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Neuf jeunes d'une PME disent non à leur patron

Le 27 July 2013
Reportage commentaires
Par Mathieu Robert

Depuis lundi, neuf jeunes techniciens de l'entreprise HB Telecom ont planté leur piquet de grève sur un rond point de la zone artisanale de la Haute borne à Rivery. Sans représentant syndical, ni menace de fermeture ou de licenciement, ces salariés âgés de 24 à 30 ans ne se sont pas démontés et ont décidé de passer à l'offensive contre leur employeur.

Leurs griefs: des retards dans le paiement des salaires et des conditions de sécurité insuffisantes. «Là-bas, c'est marche où crève», se souvient un ancien employé.


Huit des neuf salariés grévistes, mardi

Les techniciens en grève cette semaine interviennent pour des pannes ou des raccordements sur le réseau téléphonique d'Orange, ex-France Télécom. Pourtant ce ne sont pas des salariés d'Orange. Ils ne sont même pas sous-traitants d'Orange, mais sous-traitants de l'un des principaux sous-traitants d'Orange en France : Constructel.

Propriété de la multinationale portugaise Visabeira, Constructel est une jeune société en plein essor dans le secteur des télécommunications, très active dans la sous-traitance des activités d'Orange, mais aussi dans la mise en place des réseaux de fibre optique à travers la France.

Elle est dite «mandataire» de sept marchés publics d'Orange pour la maintenance du réseau, dont un concerne la région Picardie. Mais la société sous-traite elle-même ce service à HB Télécom, sur des zones délimitées, réparties sur les départements de l'Aisne et de la Somme.http://www.constructel.fr/content-projets.aspx?pid=11&cid=11

Au bout de cette chaîne de sous-traitance: les salariés de HB Télécom. Ils dénoncent des salaires versés avec plusieurs semaines de retard. «On vient tout juste de toucher notre paye de juin. Cela dure depuis quelques mois.» Et ce n'est pas nouveau. Un ancien salarié, qui a quitté l'entreprise il y a trois ans, assure qu'il connaissait déjà les mêmes déboires à cette époque.

«Ce qu'il fait subir à ses salariés n'est pas humain»

Le gérant d'HB Telecom, Hassan Bayoumi, ne souhaite pas s'exprimer. D'après son avocat, les retards de paiements sont dus à la santé fragile de l'entreprise. «Ce n'est pas une entreprise qui va déposer le bilan, mais il y a des problèmes de trésorerie», assure-t-il.


Les locaux d'HB Télécom, zone artisanale de la Haute borne à Rivery

Il défend son client en plaidant pour des erreurs de jeunesse: «C'est une jeune entreprise qui a grandi rapidement. Elle est gérée par un jeune dirigeant, qui a une formation d'ingénieur. Il a plus un profil de technicien que de gestionnaire».

Le client d'HB Télécom, Constructel assure qu'il ne peut pas être à l'origine des problèmes de son sous-traitant. «Nous n'avons jamais de retards de paiement. Nous payons en début de mois, assure Paulo Duarte, directeur financier de Constructel. Je peux même vous dire qu'HB Télécom a recours à de l'affacturage.»

Si HB Télécom fait de l’affacturage, cela veut dire que, lorsque la société émet une facture pour une mission sous-traitée par Constructel, c'est une banque qui avance l'argent. Cet intermédiaire, appelé «factor» prend au passage son pourcentage. Et c'est ensuite Constructel qui paiera la facture. Une solution qui doit en principe limiter les problèmes de trésorerie d'HB Télécom.

Aujourd'hui ce sont les salariés qui subissent les problèmes de gestion de l'entreprise. Et pas seulement via des retards de paiement. «C'est un bosseur, confirme un ancien salarié d'HB Télécom, à propos de son ancien patron. Mais ce qu'il fait subir à ses salariés n'est pas humain.»

«J'ai déjà parcouru 40 kilomètres sans freins»

Car l'autre point dénoncé par les salariés en grève, ce sont les conditions de sécurité que leur impose leur employeur, notamment l'état des véhicules d'intervention. «Sur les dix camions de l'entreprise, seulement deux sont en état», estiment-ils.

«J'ai déjà parcouru 40 kilomètres sans freins», assure l'un des grévistes. Un ancien salarié raconte la même histoire. «Je suis déjà parti au boulot avec un fourgon-nacelle dont les freins ne marchaient pas. Le patron m'a dit qu'il réparerait le soir même. Il a mis trois jours!».

Les salariés affirment également être obligés de travailler seuls avec des fourgons-nacelles , «en monôme», alors que le Code du travail impose, selon eux, d'être en binôme. «Si la nacelle se bloque, il y a un poste bas dans le fourgon afin que la deuxième personne récupère celle bloquée dans le panier. Et si ce poste ne marche pas, il y a en bas un poste manuel pour descendre la nacelle», explique un ancien salarié.

Ce n'est pas tout. Ils assurent aussi être contraints d'intervenir avec des échelles à plus de trois mètres de hauteur, «huit mètres parfois», alors que l'intervention d'un fourgon-nacelle s'impose dans ce cas. «Dans d'autres entreprises, tu expliques simplement que tu repasseras le lendemain avec une nacelle. Là-bas, non», indique un ancien salarié.

Chez Orange, on assure ne pas être en contact direct avec HB Télécom. «Nous n'avons pas de contrat en direct avec HB Télécom, explique Barbara Faucillon, responsable relation presse chez Orange. Il y a des opérations de contrôle réguliers chez nos mandataires. Nous n'avons jamais eu de problème particulier avec Constructel.»

«Nous nous plaçons déjà dans l'optique d'un licenciement économique»

Mardi, un inspecteur du travail est venu visiter l'entreprise à la demande des salariés grévistes. «Il a relevé des infractions et doit envoyer une lettre au gérant, assure Yohan Flament, l'un des techniciens en grève. Nous n'en connaissons pas le contenu». Mais depuis, le gérant a pris des mesures pour palier l'état des véhicules. «Trois nacelles ont été déposées dans un garage, et l'Apave [une société de contrôle, ndlr] doit venir lundi pour des contrôles techniques».

Côté finances, les choses avancent moins vite. «Le patron est venu nous voir pour nous dire qu'il avait demandé des demandes de découvert, et que sinon il n'y avait plus d'autres solutions», expliquait mercredi soir Yohan Flament. Le lendemain, la situation n'avait pas évolué. «Nous attendons qu'il nous apporte un écrit de la banque qui l'autorise à un découvert. Mais nous nous plaçons déjà dans l'optique d'un licenciement économique», explique le salarié.

Après une semaine de grève, en période de forte activité, la situation devrait rapidement évoluer pour cette petite entreprise. «Il faut trouver rapidement un accord avec les salariés sinon on court à la catastrophe, car le principal client les a déjà menacé de cesser toutes relations commerciales», analysait, cette semaine, l'avocat du gérant.

Si cette grève sonne la fin de la SARL HB Télécom, son client Constructel devra trouver un moyen de palier sa disparition. Soit en recrutant en interne, soit en augmentant l'activité de l'un de ses concurrents, comme la SARL amiénoise TIT, basée rue Dejean.

Dans tous les cas, ces entreprises auraient alors un besoin urgent de main d’œuvre. «Si on quitte HB Télécom, nous ne serons pas perdus», assure l'un des grévistes.