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Tramway: enquête sur le collectif qui dit non

Le 02 July 2013

Si vous avez eu entre les mains le Courrier Picard du 22 juin dernier, vous aurez remarqué un encart publicitaire qui détonne. Le graphisme ressemble à celui adopté pour la promotion de l'Amstram, le projet de tramway porté par Amiens métropole. Mais le code couleur est radicalement différent: rouge et noir, plutôt que vert et blanc.

Un site web et une pub dans le Courrier Picard: des frais évalués à 3000€ H.T.

Sous l'adresse web www.amstram.info, ce collectif dénommé Anti-Tram trouve un moyen pour l'expression de ses doutes sur le projet de tramway. Ces «riverains, acteurs économiques, représentants du secteur des services», tels qu'ils se présentent, remettent en cause, point par point, l'argumentation de la Métropole. Sur l'intérêt économique par exemple, argumentant que de nombreuses zones d'activités ne sont pas desservies par le futur tracé. Sur la viabilité financière, qui sera en partie soutenue par la hausse d'une taxe sur les entreprises de plus de neufs salariés, le versement transport (VT), au risque de «dégrader leur compétitivité».

Mais ces sujets ne sont pas les seuls abordés. Le problème de la concertation arrive en premier lieu. «À la base, le collectif s'est créé car il n'y avait pas de concertation», explique Françoise Gaudefroy, directrice de la librairie Martelle, et membre du collectif Anti-Tram. D'emblée, elle explique sa position, appelant en renfort un ouvrage sur la «mobilité durable»: Les transports, la planète et le citoyen. Dans sa réflexion, la libraire fait aussi appel aux travaux du Centre d'études sur les réseaux, les transports, l'urbanisme et les constructions publiques (CERTU). «Je me sens concernée car je suis passionnée par l'urbanisme», explique-t-elle.

Les bonnes et les mauvaises concertations

Elle est aussi très concernée par la vie de sa ville: en sa qualité d'émissaire pour la Fédération des associations de commerçants d'Amiens, Françoise Gaudefroy a vécu d'autres processus de concertation avec la mairie. La dernière fois, il s'agissait de discuter de la réimplantation des caméras de vidéo-surveillance avec Émilie Thérouin, l'ajointe à la sécurité d'Amiens (voir notre article). «Cela s'est très bien passé, on a eu l'impression d'être entendus». Cette fois, avec la concertation Amstram, l'impression qui domine est plutôt amère.

Premièrement, selon Françoise Gaudefroy et les membres de son collectif, il n'y a pas de plan global du déplacement à Amiens. «Sur ce dossier, on pose les questions: quelle sera la place des vélos, des bus, des voitures, des piétons? Quel sera le prix du ticket? Garderont-ils deux tarifications? Il n'y a pas de vision prospective de l'ensemble des paramètres».

En d'autres mots, le collectif reproche à la Métropole de n'avoir pas présenté son plan de déplacement urbain (PDU).

Porter à connaissance un plan global de déplacement

«Dans ces réunions de concertations, on ne parle pas des problèmes de circulation, renchérit Bruno Faille, expert-comptable et président du collectif Anti-Tram. Pourtant tout est lié. Ils seraient venus vers nous en nous expliquant que leur plan global de déplacement sur plusieurs années comprenait X lignes de tramway, X voies de bus, X pistes cyclables, on aurait pu comprendre.»

«Il faut une vision à long terme, et il semble que leur terme c'est la prochaine élection. La ville d'Amiens mérite mieux qu'une réflexion à 14 mois», estime-t-il. Dans ce collectif, Bruno Faille représente la critique du financement, en qualité d'expert-comptable avec 50 ans de pratique derrière lui. Pour l'anecdote, c'est lui, Bruno Faille, qui avait créé en 1992 le journal patronal Amiens Capitale, l'ancêtre de l'actuel Journal des Amiénois (lire notre enquête).

Le versement transport et les impôts

Pour le financement du tramway, la Métropole compte en partie sur la hausse du versement transport (VT).  Cette taxe est prélevée sur les entreprises de plus de 9 salariés. Dans la métropole amiénoise, elle a récemment été augmentée à 1,6% du salaire, en attendant l'accord de l'État pour la monter de 0,4 point, jusqu'à son maximum. D'après les services de la Métropole, cela permettra de faire une réserve avant les plus grosses dépenses.

«Aujourd'hui à Abbeville le VT est de 0,6%. Pensez-vous que notre ville continuera à être attractive dans ces conditions?» Bruno Faille pense plutôt que cela affaiblira les entreprises locales. «Par ailleurs, les administrations paient aussi le versement transport: des charges plus lourdes vont peser sur les finances de la mairie: ce sont directement nos impôts», estime-t-il.

Les membres du collectif Anti-Tram sont-ils tous soumis au VT? «Non, pas tous, certains sont de simples employés», assure Françoise Gaudefroy, en précisant que, le collectif étant très récent, il lui est compliqué de donner plus de renseignements sur les autres membres.

Un budget idyllique

Le président du collectif ne prend pas de pincettes. Le budget de 200 millions d'euros, présenté par Jacques Lessard, adjoint aux finances, lui paraît peu crédible.

«Ce sera 400 millions d'euros, affirme Bruno Faille. C'est facile de monter un budget idyllique, et de minorer des coûts.» Il indique que de nombreux projets de tramways ont connu, ailleurs en France, de graves dépassements. «Comme Reims, qui a terminé à plus de 400 millions, malgré un prévisionnel à 300 millions d'euros.»

«Dans un budget qui se chiffre en centaines de millions, la moindre erreur peut coûter cher, poursuit Bruno Faille. Dans certaines villes, il y a eu des mauvaises surprises, comme des ponts ponts à construire qui n'étaient pas prévus, ou des fouilles archéologiques. À Amiens par exemple, Gilles de Robien m'avait dit que les réseaux souterrains sur le boulevard Alsace-Lorraine, devant la gare, étaient particulièrement complexes.»

Pendant les réunions publiques de concertation, les responsables de la Métropole leur ont montré un camembert expliquant les coûts. Renseignements insuffisants selon les membres du collectif, qui ne sont même plus certains que le coût des rames ait été inclus. L'information a-t-elle manqué à ces citoyens plus pointilleux que la moyenne?

L'opposition municipale à l'unisson

Les arguments présentés, documents gouvernementaux, coupures de presse à l'appui sur le site des Anti-Tram (lien :www.amstram.info) rappellent certains arguments pointés par l'opposition municipale. Johanna Bougon est élue du groupe MPAA de Brigitte Fouré. Cette ancienne adjointe de Gilles de Robien ne connaissait pas le collectif des Anti-Tram. Son groupe politique est favorable au tramway, mais plutôt perplexe devant le dossier présenté par la Ville. «Le tramway pourquoi pas, si ça tient la route financièrement.»

«Le tracé comporte encore des inconnues pas anodines, et il semble éviter de denses zones de population, notamment à Amiens nord», selon l'élue. Des arguments repris par le collectif. «Lancer une ligne incomplète sans vision dans le plan de déplacement urbain, cela en fait un projet bancal», argumente Johanna Bougon. La présentation faite par Thierry Bonté, adjoint métropolitain aux transports, ne l'a pas totalement convaincue.

Elle évoque aussi une inquiétude sur le commerce, dans la configuration retenue pour la ligne. «Le tram empêchera la circulation des voitures rue Vanmarcke. J'ai peur que l'on assèche le commerce en faisant cela»

Le commerce est aussi une préoccupation des membres du comité Anti-Tram, à long et moyen terme. «Le centre-ville sera entouré de chantier pendant trois ans. Quel commerce pourra tenir sur trois ans avec -10% à -50% du chiffre d'affaire? s'inquiète Françoise Gaudefroy. Nous, petits commerçants, on se demande plutôt pourquoi tout cela pour ne faire que 10 kilomètres de tram».

«On s'est posés toutes les questions de la consultation publique»

À ces questions, Thierry Bonté a déjà répondu sa vision des choses. Pour l'élu en charge des transports, le passage du tram sur les boulevards permettra d'étendre le commerce vers l'extérieur de la zone piétonne. Quant aux commerçants, ils seront indemnisés. Du moins, pour ceux qui se trouvent directement sur le tracé.

Le projet a l'air déjà ficelé et sans issue aux yeux des opposants? Thierry Bonté, lui, considère que personne n'aurait pardonné à la collectivité de ne pas prendre position. «Cela fait deux ans que l'on travaille sur le dossier. On a avancé pas à pas au sein du comité de pilotage, dont font partie les commerçants, on s'est posés toutes les questions de la consultation publique», estime l'élu. Pourtant, il reconnaît: la deuxième ligne de transports en commun en site propre est envisagée. En principe, ce sera un axe est-ouest, mais ce ne sera pas nécessairement une deuxième ligne de tramway. Un peu flou ? «On esquisse une vision à long terme, aucune autre métropole ne prévoit de façon exhaustive à long terme.»

«Il peut y avoir beaucoup d'interrogations légitimes sur de si gros chantiers. On trouve toujours des gens opposés par principe, par intérêt ou qui attendent. Mais les esprits peuvent évoluer», conclut, optimiste, Thierry Bonté.

En attendant, sur tous ces points et beaucoup d'autres, les membres du collectif continuent à animer le débat sur le forum de leur site et assurent ne «pas être politisés», arguant que «le bon sens, ce n'est ni de droite, ni de gauche».

Dans l'œil du Télescope

J'ai pu rencontrer les membres du collectif cités le lundi 1er juillet 2013. Si certains d'entre eux sont des commerçants, Mme Gaudefroy et M. Faille assurent que cela ne représente pas la totalité des membres du collectif. Pour le moment, ils n'ont souhaité communiquer aucun effectif.

Johanna Bougon et Thierry Bonté ont été interrogés ce même jour, par téléphone.