throne. Il a jamais de chance. Je crois même qu'il meurt dans GoldenEye.» L'ambiance est conviviale.
Pierre, au premier plan.
Dans la Somme, le magasin de la rue des Lombards est un rendez-vous incontournable pour les fans des jeux de stratégie édités par la société Games workshop. En Picardie, c'est d'ailleurs l'unique point de vente de cette société anglaise. Née en 1975 à Londres, Games workshop, littéralement l'atelier de jeux, se revendique aujourd'hui comme le premier «concepteur, fabricant et distributeur de jeux de stratégie avec figurine» au monde. Des magasins comme celui d'Amiens, il en existerait près de 400, essentiellement en Amérique du nord et en Europe.
«Le plaisir, c'est d'avoir un jouet que l'on a fait soi-même»
La société connaît son premier succès en 1983 avec le jeu Warhammer fantasy battle, plus communément appelé Warhammer. Les concepteurs ont eu la brillante idée de plonger les traditionnels petits soldats de plomb dans la littérature heroic-fantasy anglo-saxonne. Les armées napoléonienne ou britannique se sont alors métamorphosées en une foule de créatures très bigarrées. Elfes, nains, orques, gobelins ou même vampires.
La société édite aujourd'hui deux autres jeux de figurines, Warhammer 40000, une variation futuriste du premier jeu, et Lord of the rings strategy battle game, directement inspiré de l'univers de l'écrivain anglais J.R.R Tolkien. À chaque fois, le principe est le même. Les joueurs achètent des figurines pour constituer une armée qu'ils customisent à leur goût, et affrontent d'autres joueurs sur une table de jeu (voir une partie ici).
Certains comme Pierre sont plus intéressés par la peinture que le jeu lui-même. «Je joue très rarement», avoue ce jeune homme, pull jaune, nœud papillon bordeaux et bague tête de mort. Accro à l'univers du Seigneur des anneaux depuis la sortie du premier opus de l'adaptation cinématographique en 2004, il avait un peu oublié ses figurines avant d'arriver à Amiens, en septembre pour les études. «Il n'y avait pas de magasin là j'habitais [à Senlis, dans l'Oise, ndlr]. C'était difficile, je n'avais personne pour me conseiller. C'est plus sympa de peindre avec des gens que tout seul.».
Aujourd'hui il est entouré d'une petite communauté de joueurs qui fréquente le magasin assidûment. Chaque mercredi, lui passe quelques heures à peindre dans l'atelier prévu à cet effet dans le magasin. D'autres comme Quentin passent presque tous les jours par la rue des Lombards.
«Dès que je n'ai rien à faire, je passe, explique cet étudiant à la fac de droit d'Amiens. D'abord adepte des maquettes de la Seconde guerre mondiale, ce jeune homme de 21 ans est passé devant l'échoppe de Games Workshop il y a trois ans. Il n'en est jamais vraiment ressorti. «Le plaisir, c'est d'avoir un jouet que l'on a fait soi-même, explique-t-il. Ce que j'aime dans ce jeu, c'est connaître le fluf des armées.» Le quoi? «Le fluf, l'histoire, l'univers derrière chaque figurine».
«Il y a trois types de joueurs, explique Clément, le vendeur, partie intégrante de la communauté de joueurs. Le peintre, le joueur et le collectionneur». Quentin et Pierre font manifestement partie de la première catégorie.
«Pour moi c'est un jeu de stratégie, ce n'est que ça», revendique Charles, qui fait partie de la catégorie «joueurs». «Et de bol», corrige son voisin. «Oui, il faut limiter le plus possible le facteur chance». Cet étudiant de 24 ans aspire à devenir professeur de Sciences et vie de la Terre. Après une pause de quelques années, il fréquente à nouveau assidûment le Games workshop. «Parce qu'il y a une grosse communauté de joueurs ici à Amiens. On se voit en dehors de magasin».
Un aspect du jeu revendiqué par le vendeur, Clément, qui accueille la plus part des clients par un «Salut, tu vas bien?». «C'est un des attraits du jeu, l'aspect communautaire qui est très sympa». Autour du magasin de la rue des Lombards, un noyau dur d'une dizaine de joueurs anime toute l'année la vie de la communauté. «Je viens dès que je n'ai pas cours, dès que j'ai du temps libre, avoue Charles avec humour. Je viens perdre mon temps».
Charles (à gauche) et Clément (à droite).
Mercredi dernier, la table de jeu était en travaux. «On travaille sur un décor type désert», explique Clément, qui n'a pas eu à mettre la main à la patte. Ses acolytes se sont chargés de repeindre eux-même le décor qu'ils utilisent à longueur d'année. «Tu peux me sortir du Rakarth flesh, du Seraphin sepia et du Long bird grey [des coloris de peinture, ndlr]», demandait Clément à l'un de ses acolytes, avant de plonger dans l'arrière boutique.
Cette communauté existe également en dehors du magasin. «J'organise régulièrement des parties chez moi, explique Quentin. C'est plus sympa. Tu sors six pizzas, des bières et c'est parti!». Un autre Amiénois organise des ateliers de peinture entre amis à son domicile, tous les lundis. Il existe également des clubs dans tout le département, dans lesquels les joueurs se réunissent uniquement pour jouer. Jouons ensemble à Saint-Quentin, Les Pouceux ed plomb de Villers-Bocage ou Les Éternels de Flixecourt.
Quentin (de face, à gauche)
Le jeu Warhammer aura trente ans cette année et ses joueurs, nombreux, sont de tous âges. «Sûrement plus de 1000 joueurs dans la Somme», avance avec prudence le vendeur, dont le magasin recueille presque 500 «j'aime» sur la page Facebook. «Des professeurs, des flics, un astrophysicien, un restaurateur», énumère Clément. Mais pas de fille. De fait, elles ne franchissent que très rarement la porte du magasin. «À part ma copine», plaisante Quentin.
«Ils sont en situation de quasi-monopole»
Ce qui est fort chez cet éditeur de jeu, c'est que vous ne verrez aucune publicité pour ses figurines dans les catalogues de jouets de Noël. «C'est un marché de niche, nous n'avons pas besoin de faire de publicité. Les gens rentrent, et si ça leur plaît ils restent, explique Clément. Ça fonctionne aussi beaucoup par le bouche-à-oreille». Comme dans le cas d'Antoine, seize ans qui s'est laissé convaincre par ses amis. «Ça permet de bien occuper son temps, de se détacher un peu des écrans», explique-t-il.
Un marché de niche, et onéreux. L'un des obstacles à l'initiation reste le prix élevé des figurines. «Avant je n'arrivais pas à me retenir d'acheter de nouvelles figurines, confie un jeune joueur à l'un de ses camarades. Maintenant j'y arrive. Peut-être parce que ma mère ne me donne plus d'argent de poche». Le magasin offre une initiation aux règles, mais ne prête pas d'armée. Comptez minimum une centaine d'euros pour commencer à jouer.
C'est la seule ambiguïté de ce jeu, qui rassemble une communauté de joueurs soudés mais dépendants d'une entreprise qui en a fait un business juteux. «Ils sont en situation de quasi-monopole», confie Quentin devant le magasin presque amer. Mais les joueurs de la rue des Lombards sont philosophes: «Tu achètes un paquet, tu ressors avec un ami», ironise l'un d'eux.