D'après le rapport, une trentaine de caméras du centre ont pour but la gestion des bornes.
C'est peu dire qu'elle était attendue, cette étude, présentée lors du dernier conseil municipal. Les élus de l'opposition menée par Brigitte Fouré étaient restés frustrés, après le coup d'arrêt donné par Gilles Demailly à l'extension du dispositif de vidéo-protection.
Peut-être avaient-ils entrevu une lueur d'espoir lorsqu'en 2008, Emilie Thérouin (EELV), adjointe à la sécurité, et la majorité PS avaient commandé un audit, dont l'objectif était d'évaluer l'efficacité de la vidéosurveillance à Amiens.
Jusqu'ici peu d'études s'étaient attardées sur le sujet. L'ambiance politique était plutôt à un État qui incitait fortement l'installation de caméras, notamment par un fonds interministériel de prévention de la délinquance dont 50% étaient alloués à l'équipement vidéo.
Quatre ans pour accoucher de l'étude
Nous sommes en 2009 lorsque l'adjointe au maire en charge de la sécurité rédige le premier cahier des charges de l'étude. L'appel d'offres est déclaré infructueux et un second cahier des charges, plus précis, sera rédigé, en 2010. Cette fois-ci avec l'aide d'un sociologue.
Le cabinet parisien Althing remporte le marché. Devant la commission paritaire élus-fonctionnaires, leur offre s'avère la plus intéressante : 14700 euros H.T. (selon le blog d'Émilie Therouin)
Décembre 2011: le cabinet rend son rapport, mais la municipalité refuse d'en communiquer les résultats. Lorsque les élus de l'opposition, comme Johanna Bougon, sollicitent une réponse sur la vidéosurveillance en conseil municipal, Gilles Demailly leur fait dire que la proximité des élections présidentielle et législative impose de retarder la présentation du rapport.
De quoi faire bouillir sur les bancs des centristes et des indépendants, et de quoi éveiller les soupçons quant au rapport.
Jeudi 20 septembre, Antoine Heimann, directeur des opérations du cabinet Althing vient présenter le rapport en conseil municipal, devant les élus réunis. Un rapport de cent-vingt pages, et une bonne cinquantaine de camemberts.
Qu'en retenir? Que les opérateurs du centre de sécurité urbaine doivent jongler entre de nombreuses tâches, que les caméras du centre-ville servent en fait à la gestion des bornes rétractables d'accès aux voies piétonnes. Ou que le bon fonctionnement de l'équipement repose sur une bonne communication entre les services municipaux et les services de police.
Pas de prétention scientifique
Après une lecture sommaire, on peut mettre à jour les incohérences internes au rapport. À commencer par le présupposé de l'utilité de la vidéosurveillance, alors même que l'audit annonce que son efficacité est impossible à chiffrer ou à délimiter! Autre incohérence: l'injonction à améliorer le dispositif qui serait utile dans une zone où il est déjà bien fourni, le centre-ville.
À la page 105, le rapport nous le dit : «on peut donc estimer que la présence d'un dispositif dense sur le centre ville d'Amiens favorise la baisse [des vols simples ndlr.]» Il y a de l'évidence là-dedans. Mais aucune référence à des travaux scientifiques pour étayer. «La Cour des comptes l'a récemment réaffirmé, il n'y a pas de grille de lecture pour apprécier l'efficacité de la vidéoprotection» avoue aujourd'hui Antoine Heimann, joint au téléphone.
«Nous n'avons pas la prétention de fournir un travail scientifique, se défend le responsable de l'audit, On nous a demandé de trouver des pistes d'amélioration du dispositif et du fonctionnement des services de la ville, c'est ce que nous avons fait. Nous avons répondu à l'appel d'offre avec une proposition de méthode par rapport aux besoins exprimés, et nous avons été sélectionnés.»
Chaque élu voit midi à sa porte
Devant la presse, mardi 18 septembre, Emilie Thérouin a les mains libres pour évoquer ce qu'elle considère comme un résultat assez décevant. Pour elle, si le rapport donne des réponses utiles et des pistes d'amélioration, le compte n'y est pas tout à fait.
En ligne de mire, les faiblesses de l'évaluation financière du dispositif et de l'estimation de l'efficacité contre la délinquance, question évacuée par le cabinet dès les premières lignes du rapport.
Pourtant, au soir du conseil municipal, aucun conseiller n'évoque clairement cette analyse. La principale intéressée, Émilie Thérouin n'est d'ailleurs pas invitée à prendre la parole: les chefs de groupe s'en chargeront. Après la présentation des grandes lignes du rapport par un membre du cabinet Althing, personne ne le questionnera.
Celle qui ouvre les «débats» pour la majorité, c'est Marie-Hélène Luczak. Saluant une étude «riche en enseignements», l'élue affirme que la vidéosurveillance «n'est qu'un outil au service de professionnels chargés de sécurité» qui ne peut en aucun cas «remplacer la présence de policiers sur le terrain. Seule cette présence permet de rassurer la population et de tisser des liens.» Du lien qu'évoquera aussi Frédéric Thorel dans son allocution, tout comme Johanna Bougon, qui décrit «un moyen complémentaire» pas destiné à «remplacer les personnes sur le terrain.» François Cosserat, du groupe communiste, lit entre les lignes qu'il faut plus de coordination entre les services et qu'il «n'y aura pas de miracle technologique.»
Séance de tacles
Bref, tous y trouvent satisfaction, et en profitent pour tacler les opposants: selon Marie-Hélène Luczak, le rapport démontre «l'amateurisme de l'équipe précédente» dont «l'objectif n'était pas la sécurité des habitants mais la gestion des bornes escamotables permettant la gestion de flux urbains de l'hypercentre.»
Et de se livrer à un exercice de politique générale sur la volonté de François Hollande de faire de la sécurité des Français une priorité de son quinquennat, quand le gouvernement Fillon «voulait étendre la vidéosurveillance et dans le même temps supprimer des milliers d'emplois de fonctionnaires de police et de gendarmerie.»
Lyacout Haïcheur, pour les verts, salue «l'initiative courageuse» d'Emilie Thérouin qui fait œuvre de «pragmatisme» : durant cette crise économique «nous ne pouvons nous permettre de faire de la théologie autour de le vidéosurveillance.»
Johanna Bougon, elle, dénonce le temps perdu, alors que de son point de vue l'étude donne raison à la municipalité précédente d'avoir installé la vidéosurveillance. Pointant que «le doute sur son efficacité et le soupçon sur sa dangerosité vis à vis des libertés individuelles font que l'utilité de ce système a été dénigrée, souvent sur des propos dogmatiques.»
Pour celle qui est chargée de ces questions dans le groupe d'opposition, la municipalité Demailly a fait preuve d'une «attitude rigide» sur ces dossiers pendant les quatre dernières années, retardant d'autant un débat et des améliorations.
Selon elle, s'il est vrai que le dispositif était principalement prévu pour la gestion des bornes en centre-ville, c'est que la municipalité Fouré n'a pas eu le temps de finir son projet de vidéosurveillance: il en restait 52 à placer. (Le rapport pointe le faible coût de l'installation existante : les caméras de centre-ville avaient été implantées pendant de gros travaux de voirie, donc sans ce surcoût.)
Quel débat en conseil municipal?
Pour les élus de tous bords, la présentation du rapport d'audit a été l'occasion d'appeler au «pragmatisme» et à moins de «dogmatisme.» Mais le débat a-t-il eu lieu?
Chacun est resté sur des positions attendues, et l'existence même du système n'a été remise en question que parmi les conseillers les plus à gauche, comme Cédric Maisse. Timidement.
Pourtant presque tous (sauf Johanna Bougon qui n'était pas présente en commission) avaient eu connaissance des critiques formulées par Emilie Thérouin sur le rapport. Mais personne n'en a parlé, personne n'a interrogé le membre du cabinet Althing. «La parole était plus libre en commission qu'en conseil municipal» regrette l'adjointe à la sécurité.
La vidéosurveillance fera-t-elle partie de l'agenda de la municipalité ? On peut imaginer que les volontés politiques n'en restent pas aux améliorations apportées entre 2010 et 2012 au Centre de sécurité urbaine et aux interactions avec la police nationale. Dans la majorité comme au centre droit de Brigitte Fouré et de Johanna Bougon, on aimerait bien suivre les recommandations du rapport et redéployer la vidéosurveillance et ses opérateurs vers des missions de sécurité. Plutôt que de les laisser gérer les bornes escamotables du centre-ville. Reste à chiffrer ces redéploiements: c'est un autre point que ce rapport n'aura que peu éclairci.
Les propos ont été recueillis lors du conseil municipal du 20 septembre. Sauf ceux d'Émilie Thérouin, recueilli en conférence de presse le 18 septembre, ceux de Johanna Bougon, jointe par téléphone le lundi 24 et ceux d'Antoine Heimann, co-directeur du cabinet Althing, joint par téléphone ce mercredi 26 septembre.
Le rapport du cabinet d'audit a été mis à disposition par la mairie. Vous pouvez le télécharger ici.