Soleil radieux, onze heures ce samedi matin, le parc du Grand marais est presque vide. À peine une poignée de familles pour remplir les hectares du poumon vert d'Étouvie.
Il y a bien quelques jeunes en vêtements de sport, vingt à trente ans, tous plus ou moins athlétiques. Ils ont investi certains des jeux d'enfants qui jouxtent le skate park. Ils enchaînent les pompes, les abdominaux et les tractions, puis des exercices défiant les lois de la physique.
Sans les pieds! Un flag (drapeau, en français) au Grand Marais
Si vous allez leur demander comment ils tiennent à l'horizontale à un mètre du sol, méfiez-vous. Ils pourraient bien vous embrigader dans cette séance de gymnastique très particulière, qui les réunit presque chaque semaine. Cela pourrait être pour votre plus grand bien, si l'on excepte les courbatures du lendemain.
Sur les réseaux sociaux, on les retrouve sous le nom d'«Amiens Barstarzz*». Une appellation empruntée aux plus connus représentants américains de la discipline.
Leur entraînement, c'est celui de la méthode Lafay. Du nom de ce français qui a théorisé, il y a quelques années, une technique de musculation sans machine, ni accessoire. Une technique qui dérive de la bonne vieille gymnastique. Ici, le seul poids que l'on soulève est celui de son propre corps, la seule force contre laquelle on s'exerce est la gravité. Et c'est bluffant.
Thevada Dek fait la planche... et sa photo circulera sur Facebook, twitter ou Instagram pour motiver les compagnons absents ce jour-là
Tout commence avec Thevada Dek. Essayez de penser à tous les arts martiaux dont vous avez déjà entendu parler. Il est probable que le comédien français de 26 ans les a pratiqué, peu ou prou. Même si sa discipline de prédilection reste le kung-fu. Un sport qui l'a mené, il y a cinq ans, jusque devant les télévisions chinoises, dans une émission de télé-réalité qui cherchait un «disciple» à Jackie Chan.
*«vedettes des barres» en anglais, jouant sur la ressemblance avec le mot bastards : «bâtards.»
Mais revenons en France : Thevada vient d'Étouvie et y vit encore quand il n'est pas à Paris pour animer une émission de télévision (TF6, Disney Channel...).
Un complément de musculation
Pour acquérir de la puissance, les arts martiaux ne suffisent pas. Thevada, comme beaucoup de sportifs, fréquentait les salles de gym et soulevait de la fonte. Jusqu'à ce qu'il découvre le livre d'Olivier Lafay. Une méthode originale composée d'exercices de gymnastiques qui ne nécessitent que quelques appuis et un barre de traction.
Il découvre des vidéos des meilleurs représentants de la discipline sur Youtube. Notamment celles de Hannibal For King, un New-Yorkais qui, à première vue, doit passer beaucoup d'heures à s'entraîner dans les parcs de Brooklyn.
Le champion d'arts-martiaux motive quelques amis pour l'accompagner dans ces séances de sport puis, le bouche-à-oreille aidant, le petit groupe amiénois s'agrandit: les amis des amis, les voisins, les connaissances, tous ceux qui ont l'ambition de cultiver leur corps, de le modeler ou de gagner en force. Il est même arrivé que des curieux croisés sur le parc les rejoignent pour quelques séances.
Chacun, quelque soit son niveau, est invité à participer: on s'arrête quand on veut!
Depuis deux ans qu'ils se réunissent, ce sont près de cinquante personnes qui ont suivi l'entraînement, de façon plus ou moins prolongée, plus ou moins assidue. Dernièrement, C'est Gilles Demailly et l'adjoint aux sports qui sont venus rendre une visite surprise aux sportifs de jardin public.
La liberté en pratique
«Le vrai intérêt, c'est de pouvoir pratiquer où que l'on soit, quand on le désire et sans aucun matériel», explique le champion d'arts martiaux : C'est cette liberté qui l'a séduit. «Les salles de sport sont chères, et l'on est plus souvent sujets aux blessures lorsque l'on manie des poids trop lourds, trop violemment.»
C'est ce qui est arrivé à Cédric. Le jeune homme de 24 ans, qui commence des études d'arts plastiques, fréquente le petit groupe depuis quelques mois. «Je cherchais à être plus athlétique, alors je faisais de la musculation en salle, sur des machines. Et puis, il y a trois ans, je me suis blessé, j'ai dû arrêter pendant plusieurs mois.» C'est Thévada qui lui a parlé des entraînements communs, et l'a convaincu de se joindre à eux.
Évidemment, cette musculation à l'air libre doit se pratiquer avec précaution, mais Thevada est plutôt satisfait : «jusqu'à présent, on n'a eu aucune blessure dans le groupe.» Tous pratiquent une autre activité sportive : football, arts martiaux, au moins la course à pied. Tous savent que la musculation n'est pas suffisante pour développer les capacités du muscle cardiaque.
Le flag et le dragon flag
L'entraînement dure environ deux heures. Première étape, l'échauffement. Des séries de pompes et de tractions, des abdos et d'autres exercices qui réveillent des muscles dont vous ignoriez l'existence. Quelques flexions, des ronds de jambe, et puis les choses sérieuses commencent.
Le dragon flag de Soob. Déconseillé pour votre première séance
Ce matin-là, Thévada et son ami Soob sont les plus calés. Ils montrent aux autres le dragon flag. Les épaules reposant à terre, l'exercice consiste à bander son corps de la verticale à l'horizontale et, bien entendu, de remonter à la verticale. Soob, karaté et tae kwon do sur le CV et deux ans de Barstarzz derrière lui, plie comme un roseau.
Mais pour les débutants, pas besoin de descendre aussi bas
Après lui c'est au tour de Stéphane, seulement trois séances de gym à son actif. Plus précautionneux, il se cale les épaules à terre, atteint la verticale. Il ne descendra son corps que de quelques dizaines de degrés, mais recueillera les encouragements de toute la troupe.
«L'intérêt de tout ça, c'est de progresser, chacun à son rythme, dans une ambiance détendue, sans pression, mais en s'encourageant mutuellement», explique Thevada. Lui même progresse lentement dans les exercices, suivant pas à pas le livre de Lafay. Stéphane, Cédric, Soob et Wilfrid acquiescent : chacun à un niveau différent, tous trouvent leur compte dans cet entraînement. Certains ont perdu du poids, d'autres en ont gagné, en muscle. Et tous sont bien contents, le lendemain, de leurs courbatures.
Samedi dernier, ils étaient cinq à participer à entraînement qui s'est décidé, un peu à la dernière minute, sur le groupe facebook «Amiens Barstarzz». Avec la rentrée scolaire, les habitués ont encore besoin de s'organiser.
Mais le groupe espère bien gagner en effectif «On est vraiment ouverts à tous, à tous âges et tous niveaux. Des nouveaux se greffent à notre groupe à chaque fois ! J'aimerais bien que l'on soit plus nombreux encore, à s'encourager et que la discipline soit aussi répandue qu'aux États-Unis.»
Certes, si les Barstarzz d'Amiens étaient cinquante à s'entraîner en même temps, ils seraient probablement un peu à l'étroit sur les jeux du parc du grand marais. Sans compter les enfants qui s'y dégourdissent les jambes en les toisant, l'air amusé ou dubitatif.
Mais pendant la rencontre avec Gilles Demailly, il a justement été question d'un parc d'activités pour adulte, qui conviendrait mieux à leur activité et qui pourrait se construire au parc Saint-Pierre. Thevada Dek a déposé des plans à la mairie Sud-Est.
Qui sait, peut-être la mairie exaucera-t-elle les vœux des jeunes sportifs.
J'ai rencontré Thevada Dek et ses compagnons d'entraînement, le samedi 8 septembre, au parc du Grand marais, où ils se donnent habituellement rendez-vous, après les avoir contactés via leur page Facebook.
J'ai participé à leur entraînement, dans les limites de mes capacités physiques, jusqu'au dragon flag. Mais le souci de transparence m'oblige à signaler que je n'ai pas tenté le flag, ni les elbow dips.