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Valeo met la pression sur les ouvriers amiénois

Le 07 January 2013

Le 13 décembre dernier, la direction de Valeo, multinationale de l'équipement automobile, aurait décidé d'investir sur son site d'Amiens dans une nouvelle chaîne de production de «doubles embrayages humides», une nouveau modèle destiné aux constructeurs automobiles français et allemands.

Les investissements devraient débuter en 2013 et la production en 2015. 19 millions d'euros d'investissement annoncés pour de nouvelles chaînes de production qui représenteraient un tiers de l'activité actuelle du site.

C'est en tous cas l'histoire, difficilement vérifiable, qui a été servie aux syndicats de Valeo-Amiens depuis la fin du mois de septembre pour les convaincre de signer un «accord sur la performance industrielle».

Amiens connait la chanson. Les firmes industrielles internationales comme Dunlop-Goodyear ou Whirlpool en 2008, ont déjà profité des périodes d'investissement, pendant lesquels l'avenir de l'usine se joue, pour mettre la pression sur les salariés amiénois. Cette fois c'est au tour de Valeo.

«Depuis 2008, la production est en baisse», explique Anthony Probin, délégué Sud chez Valeo-Amiens. «Les prévisions pour 2013, c'est le maintien. Mais avec ce qu'ils ont annoncé hier... [la baisse des immatriculations de voitures neuves en Europe, annoncée mercredi dernier, ndlr]. À Amiens, les produits arrivent en fin de vie. La durée de vie d'un embrayage, c'est 10 ans. Si nous ne faisons pas un nouveau modèle, nous allons nous faire bouffer».


Anthony Probin, délégué syndical Sud chez Valeo-Amiens

Des salariés en concurrence avec leurs collègues turcs

Fin septembre, la direction amiénoise de Valeo a donc annoncé aux syndicats que l'investissement, qui pérenniserait l'activité sur leur usine et donc leurs emplois, devrait se monnayer.

Le «double embrayage humide» serait accordé à l'usine d'Amiens, si et seulement si des efforts étaient consentis de la part des salariés amiénois. «Ils nous ont expliqué qu'il fallait revoir l'organisation interne parce que nous n'étions pas assez compétitifs», explique Ludovic Bruvier, délégué CGT chez Valeo-Amiens. Le chiffre annoncé par la direction: 9% de productivité à gagner.

La justification des dirigeants est simple. Pour bénéficier de cet investissement, le site serait en concurrence directe avec d'autres usines Valeo en Europe, notamment celle de Bursa en Turquie. Et les dirigeants n'auront même pas besoin de menacer les syndicats d'éventuels licenciements.

«Nous avons toujours été en concurrence avec ce site turc», explique Anthony Probin. «La direction nous a expliqué que l'on venait de perdre trois marchés face à nos concurrents directs, Valeo Bursa et indirects, LuK et Sachs [LuK et ZF Sachs GmbH, deux équipementiers automobiles allemands, ndlr]». Tout est dans le sous-entendu.

Raboter les temps de pause

Le 18 octobre dernier, première réunion de négociation en vue de signer un «accord sur la performance industrielle». La direction propose «cinq chantiers» pour atteindre l'objectif des 9%. Stockage des pièces, gestion de la qualité, relations entre ateliers... Le chantier qui va diviser les syndicats, c'est l'augmentation du «TRP», ou «Taux de rendement production».

Un indice qui évalue «le taux de rendement pendant la période d'ouverture de la machine», comme l'expliquait un responsable méthodes/maintenance de Valeo-Etaples, dans le Journal de la production en 2006, constatant que l'amélioration du TRP se heurte à des «choses incompressibles comme le temps passé en pause, les changements d'outils...»

Le temps de pause, c'est justement ce que la direction veut raboter à Amiens. 40 minutes pour manger le midi, c'est encore trop long pour les dirigeants.

Après avoir essuyé les refus des syndicats sur des propositions de 4x8 et 4x6 qui imposaient aux salariés de travailler le week-end, la direction se résout donc à aménager les 3x8 actuels, et pose trois deals sur la table. Trois scénarios pour réduire le temps de pause du midi.

20 minutes de pause, contre deux jours de RTT en plus ;
25 minutes de pause, sans changer le nombre de RTT ;
30 minutes de pause, contre deux jours de RTT en moins.

«C'est là que ça bloquait, retrace Anthony Probin. C'est sur ce point que la direction avait besoin d'une signature parce qu'il fallait modifier l'avenant à l'accord 86», un accord d'entreprise spécifique à Valeo.

La direction amiénoise annonce, dès le début des négociations, qu'une signature est requise avant le 13 décembre, date à laquelle, expliquent-ils aux syndicats, leur hiérarchie doit annoncer à ses clients le lieu où sera fabriqué son «double embrayage humide». Amiens, Bursa ou ailleurs encore.

Sud et CFE-CGC signent, la CGT s'indigne

Dans l'usine, la tension monte. Les avis sont partagés. «Ça a failli en venir aux mains», témoigne Anthony Probin. Son syndicat, Sud est prêt à signer un accord pour 25 minutes de pause.

Un sondage tourne auprès des ouvriers concernés par les 3x8. Sur 290 personnes, 130 se prononcent contre l'accord et 160 pour, sous conditions: «Pas de perte de salaire, des zones de repas près des machines», explique Anthony Probin. «De toutes façons, avec ce genre de résultats, aucun syndicat ne s'en sort bien, on s'en prend tous plein la gueule. On s'est dit, on y va, on va tirer le maximum.»

Ce sont finalement les syndicats Sud et CFE-CGC, recueillant à eux deux plus de 30% des suffrages aux dernières élections professionnelles, qui signeront cet accord, le 12 décembre dernier. Pari réussi pour la direction de Valeo, le temps de pause sera raboté dès le 1er mars prochain. La CGT et la CFDT, qui ont refusé de signer, n'atteignaient pas les 50% requis pour dénoncer l'accord.

Pour la CGT, l'accord est un échec. «Il y a perte de salaire, parce que les salariés travaillent plus pour gagner autant», explique Ludovic Bruvier. Pour lui, le «temps de travail effectif» - temps travaillé hors temps de pause - a augmenté de 7 jours et demi sur l'année avec la réduction du temps de pause de 15 minutes.

Pour Sud, la diminution du temps de pause a bien engendré une augmentation des «heures de travail effectif», mais elles seront compensées par des journées plus courtes le vendredi. Au lieu de travailler 8 heures, le vendredi, les salariés resteront parfois 6 heures, parfois 8heures.

Abaisser les salaires des futurs embauchés

Là où le recul est certain, c'est sur les heures de nuit. L'accord stipule qu'elle seront désormais majorées à 15% au lieu de 30%. Une perte que la direction a compensée en accordant aux salariés en place des primes de repas. Comme demandé, il n'y aurait pas pour eux de perte de salaire. Hélas, ces primes ne seront pas accordées aux futurs embauchés. «C'est à nous de bien négocier lors des prochaines NAO [Négociations annuelles obligatoires, ndlr]», relativise Sud.

Pour la CGT, le principe même des primes pose problème: «Le hic c'est que ce sont des primes non conventionnelles, qu'on peut enlever du jour au lendemain», explique Ludovic Bruvier. «Cet accord est merdique. Chez Sud, ils n'ont pas d'appui juridique», accuse le syndicaliste.

«Les primes sont inclues dans l'accord, rétorque Anthony Probin de Sud. Notre crainte, c'est l'emploi. Sans produits, tu fais quoi? Il faut être honnête, on touche aux habitudes des salariés,. Mais je préfère leur dire, au mois de juin, on s'est planté, on a perdu 20 minutes de pause, que leur annoncer qu'un gros coup dur se prépare».

Bluff ou chantage ?

Sur la forme, la direction a-t-elle eu recours à du chantage à l'emploi pour faire plier les syndicats? Pas explicitement, mais l'effet a été le même. «La direction ne parlait pas de licencier», explique-t-on chez Sud. «C'est pas facile, il y a la pression de la direction et des employés. Et si demain, on se retrouve dehors avec une baraque à payer? C'est ça la crainte. Quand on voit ce qui se passe à la télé.»

La crainte, c'est peut-être de voir se reproduire le scénario qu'ont vécu les salariés Valeo de Nogent-Le Rotrou dans la région Centre, l'année dernière. En septembre 2011, une partie des salariés a accepté de travailler le samedi, alors que leur usine était menacée de fermeture à moyen terme. La direction leur avait promis de reconvertir la production vers un marché porteur, les capteurs à ultrasons.

Aujourd'hui une seule des nouvelles lignes est installée sur les deux promises, selon l'Écho républicain. Et les salariés ont connu des périodes de chômage partiel en cette fin d'année. Pour Ludovic Bruvier de la CGT Valeo-Amiens, cette usine est aujourd'hui «à deux doigts de fermer ses portes».

Pour lui, l'accord signé en décembre n'apporte aucune garantie pour le site d'Amiens : «Rien ne nous dit que le sous-traitant, qui nous cède ce marché, n'enlèvera pas les machines du jour au lendemain. On aurait accepté s'il y avait eu des garanties de pérennisation de l'emploi à long terme, avec des données sur les volumes, les chiffres d'affaires.»

«La seule personne qui pourra nous éclairer, c'est l'expert», confirme implicitement Anthony Probin. Pendant les négociations, le Comité d'entreprise de Valeo-Amiens a fait appel à un expert comptable, qui devrait rendre ses conclusions en juin, selon les syndicats. «On veut savoir s'ils ont vraiment l'intention de mettre du boulot à Amiens».

L'autre question qui taraude les syndicalistes, c'est l'hypothèse d'un coup de bluff. Et si la direction de la multinationale Valeo avait décidé depuis longtemps d'attribuer l'investissement à Amiens, avant même de négocier des efforts avec les salariés? «Peut-être que l'embrayage humide était déjà positionné sur Amiens», confirme Anthony Probin de Sud. «Nous n'avons pas de billes là dessus, nous n'avons que les informations de la direction.»

«De toutes façons, si la direction ne nous donne pas les informations que l'on veut, on va les assigner en justice», assure Ludovic Bruvier de la CGT. «On va réclamer des documents comptables pour vérifier que Bursa est vraiment plus compétitif que nous.»

Dans l'œil du Télescope

J'ai rencontré Anthony Probin (Sud), mercredi dernier, à son domicile. J'ai interviewé Ludovic Bruvier, jeudi, par téléphone. La direction de Valeo-Amiens n'a pas souhaité s'exprimer. Le délégué CFDT n'a pas souhaité s'exprimer pendant ses vacances. Je n'ai pas réussi à joindre le délégué CFE-CGC.