Un Plan local d'urbanisme (PLU), c'est très important. «Hyper stratégique», même, dixit Valérie Wadlow, l'adjointe au maire d'Amiens, en charge de l'urbanisme. Un PLU, c'est un document rédigé par les mairies dans lequel sont précisées les zones constructibles du territoire communal. Mais pas seulement. Dans le PLU, on précise quel type de logement sera construit dans telle zone, quel type de commerce viendra dans telle rue, etc. «Le PLU concerne aussi le patrimoine, la biodiversité, et j'en passe», égraine l'élue.
À l'avenir, ce document deviendra encore plus important. Car il ne sera plus décidé seulement au niveau communal mais intercommunal. C'est ce que prévoit le projet de loi pour l'accès au logement et un urbanisme rénové (Alur), porté par la ministre Cécile Duflot, et actuellement débattu au Parlement. Mais ce transfert de compétence ne plaît pas à tout le monde.
Valérie Wadlow, adjointe à l'urbanisme pour la Ville d'Amiens.
À commencer par les sénateurs. Qui ont voté un amendement à cette loi pour éviter de rendre le transfert obligatoire. Dans cet amendement, il a été introduit une «minorité de blocage». C'est-à-dire la possibilité, dans une intercommunalité, de refuser le transfert de compétence si 25% des communes représentant 10% de la population s'y opposent.
Pour le sénateur de la Somme Daniel Dubois (UDI), «c'est une erreur de vouloir rendre le transfert obligatoire. Jusqu'alors on pouvait le décider à la majorité qualifiée, c'était très bien.» Jusqu'alors si deux tiers des communes le choisissaient, l'intercommunalité pouvait s'emparer de la compétence urbanisme. C'était possible, certes, mais très rare.
Le Sénat maintiendra sa position
Sauf que l'Assemblée nationale ne l'a pas entendu de la même oreille que le Sénat, et a fait modifier les conditions de blocage, la rendant possible qu'à partir de 45% des communes représentant 45% de la population. Une décision qualifiée «d'erreur» par le député UMP de la Somme Alain Gest, élu dans la très rurale quatrième circonscription. Pour lui, «un tel transfert de compétence ne peut reposer que sur le consentement des communes et non s’opérer de manière autoritaire à leur détriment».
Le texte de loi doit repasser par le Sénat cette semaine, et selon Daniel Dubois, les sénateurs voteront à nouveau pour une minorité de blocage à 10% de la population. «Les communes sont encore autonomes, tonne-t-il. Si le gouvernement veut les supprimer, qu'il le dise!» Rappelons que les sénateurs sont élus au suffrage universel indirect, que 95% de leurs électeurs sont des conseillers municipaux. Et que les prochaines élections se dérouleront en septembre 2014.
En dépit de ces réticences, force est de constater que les communes sont parfois très enclines à s'entendre sur les questions d'urbanisme. Et c'est particulièrement vrai dans le Pays du Grand Amiénois, cette zone qui s'étend de Doullens à Conty et de Oisemont à Albert. Douze intercommunalités la composent. Et huit d'entre-elles sont déjà sur le chemin de la coopération en matière d'urbanisme. Avant même l'obligation légale, elles ont entrepris les démarches afin de pouvoir prochainement réaliser des PLU intercommunaux (PLUI).
Les douze intercommunalités du Pays du Grand Amiénois (© Aduga)
Le Pays du Grand Amiénois est-il en avance sur son temps ? En tout cas, Jérôme Grange, le directeur de l'Agence de développement et d'urbanisme du Grand Amiénois (Aduga), se dit «épaté» par la rapidité avec laquelle les élus du territoire se lancent dans les PLUI. D'après lui, trois raisons majeures expliquent cet engouement.
D'abord, l'habitude de travailler ensemble. Ces dernières années, les élus du Pays du Grand Amiénois ont élaboré, parfois dans la douleur, un Schéma de cohérence territoriale (Scot) afin de planifier la plupart des aménagements futurs sur cet immense secteur (381 communes). «Ce Scot est le deuxième plus grand de France!», rappelle Jérôme Grange. «Les maires et les présidents d'intercommunalités se sont mis à travailler ensemble», confirme Jean Noyelle, maire de Glisy et président de la commission Scot du Pays du Grand Amiénois.
Le Département a également contribué au rapprochement des élus. «Depuis 2012, le conseil général de la Somme met en place des politiques contractuelles de développement avec les intercommunalités, relate Jérôme Grange. Ça n'a pas été neutre puisque ça pousse les intercommunalités à se pencher sur leur avenir.»
Poussés vers la coopération
Troisième élément particulièrement déterminant: le vote, en 2010, de la loi de modernisation de l'agriculture. Cette loi a créé des commissions départementales de la consommation des espaces agricoles (CDCEA) chargées de limiter la régression des surfaces agricoles. Ainsi, dans les communes dépourvues de PLU, les CDCEA sont chargées de regarder si les projets prévus ne grignotent pas trop de terres cultivables.
Or depuis 2011, «la CDCEA de la Somme a retoqué 80% des certificats d'urbanisme présentés par les maires, explique Jérôme Grange. Pour des projets qui concernaient, par exemple, des salles des fêtes. Et les élus l'ont mal vécu.» D'où le besoin pour eux d'établir des PLU, nécessairement en phase avec les attentes de la CDCEA. Et de rechercher, du même coup, l'aide des communes voisines, donc de chercher à mettre en place des PLUI.
S'entendre sur la question de l'urbanisme au niveau intercommunal a plusieurs avantages. D'abord, cela facilite la mise en œuvre des aménagements prévus par le Scot du Pays du Grand Amiénois. «Ça peut aussi permettre d'éviter certaines incohérence, indique Jérôme Grange, comme la construction de grands lotissements sur des pentes de collines alors que, traditionnellement, les villages de la Somme sont joliment et discrètement insérés dans le creux des vallées.»
Jérôme Grange, directeur de l'Aduga.
On l'a vu, huit intercommunalités du Pays du Grand Amiénois prennent le chemin du travail en commun en matière d'urbanisme. Mais quatre d'entre-elles ne semblent pas prêtes à se lancer dans l'aventure des PLUI. Il s'agit du Doullennais, de la Région d'Oisemont, du Val-de-Somme et... d'Amiens métropole. Pourquoi ?
Amiens métropole en retard
«C'est plus compliqué ici car les enjeux sont plus lourds, explique Valérie Wadlow, ajointe au maire d'Amiens en charge de l'urbanisme et déléguée métropolitaine responsable du Projet urbain. Pour mettre en place un PLUI, le préalable c'est de partager une vision stratégique du territoire.» C'est la raison pour laquelle la Métropole a élaboré son Projet urbain intitulé «Amiens 2030». Une première étape vers la coopération entre les trente-trois communes d'Amiens métropole en matière d'urbanisme.
Mais, on s'en souvient, le projet n'avait pas obtenu les faveurs de l'opposition amiénoise et métropolitaine au printemps dernier (voir notre article). Selon Valérie Wadlow, le projet «Amiens 2030» a permis «de mettre en place une culture différente, même si ça ne règle pas tout», concède-t-elle.
Si la loi Alur oblige véritablement les intercommunalités à se doter de PLUI, Amiens métropole aura du pain sur la planche. Surtout «qu'il n'y a aucune réflexion à ce sujet pour le moment !», tonne Jean Noyelle, le maire de Glisy. Et d'ajouter : «Il ne faudrait quand même pas qu'on soit les derniers dans cette histoire».
J'ai rencontré Jérôme Grange mercredi matin à l'Aduga et Valérie Wadlow jeudi matin en mairie. Daniel Dubois et Jean Noyelle ont été joints par téléphone. Les propos d'Alain Gest sont tirés d'un communiqué de presse envoyé par le député.
La photo de une et la vignette en haut à droite de l'article sont un détail du PLU d'Amiens (zone sud-ouest).