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Refondation de l'École: une méthode contestée

Le 18 September 2012
Reportage commentaires
Par Fabien Dorémus A lire aussi

François Hollande veut être l'homme du consensus. Son arme? La concertation, qu'il décline à l'envi dans tous les domaines, dont l'éducation. Ce lundi à Amiens, dans les locaux du Centre régional de documentation pédagogique (CRDP), se tenait le grand forum/débat pour «refonder l'École de la République», impulsé par le ministère de l'Éducation et organisé par le rectorat d'Amiens. Plus de 250 personnes s'y sont déplacées. Un succès, à première vue.


Devant le CRDP, rue Saint-Leu à Amiens.

Mais qui étaient tous ces gens? Il suffit pour le savoir de consulter les feuilles d'émargement, car après une petite heure d'introduction l'assemblée s'est dispersée en petits groupes autour de trois ateliers.

Grand gagnant en terme d'affluence, l'atelier A sur le décrochage scolaire dans le second degré a rassemblé plus de la moitié des participants. Pas étonnant, la Picardie est malheureusement «médaille d'or» en ce domaine, selon l'expression de Bernard Beignier, recteur de l'académie d'Amiens.

Davantage de cadres que d'enseignants

Sur les 133 personnes qui ont émargé à cet atelier, on comptait 48 chefs d'établissements (principaux, proviseurs, et adjoints) pour seulement 9 enseignants de base. Les cadres supérieurs de l'Éducation nationale réussissaient même à être plus nombreux que les enseignants, on pouvait compter en effet 13 Inspecteurs de l'éducation nationale (IEN) dans la salle.

Les enseignants bouderaient-ils le débat? Rien n'est moins sûr. La raison de cette défection est simple: le lundi, les profs sont en classe. Pour la FSU, il fallait organiser une ou plusieurs journées banalisées pour permettre à tous les enseignants de participer à la refondation de l'École. Mais pour le recteur de l'académie d'Amiens, il était impossible de supprimer des journées de cours puisque «cette année, il y a déjà deux jours et demi de vacances supplémentaires à la Toussaint, sans compter la position problématique des jours fériés des mercredi 8 et jeudi 9 mai 2013» qui pourraient engendrer un pont le vendredi.

Concertations parallèles

Bernard Beignier réfute également toute volonté d'écarter les enseignants. «La FSU [syndicat majoritaire chez les profs, ndlr] n'est pas éliminée, la concertation pour les syndicats est davantage nationale que locale, indique-t-il. Par ailleurs, plus de 3200 enseignants de Picardie ont déjà répondu à notre questionnaire en ligne». Enthousiaste, Bernard Beignier estime que la concertation permet «vraiment à la société de participer au débat».


Bernard Beignier, recteur de l'académie d'Amiens.

Mécontente, la FSU a plus ou moins tourné le dos à la concertation. Le Snuipp-FSU (premier degré) a organisé une sorte de concertation parallèle. «Les enseignants des écoles sont invités, de septembre à octobre, à remplir un questionnaire distribué à 250 000 exemplaires, peut-on lire sur leur site. Il s’agit pour le syndicat, de recueillir l’opinion des enseignants, de leur redonner la parole, une parole aujourd’hui bien absente du débat public sur l’avenir de l’école et de leur métier.» Recueillir la parole, sans la contrôler, précise-t-on, car les questionnaires sont anonymes, recueillis et traités par l'institut de sondages Harris Interactive.

Chez le Snes-FSU (second degré), on organisera des États généraux plus tard, en octobre. C'est une autre forme de concertation qui entend se distinguer du forum/débat de lundi, jugé largement insuffisant. Dès la fin août, le Snes-FSU prédisait que le forum officiel «se contentera de faire entendre la parole d'experts auto-proclamés ou « chargés de mission » de l'administration, dans le cadre de débats qui ne dépasseront pas les deux heures, pour traiter de sujets aussi complexes que la prévention du décrochage ou l'articulation second degré-supérieur».

Quoiqu'il en soit, des débats ont bien eu lieu ce lundi matin. Dans l'amphithéâtre du CRDP, les ateliers ont duré deux heures environ. Chacune des personnes présentes pouvait prendre la parole grâce à un micro qui circulait de main en main. Et les participants s'en sont donné à coeur joie.

Les compétences plutôt que les connaissances

«Il faut que les élèves aient la possibilité de parler d'eux, que l'école soit plus humaine», commence une représentante de parents d'élève (FCPE), dans l'atelier sur le décrochage scolaire. «Les jeunes ont besoin de se projeter, de rêver», continue un associatif. Une enseignante d'un collège de Creil souhaite quant à elle que les équipes pédagogiques aient le temps en début d'année de se réunir afin de repérer les «exclus de l'intérieur». Ce sont ensuite les programmes trop lourds qui sont pointés du doigt par un autre intervenant: «Il faut privilégier les projets. Des projets qui donnent du sens à l'activité des élèves». Puis, un proviseur regrette que le lycée professionnel soit toujours considéré comme une «voie de l'échec».


Dans l'atelier «Prévention du décrochage scolaire».

Pendant deux heures, chacun y va de son expérience, de son point de vue. À la fin de chaque intervention, Jean-Jacques Savey, chef du service académique d'information et d'orientation, prend le micro et tente de faire une petite synthèse «sans dénaturer les propos».

Les petites synthèses accumulées en formeront une grande qui sera remontée à Paris le 26 septembre lors de la clôture nationale de la concertation. Un rapporteur essaiera alors, à partir de toutes les contributions, de distinguer «ce qui émerge du pays», selon les mots du recteur. Vaste travail.

Certains semblent d'ores et déjà en connaître les conclusions. Gilbert Leclère, inspecteur de l'éducation nationale chargé de l'information et de l'orientation, fait partie de ceux-là. «La mise en place du socle commun de connaissance [introduit par la loi Fillon de 2005, ndlr] a été une révolution. On va évaluer de plus en plus les compétences.» Mais encore? «Il ne s'agit plus simplement d'acquérir un savoir, ajoute Jean-Jacques Savey, le travail sur les compétences concerne aussi bien les aptitudes que les attitudes de l'élève.»

Dans l'œil du Télescope

Toutes les personnes citées ont été rencontrées lundi matin au CRDP d'Amiens, lieu de la concertation.