L'affiche de l'édition 2013 du festival.
Après l'Afrique du Sud l'an dernier c'est l'Italie qui sera mise à l'honneur cet année au travers d'une rétrospective consacrée aux grands chefs-opérateurs italiens. Une autre rétrospective concernera les œuvres uniques avec, notamment, La nuit du chasseur de Charles Laughton ou encore Maximum Overdrive, seule expérience de l'écrivain Stephen King derrière la caméra.
Quant à la grande rétrospective de l'édition 2014, Fabien Gaffez, le directeur artistique du Festival international du film d'Amiens (Fifam) tient évidemment à en garder la primeur mais il annonce une rétrospective particulièrement surprenante et la présence possible d'un acteur-réalisateur star du cinéma populaire français, sans en dévoiler davantage.
C'est en résumé l'esprit du Festival international du film d'Amiens: à la fois cinéphile et populaire, qui transparaît dans le programme de novembre 2014. Aujourd'hui, ce festival a trouvé sa place nationalement. Mais à l'origine, il y a près de 34 ans, c'est grâce au militantisme de quelques passionnés de cinéma que ce festival s'est créé.
Afin de découvrir ou redécouvrir l'histoire du Fifam, nous avons rencontré Jean-Pierre Garcia, co-fondateur et directeur du festival pendant près de trente ans et Hélène Rigolle, secrétaire générale du festival. Entretien.
Le Télescope d'Amiens: pourquoi avoir créé un tel festival à Amiens?
Jean-Pierre Garcia: J'étais responsable de l'antenne du Mrap [le Mouvement contre le racisme et pour l'amitié entre les peuples, ndlr] d'Amiens et aussi l'un des créateurs d'une revue locale qui s'appelait Cinécritique, que l'on avait créée en 1972. C'était une revue d'une vingtaine de pages qui sortait toutes les semaines et que nous vendions dans les restaurants universitaires et ensuite auprès des marchands de journaux d'Amiens. Puis nous avons commencé à organiser des soirées thématiques à la salle Dewailly. Et un jour nous avons lu dans le journal Libération un article traitant d'un film de Sembène Ousmane, un cinéaste africain. Le film nous a beaucoup plu sur le papier et nous avons donc eu envie de le voir. Mais impossible de le trouver.
Pourquoi ça ?
J.-P. G.: Il y a des films qu'on ne peut trouver que dans des festivals parce qu'ils ne sont pas encore en distribution. Ne doutant de rien, il nous prend alors l'idée de créer un festival de cinéma, ce qui nous permettrait de projeter des films que nous ne pourrions pas voir autrement. Comme j'étais au Mrap en même temps nous nous sommes dits que plutôt que de montrer des films contre le racisme, il serait plus pertinent de passer des films sur la vie, l'imaginaire, les légendes, les cultures... des pays du Sud, en l'occurrence des films africains. Comme le Mrap voulait également faire un festival sur ces thèmes là et que je m'occupais des affaires culturelles, j'ai pris la tête des opérations. Nous avons pu rencontrer le maire d'Amiens qui a trouvé l'idée fort séduisante et le festival était né.
Lors d'une séance de cinéma du festival (crédit photo: Loïc Ledoux).
C'est vraiment la municipalité qui nous a mis le pied à l'étrier. Ensuite le Conseil général et le Conseil régional ont suivi. Et très vite nous avons reçu le soutien du CNC et de différents programmes. D'emblée nous avons créé une association spécifique pour le festival, regroupant à la fois des membres du Mrap et de la revue Cinécritique. Et nous avons réalisé un galop d'essai en 1979 pour mesurer la réception du public. En 1982, nous avons réalisé que le festival prenait vraiment de l'ampleur. La fréquentation a grimpé petit à petit et le festival a conquis peu à peu toute une génération, dont les enfants viennent aujourd'hui. Lors de la première édition en 1980 le festival avait attiré environ 6500 spectateurs, trente ans plus tard il en accueille chaque année près de 60000.
Comment définiriez-vous l'esprit du festival?
J.-P. G.: L'esprit du festival c'est de proposer au public des choses nouvelles, qu'ils ne pourraient voir ailleurs et leur offrir un nouveau regard sur le monde et sur autrui. Au fur et à mesure que le festival s'est développé nous nous sommes aperçus que le racisme était quelque chose de trop réducteur et nous avons ouvert le festival. Nous avons souvent essayé de mettre en écho différentes visions à travers le cinéma. Présenter d'un coté une culture du Sud et de l'autre la représentation de cette culture dans le cinéma mainstream. Par exemple, en 1987 nous avons consacré une rétrospective aux Indiens d'Amérique en projetant à la fois des films tournés par les Indiens eux-mêmes et la représentation des Indiens dans le cinéma Américain. C'est un vrai travail d'analyse afin de faire surgir des choses de cette identité. Le festival se veut éclectique, ouvert et curieux.
Le Fifam met en lumière des cinémas méconnus voire inconnus. Comment trouver l'équilibre entre votre engagement cinéphile et la volonté de faire de ce festival un événement populaire?
Hélène Rigolle: Le festival aura 34 ans cette année et je pense que les gens ont confiance, ils ont grandi avec le festival. C'est un témoignage de confiance que le public nous offre en revenant chaque année, même s'ils ne connaissent pas les auteurs. Ils souhaitent les découvrir justement parce qu'ils connaissent la qualité du festival et ils se laissent donc guider à la découverte d'auteurs de cinéma.
Et puis cinéphile ne signifie pas non plus élitiste. Avec 58 000 spectateurs on ne peut pas dire qu'on est élitiste. Le festival veut être quelque chose de qualité, cinéphile et populaire à la fois.
J.-P. G.: C'est à force de travail que l'on parvient à trouver l'équilibre. Ce qui est le plus important je crois c'est que le public sache qu'il va y trouver de l’intérêt, du point de vue cinéma pur ou du point de vue de la découverte d'un pays, d'un voyage, d'une situation thématique particulière...
Le Fifam s'intéresse aux nouveaux cinéastes mais il permet de redécouvrir des œuvres à travers des hommages et rétrospectives. Pourquoi est-ce important pour vous de regarder en arrière?
J.-P. G.: Le festival a toujours eu ce double objectif et Fabien Gaffez, le directeur artistique, continue en ce sens: premièrement de défricher de nouveaux territoires des cinémas et, deuxièmement, de retourner vers les maîtres de l'histoire du cinéma. Le festival propose à la fois un voyage dans l'espace et dans le temps. C'est jouissif de faire découvrir à des jeunes des films en noir et blanc, muets de surcroît, et de casser leurs a priori. Le cinéma muet a posé toutes les bases de l'écriture cinématographique, sous toutes ses formes. C'est fondamental de se replonger dans l'histoire du cinéma.
H. R.: C'est comme pour tout, l'histoire c'est le socle de tout. On est tous le fruit de nos racines et il en est de même pour le cinéma. Les différents courants nourrissent les auteurs d'aujourd'hui. Nous avons proposé l'année dernière l'intégrale de Gérard Blain et il s'est avéré que Guillaume Brac, qui avait été primé ici pour son moyen-métrage, en est un grand admirateur. C'est comme pour tout, c'est important de savoir et de connaître ce qui a été fait avant.
Le festival attire près de 60 000 spectateurs par an (crédit photo: Loïc Ledoux).
Le Fifam diligente chaque année l'attribution de bourses au travers du fonds d'aide au développement des scénarios. Pourquoi?
J.-P. G.: En tant que festival nous nous sommes demandé ce que nous pouvions apporter aux cinéastes. A partir de là et de plusieurs rencontres, nous avons décidé de créer le fond d'aide au développement du scénario. Nous avons d'abord créé la revue Le film Africain et du Sud en 1991 pour fournir aux cinéastes différentes informations concernant notamment le financement.
A la suite de quoi nous avons créé un guide pratique qui s'appelait Sous l'arbre à palabre sur les différents financements et les aspects juridiques. Tout cela a fait que le festival d'Amiens s'est taillé une place originale du point de vue professionnel par rapport aux cinémas du Sud et du cinéma Africain en particulier. Le festival continue sur ces aspects là. Chaque année, cinq bourses de 10000 euros sont attribuées sur des projets différents.
Quel regard portez-vous sur l'édition 2013?
H. R.: Malgré le jour férié qui suivait le week-end, le public était au rendez-vous et enthousiaste, même sur des rétrospectives moins faciles d'accès comme le néoréalisme italien. La ligne de conduite est toujours la même, la philosophie reste la même.
Mais ce qui nous a posé beaucoup de problème c'est le passage au numérique, puisque à la Maison de la culture, qui est quand même le centre névralgique du festival, une seule salle était équipée. Aujourd'hui neuf films sur dix sortent exclusivement en numérique. Et s'équiper en numérique a un coût. Cette transition numérique qui va être déterminante pour les années à venir. On est vraiment à un moment clé du festival; si on loupe une marche, c'est quasiment condamner le festival.
Comment s'organise un tel festival tout au long de l'année?
H. R.: C'est un travail de longue haleine. On peut diviser la préparation du festival en deux temps: le premier, celui de la sélection, au cours duquel les membres du comité artistique repèrent des films dans d'autres festivals, d'autres manifestations. Nous recevons, nous aussi, beaucoup de films qui sont visionnés, et on élabore ensuite une programmation.
Dans le deuxième temps de la préparation l'équipe est renforcée au fur et à mesure à partir de septembre et on en arrive au moment du festival, en novembre, à une quarantaine de salariés. Ce deuxième temps comporte des actions très différentes: la recherche de copies, les programmes des scolaires, l'accueil des invités, le catalogue en lui-même qui est un poste important aussi. Il y a également tout le travail fait en amont: la recherche de partenariats, le maintien de partenariats existants à entretenir, la recherche de subventions... un festival s'entretient, et c'est beaucoup de temps.
2014 est une année d’élections municipales, ça change quelque chose pour vous ?
H. R. : Les années électorales c'est toujours un peu particulier parce que tout est bloqué jusqu'aux élections. Amiens métropole représente, pour nous, la plus grosse subvention. Étant conventionnés à l'année on n'est sûrs de rien. Mais nous avons quand même la chance d'être dans une ville qui dispose d'une offre culturelle assez importante, il faut s'en féliciter.
Des bobines de films, avant le passage au numérique (crédit photo: Émilie Pillot).
Quels sont les projets d'avenir, les idées de développement du festival?
H. R.: Des projets il y en a plein. D'abord nous souhaiterions nous engager toujours davantage auprès des professionnels pour soutenir la création. Nous aimerions aussi faire des gros focus sur les métiers de la direction de la photographie comme nous le faisons depuis trois ans afin de faire connaître ce métier. Ensuite, nous voudrions aussi soutenir les cinémas d'Europe du Sud, pour montrer la vitalité et le dynamisme de la création Européenne. Après, peut-être passer au numérique nous aussi pour notre revue Le film Africain et du Sud par exemple, créer des newsletters un peu plus récurrentes, et à terme en sortir une version numérique sur tablette. C'est un peu accompagner cette transition numérique sur tous les domaines du festival. Et puis poursuivre les projets qui restent au cœur du festival, montrer des choses que personne ne voit.
Quels sont vos rêves, votre vision idéale du festival?
H. R.: C'est impossible d'y trouver une réponse, le festival est tellement riche et nous avons tellement d'envies et qui fluctuent en fonction des moments. Le rêve du festival c'est qu'il trouve toujours son public et qu'il garde son indépendance et son libre arbitre, qu'il soit toujours aussi populaire et cinéphile.
J'ai obtenu un entretien avec Hélène Rigolle dans ses bureaux de la Maison de la culture d'Amiens, le mardi 25 février. Le lendemain j'ai rencontré Jean-Pierre Garcia au Crotoy. Je me suis également entretenu avec Fabien Gaffez par téléphone.