Vendredi soir, 21h00, sur le parvis de Pôle emploi. Des silhouettes à l'affût, occupent les recoins de la place, entre les projecteurs de l'éclairage urbain. Et puis les balles ricochent contre les murets et les parois, volent par-dessus les escaliers de la voie ferrée. Ce n'est pas une guérilla: juste le "friday after work" du club de street golf d'Amiens.
L'idée a germé il y a quelques années, dans l'esprit de Cyril Bourguignon et Stéphane Allart, deux collègues, salariés du call-center CCA international. «Le concept existait déjà en Allemagne. Là-bas, ils golfent dans les bâtiments en ruine, dans les friches industrielles.» Question de législation, les allemands auraient des problèmes à golfer en pleine rue. Il s'avère que les rues françaises sont un terrain plus libre pour cette pratique.
L'idée plaît à Cyril Bourguignon, lui qui taquinait déjà la balle, au golf trois-trous d'Albert: «À Albert, c'est gratuit, c'est pour cela que j'y vais de temps en temps. Mais pour pratiquer le golf dans un club, c'est hors de prix.» Pour être membre à l'année du club de golf d'Amiens métropole, comptez 764 € si, comme Cyril, vous avez passé la trentaine. Comptez-en 928 au golf du grand Amiens. Ou contentez-vous d'un seul 18 trous pour une trentaine d'euros.
Plus de liberté, moins de frais: Cyril Bourguignon préfère la rue.
Onéreux et contraignant, pour Cyril Bourguignon. La formule allemande paraissait bien plus séduisante. Ils décident, en 2009, de constituer une association, le collectif "golf de rue" est créé. Ils commencent à recruter des adhérents, organisent des initiations pour enfants et adultes ou participent à des événements sur Amiens, Albert ou Saint-Quentin. Ils participent au championnat de France en 2012, après avoir organisé des épreuves à Amiens puis à Albert.
Ce vendredi 22 mars, pour la douzaine de membres du club, c'est la reprise après un repos forcé cet hiver: le froid, le vent, les congères ne sont pas les conditions idéales pour taper dans une balle de golf. Ce soir, il fait sec, il y a peu de vent: malgré le froid, ils vont pouvoir taper quelques balles pour se dérouiller.
Par groupes de quatre, ils sont montés sur la passerelle qui enjambe la voie ferrée. L'objectif est le suivant: en quatre coups, toucher l'enseigne verticale du Pôle Emploi. L'angle de l'immeuble définira la zone "hors-limite". Pour se créer un spot, les golfeurs de rue n'ont besoin que de trouver un départ et une arrivée. L'arrivée n'est pas forcément un trou, contrairement au golf traditionnel. Un poteau, une poubelle, un panneau, un lampadaire, n'importe quel élément de mobilier urbain peut faire l'affaire. Autrement dit, en ville, le jeu n'a de limite que l'imagination et la sécurité.
C'est aussi ce qui séduit ces golfeurs du soir: parmi les membres de l'association, beaucoup n'avaient jamais tapé dans une balle de golf auparavant, et encore moins foulé un green. Sophie, par exemple, s'est laissée convaincre de participer à un entraînement par Stéphane, son supérieur au call-center. Elle a tout de suite accroché.
Il a suffit d'un entrainement et d'un tournoi pour convaincre Sophie.
«J'adore cette démocratisation, le fait qu'il suffit de sortir dans la rue avec un club et une balle et d'être déjà sur un terrain de jeu. On a une vision du golf comme un monde à part, avec des codes difficiles à approcher. Le golf de rue c'est à la portée de tous. Il m'arrive de partir m'entraîner avec des amis qui n'en ont jamais fait. Même mes parents ont essayé et ils ont beaucoup apprécié.»
Aujourd'hui, la jeune femme de 24 ans est secrétaire de cette association sportive. Et elle ne regrette pas d'avoir suivi Stéphane Allart et Cyril Bourguignon, respectivement vice-président et président du collectif. Thibault aussi côtoyait les deux présidents du club dans le monde professionnel. Et il s'est laissé convaincre. «C'est le côté urbain qui me plaît avant tout: on a un club, une balle, et on peut sortir dans la rue.»
Un club, des gants, une balle et Thibault peut partir à la recherche de nouveaux spots.
Thibault a fait du skateboard, dans sa jeunesse. Il retrouve, dans le street golf, quelques points communs. «Le skate aussi c'était la liberté totale. Skate ou golf, on redécouvre le paysage urbain, de façon complètement différente. Aujourd'hui, on marche en ville, on passe devant des endroits et l'on se dit "si j'avais mon club dans la main". En fait, on se réapproprie l'espace urbain, sinon, on n'est rien que des passants.»
De fait, cette esplanade devant le Pôle emploi, plutôt austère et stérile, se révèle être un parfait terrain de jeu pour Cyril Bourguignon et ses acolytes. Sans hésiter, le golfeur des rues la place parmi les meilleurs spots de la capitale picarde. Devant le parc du grand marais, le parvis de la cathédrale, l'hôtel de ville, les pelouses de la Vallée des vignes.
Mais occuper la ville n'est pas sans causer quelques soucis. Ne serait-ce que pour les passants de ces rues. En ville, aucun des joueurs n'utilise de vraies balles de golf, mais des balles en mousse, pour les initiations. Ou des balles dures, mais bien plus légères. Qui ne les affranchissent pas d'interrompre le jeu lorsque des promeneurs traversent leur green. «Même si elles sont plus légères, ce n'est pas agréable de recevoir une balle», témoigne Cyril Bourguignon.
C'est aussi pour cette raison qu'ils préfèrent sortir la nuit ou le dimanche: pendant la journée, les plupart des sites sont bien trop fréquentés pour pouvoir y jouer au street golf.
D'ailleurs, à force de se réunir à la tombée de la nuit, armés de bâtons, les golfeurs ont attiré l'attention des forces de l'ordre. «La police est déjà venue voir ce que l'on faisait, sur le parvis de l'hôtel de ville. Mais on leur a expliqué, ils ont vu que nos balles n'étaient pas dangereuses, l'un d'entre eux a même tapé une balle avec nous» se rappelle le président de l'association. Désormais, leur activité est bien identifiée, municipalité et forces de l'ordre ont bien conscience de l'innocuité du street golf.
Cette année le street golf amiénois a prévu de rester à domicile.
Cette année, pas de championnat de France pour l'équipe amiénoise. Après deux années où l'organisation de tournois a mobilisé leurs forces, ils espèrent prendre le temps de jouer, s'améliorer, découvrir en ville de nouveaux spots. Et faire connaître un peu mieux leur discipline dans leur propre région.
J'ai rencontré les membres du collectif lors de leur deuxième entraînement de la saison, vendredi 22 mars. Tous les clichés de l'équipe ont été pris ce soir-là.
Les clichés diurnes ont été pris dans les friches de la Coop où, visiblement, certains street golfeurs avaient leurs habitudes.