«Nous sommes plus avancés dans la valorisation du blé que celle du pois ou du lupin», explique Laetitia Gerbe, chargée de mission au département Recherche et innovation du conseil régional de Picardie.
Combler le retard des protéagineux sur les céréales, c'est l'une des missions données à Improve [améliorer en anglais, ndlr], une petite entreprise épaulée par des géants de l'agriculture, qui s'implantera à Dury en septembre. «Les statuts de la société ont été déposés en juillet, le premier conseil d'administration se réunira le 12 septembre prochain», annonce Denis Chéreau, responsable du projet.
Le projet Improve devrait couter 34 millions d'euros sur dix ans. 1200 mètres carrés de halle technologique, 350 mètres carré de laboratoire et de bureaux, qui seront financés par quatre groupes agricoles, Téréos Syral, Sofiprotéol, Siclaé et In Vivo, réunis au sein du Pôle de compétitivité à vocation mondiale, Industries et agroressources (IAR), embarquant avec eux des partenaires publics comme l'Inra ou l'UPJV.
Mais pas seulement. Les entreprises ont bénéficié d'un coup de pouce la Caisse des dépôts et consignations, et le conseil régional de Picardie devrait se prononcer fin septembre sur l'opportunité d'une avance remboursable d'un million d'euros versée sur trois ans, à rembourser à partir de 2018.
«Les protéines, c'est ce qu'il nous manquait», explique Laetitia Gerbe du Conseil régional. «C'est la concrétisation d'une politique menée par la région depuis des années». Pour la région Picardie, Improve est une source d'emplois futurs, mais complète également la carte régionale de centres de recherche sur la valorisation des cultures végétales, après le pôle de recherche sur les lipides qui existe déjà à Compiègne (Pivert), les sucres à Reims (Futurol).
C'est la société Téréos Syral, filiale du groupe sucrier français Téréos, qui est à l'initiative de cette nouvelle aventure. Les usines de Téréos Syral produisent principalement de l'amidon, un glucide. Mais les amidonneries de Syral, comme celle de Nesle dans la Somme, commercialisent également de la protéine. Un «co-produit», qui représente seulement 8% des volumes transformés.
Certaines protéines sont très recherchées et bien valorisées. Le gluten de blé, par exemple, est vendu comme améliorant de la panification, ou en aquaculture et plus généralement dans l'alimentation animale. «Sans le gluten, les amidonneries ne seraient pas rentables», explique même Denis Chéreau.
Mais toutes les protéines végétales ne sont pas aussi bien valorisées que le gluten de blé, loin s'en faut. Les cultures de pois ou de lupin, dont la vocation principale est de fournir de la protéine végétale, sont très peu répandues en France. Elles sont même en régression. En France, les surfaces de pois protéagineux sont passées de plus de 300 000 hectares en 2002 à moins de 150 000 en 2012.
Leur principaux concurrents, ce sont les céréales que les cultivateurs français préfèrent semer à leur place, et le soja américain avec lequel les éleveurs préfèrent nourrir leurs bêtes. «Tant que le soja américain arrive en France avec des prix bas, ça reste difficile pour les filières locales. Aujourd'hui les protéines de pois telles qu'elles sont commercialisées n'intéressent pas grand monde, explique Dénis Chéreau de Téréos Syral. Les rendre attractives, c'est augmenter leur valeur et l'intérêt pour les agriculteurs de les utiliser».
Jusqu'à présent, en Europe, on produit peu de protéine végétale. On l'importe. En 2009, l'Europe importait ainsi 70% de ses protéines végétales, essentiellement de la farine de soja. 75% de ces protéines sont utilisées pour nourrir les animaux d'élevage (porcs, volailles et vaches).
Pour comprendre pourquoi l'Europe est en déficit de protéines végétales, il faut remonter aux Trente glorieuses. À cette époque et encore aujourd'hui, les Etats-Unis sont l'un des principaux producteurs de soja dans le monde. «En 1962, les américains ont toléré la consolidation de la Politique agricole commune (PAC) en échange que l'Europe ne cultive pas d'oléoprotéagineux», explique Thierry Pouch, économiste à l'Assemblée permanente des chambres d'agriculture (APCA).
L'Europe a pu produire son propre blé à condition de délaisser ses protéines végétales. C'est à cette époque que les États-Unis imposent la levée des droits de douane sur les déchets de maïs ou de soja, et commencent alors à exporter massivement leur protéine vers les ports du vieux continent.
Mais cette dépendance au soja américain est risquée. Les Européens s'en rendront rapidement compte. En 1973, les Etats-Unis connaissent une grosse baisse de production de soja pour des raisons climatiques, et se réservent la plupart de la production en mettant en place un embargo sur les exportations.
L'Europe se retrouve alors en pénurie de soja. «C'est à ce moment qu'il y a une prise de conscience de la dépendance au soja en Europe, explique Thierry Pouch. Mais les plans de relance de la culture de protéines ne seront pas toujours couronnés de succès, pour des raisons agronomiques mais aussi à cause de la pression exercée par les USA.» C'est de cette prise de conscience que date l'essor de la production de pois protéagineux en Europe et dont la France est le principal producteur. Mais cette culture locale ne parviendra jamais à remplacer le soja américain.
Aujourd'hui, l'Europe ne produit pas plus d'un tiers de sa consommation de protéines végétales, et le spectre d'une pénurie de protéine revient. «La Chine est devenue le premier importateur de soja, et les prix deviennent parfois très élevés», explique Thierry Pouch.
En février dernier, le ministre de l'Agriculture Stéphane Le Foll a d'ailleurs annoncé un «plan protéine» pour septembre, dont le but sera de «contribuer à l'autonomie fourragère des exploitations», selon La France agricole. Ce type de plan a connu des précédents en 1974 et plus récemment en 2009, sans jamais vraiment réussir.
Redonner de la valeur aux protéines
Faute de renégociation avec les Etats-Unis, un long travail s'impose à l'Europe si elle souhaite reconquérir son autonomie en protéines animales. «Les dépenses en recherche seront importantes, prévoit Thierry Pouch. C'est surtout l'alimentation animale qui pose problème. Le soja a permis d'améliorer la croissance des animaux, notamment des volailles. Il reste encore des barrières techniques pour pouvoir remplacer le soja par le pois par exemple.»
Les travaux entrepris à Dury iront dans ce sens, selon Denis Chéreau, même si son entreprise répondra avant tout aux demandes de ses partenaires et clients. «Ces dernières années, la filière soja américaine a bien travaillé sur la valorisation de ses produits, notamment dans l'alimentation humaine, assure l'ingénieur, qui souhaite garder les projets des industriels confidentiels. Inspirons-nous en pour valoriser nos plantes locales».