À l'entrée de Whirlpool-Amiens
En 2014, il est probable que l'on ne fabrique plus du tout de lave-linge sur le territoire français. La dernière chaîne de montage, située à Lyon, chez Fagor-Brandt, devrait être transférée à Wroclaw en Pologne, dans les deux ans à venir.
Chez Whirlpool, à Amiens, les lave-linge sont partis en 2002. La chaîne de montage tourne aujourd'hui en Slovaquie. Depuis, en Picardie, les ouvriers de Whirlpool n'assemblent plus que des sèche-linge.
Le sèche-linge, un produit classé «haut de gamme» dans le monde de l'électroménager, mais qui a aujourd'hui bien du mal à occuper les 340 salariés restants de Whirlpool-Amiens. Il y a dix ans plus de 800 salariés pointaient chaque jour à l'usine de lave-linge et sèche-linge.
Une belle décennie d'essorage social
Amiens n'est pas la seule ville à avoir vu les emplois partir avec les lave-linge. D'autres territoires partagent ce bilan. Il suffit de parcourir les archives d'Usine nouvelle, un magazine national destiné aux salariés de l'industrie, pour prendre rapidement la mesure du phénomène, durant la dernière décennie.
Avril 2002: «Whirlpool Amiens transfère ses lave-linges en Slovaquie»
Février 2008: «Electrolux pourrait délocaliser sa production de Revin»
Janvier 2011: «FagorBrandt va arrêter la fabrication de lave-linge en France»
Avril 2011: «LG démarre la fabrication de lave-linge en Europe» (en Pologne, ndlr)
Septembre 2011: «Fagor transfère une partie de sa production de Vendée en Espagne»
Avril 2012: «Selni exporte ses moteurs de lave-linge en Turquie»
Et les patrons des grandes firmes d'électroménager occidentales n'envisagent pas de faire marche arrière: «Nous ne pouvons plus fabriquer en Europe des produits d’entrée de gamme. Le coût de main d’œuvre est 10 fois moins cher en Chine qu’en France», expliquait le président du directoire de FagorBrandt, Sergio Treviño, à l'Usine nouvelle en novembre dernier.
L'Europe de l'Est, l'eldorado des multinationales pour approvisionner l'Europe en produits bas de gamme, tout en améliorant ses marges. «Les fabricants de produits blancs se lancent dans un exode industriel pour gagner en compétitivité et dégager des économies pour investir dans la R&D», relatait l'Usine nouvelle dès 2005.
En France, finis les volumes. Désormais, la mission réservée aux usines françaises d'électroménager, c'est «créer de la valeur».
«Nous, ce que l'on veut, c'est des volumes»
Une stratégie, qui permettra aux entreprises occidentales (Whirlpool, Electrolux, FagorBrandt) de conserver leurs parts de marché et leurs bénéfices (113 millions de bénéfice net au 2e trimestre 2012 pour Whirlpool), en pleine bataille avec leurs concurrents asiatiques (LG, Samsung), mais qui coûtera cher aux Français, chercheurs d'emplois ou contribuables.
Interrogé par l'Usine nouvelle sur l'avenir du site d'Amiens, Jean-Jacques Blanc, le PDG de Whirlpool France expliquait: «La course au volume, c'est fini, nous voulons créer de la valeur». Pas un mot sur la pérennité des emplois d'Amiens.
Pourtant, avec l'expérience des plans sociaux, souvent précédés de longues périodes de chômage technique, un constat très simple fait l'unanimité entre la CFTC et la CGT Whirlpool Amiens: «Si vous n'avez pas les volumes, vous n'avez pas l'emploi».
«On veut savoir où l'on va !»
François Gorlia (CGT) aux côtés de Yannick Dufrenoy et Pascal Lefebvre (CFTC)
Samedi dernier, les deux premiers syndicats de l'usine, CFTC et CFDT faisaient grève. Aucun drapeau, aucun piquet de grève sur le parking de l'usine, mais une inquiétude bien présente dans les locaux des syndicats.
La production de sèche-linge n'est pas à la hauteur des annonces faites par la direction en début d'année. 369000 sèche-linge finalement prévus pour 2012 au lieu des 432000 annoncés. «On veut savoir où on va!», réclame Yannick Dufrenoy de la CFTC. «On est loin des 550000 que l'on nous avait promis». Avec le niveau de production actuel, il estime que les salariés sont de nouveau en sureffectif, de 80 personnes environs. Les précédents plans sociaux sont dans tous les esprits.
Alors la tension monte à mesure que les sèche-linge invendus s'empilent dans les hangars.
On s'inquiète d'autant plus qu'en octobre dernier, le groupe Whirlpool annonçait un plan social, toujours en cours, de 5000 emplois à travers le monde, essentiellement aux Etats-Unis et en Europe. Pour les syndicats, il resterait encore 2500 emplois à essorer d'ici à la fin 2013.
Lors du dernier plan social de 2008, la CFTC - suivie de la CFDT et FO - avait signé de lourdes concessions au nom des salariés. Augmentation du temps de travail annualisé sans compensation de salaire – uniquement une prime à la signature – et instauration du travail le samedi pendant les périodes de forte production. En échange, la direction avait promis l'arrivée d'un nouveau sèche-linge pour Amiens, et des investissements.
Comme chez Dunlop, sous la menace sourde d'une fermeture de l'usine à court ou moyen terme, la CFTC a accepté le deal. «Pour la direction, il fallait baisser le coût du travail, explique Yannick Dufrenoy. Si on ne l'avait pas fait, est-ce que l'on aurait eu les investissements? Notre objectif, c'est de rester sur Amiens!»
Seule la CGT n'a pas signé. «Avec moi, ce serait le tribunal», explique François Gorlia. «Nous sommes contre les licenciements. Les pré-retraites, c'est bon pour les gens, mais pas pour l'emploi. C'est du licenciement déguisé».
CFDT, CFTC et FO ont, pour leur part, accepté de faire de grosses concessions contre un peu de perspectives pour les salariés restants.
Mais le sort s'en mêle. Trois ans plus tard, Whirlpool subit un sévère échec commercial. Cinq mois après son lancement, leur produit phare, le sèche-linge Green génération est retiré du marché. Un sèche-linge innovant, sans pompe à chaleur, qui devait assurer la pérennité de la production à Amiens. C'est un raté. Whirlpool se fait distancer par ses concurrents sur les autres technologies présentes sur le marché.
Aujourd'hui l'usine d'Amiens fonctionne largement en dessous de ses capacités. A moyen terme, c'est inquiétant. Au quotidien, les salariés peuvent se demander pourquoi ils continuent de travailler le samedi.
L'année dernière à la même époque, les salariés avaient déjà fait grève, les samedis matin pendant quelques semaines. Mais le patron n'avait rien lâché. Cette année, rebelote. Mais cette fois, les syndicats ont commandé une expertise indépendante pour connaître l'état de santé de leur entreprise. Résultats attendus après demain.
Pendant ce temps, le directeur refuse de répondre aux questions de la presse. Ce n'est pas pour rassurer le personnel.
Lorsque l'on sollicite une réaction de la direction d'Amiens-Whirlpool, ce n'est pas Raniero Portaluppi, le directeur du site, qui vous rappelle, mais Laure de l'agence parisienne Ketchum spécialisée dans relations avec la presse, vous expliquant d'un air désolé que «la direction ne souhaite pas réagir».
Pour les salariés, le temps presse. «L'année prochaine on ne sait pas ce qui nous attend. Le plan social de Whirlpool Monde se termine en 2013», rappelle Yannick Dufrenoy.
J'ai rencontré les délégués de la CFTC et de la CGT, jeudi dernier dans les locaux de la CFTC.
J'ai demandé à pouvoir rencontrer la direction. Une agence de presse m'a expliqué que les directions de Whirlpool Amiens et Whirlpool France en souhaitaient pas s'exprimer.