«Ça fait partie des grandes manœuvres de ces municipales», concède Jean-Michel Dellis, secrétaire départemental du Parti de gauche.
Alors que le Parti communiste français (PCF) ne doit se prononcer qu'en octobre sur sa stratégie pour les municipales (voir notre article), et que les élus municipaux communistes assument fièrement le bilan de la majorité municipale Demailly, tout portait à croire que les communistes reconduiraient à Amiens la stratégie d'une alliance avec les socialistes pour les prochaines municipales.
Mais c'était sans compter sur quelques trouble-fête. Le 19 mai dernier, Dolorès Esteban, présidente de l'association de sauvegarde du site Château-blanc, assistante de Maxime Gremetz lors des élections cantonales de 2011, nous faisait parvenir un «manifeste pour un appel à la constitution d'une liste municipale réunissant des Amiénois d'horizons divers, les plus larges possible, écologistes, socialistes, communistes, citoyens déçus de la municipalité actuelle.»
Éviter la division
A l'instar du PCF ou du Parti de gauche (PG), elle organisera des ateliers, des débats cet été pour discuter d'un programme, qui sera lui «d'opposition au bilan de l'actuelle municipalité».
Au Parti de gauche, l'idée séduit car elle entre en résonance avec la volonté de monter une liste autonome Front de Gauche à Amiens. «Le Parti de gauche s'est prononcé pour une liste autonome, explique Jean-Michel Dellis. Nous avons des contacts avec Dolorès Esteban, nous participerons aux ateliers qu'elle organisera, comme à ceux du PCF ou de Gauche unitaire.» Seule condition à la création d'une liste autonome: «Nous ne prendrons pas d'initiative qui pourra nous diviser et favoriser le retour de la droite à Amiens».
L'initiative relance la dynamique de ceux qui veulent, à gauche du PS, un liste autonome aux municipales. «Mais il faut convaincre nos partenaires du Front de gauche», explique Jean-Michel Dellis.
Cela tombe bien. Le 9 juin dernier, Gauche unitaire (GU) a fixé une stratégie nationales pour les municipales proche de celle du Parti de gauche. «Initier des listes autonomes au premier tour, présente Julien Vicaine, secrétaire départemental du parti. Mais l'idée, c'est de travailler à l'unité du Front de gauche. Le chantier à Amiens, c'est de mener les discussions au sein du Front de gauche, et ensuite seulement, d'ouvrir les discussions».
Dernier acteur à convaincre et pas des moindre: le PCF amiénois et ses huit élus municipaux de la majorité. Parmi eux, Laurent Beuvain, ancien secrétaire de la section amiénoise, n'est pas tendre avec Dolorès Esteban. «Elle ne s'est jamais fait connaître auprès du Front de gauche, n'a jamais participé à la dynamique. On ne peut pas jouer en équipe de France, si on est en équipe amateur», explique l'élu communiste de la majorité sortante, qui parle d'elle comme d'un «coucou qui veut dormir dans un nid qu'elle n'a jamais construit», un «jouet de Gremetz, qui réapparaît à chaque élection».
«Je ne le connais pas, répond la présidente de l'association Château-blanc. Mais pour moi, il fait parti de ceux qui ont acquiescé à tout ce que le PS a fait dans cette ville. Il est discrédité.»
Au PCF, Dolorès Esteban a su trouver d'autres appuis que les élus municipaux fidèles à leur majorité. Notamment en la personne de l'élu municipal dissident (voir notre article) Cédric Maisse. «Je me suis plutôt rapproché de Cédric Maisse, car c'est le seul qui avait tiré la sonnette d'alarme sur le réseau de bus».
Récemment congédié du comité de section du PCF amiénois, Cédric Maisse y représentait tout de même, en janvier dernier, «25% des voix à la tête d'une liste alternative».
Et l'élu ne souhaite pas reformer une coalition avec le PS aux prochaines municipales. «C'est le bilan de la municipalité qui me gène. Si encore il y avait eu au PS des personnes pour s'élever contre la politique menée par Demailly, mais ce n'a pas été le cas», explique-t-il.
Au sein du PCF, Cédric Maisse et Dolorès Esteban bénéficient d'un allié de poids, le conseiller général, Claude Chaidron, bien implanté dans le quartier d'Etouvie. «Elle est à gauche, elle propose de faire une liste à gauche de l'équipe actuelle, moi aussi». Cet ancien Grémetzien, de retour au Parti communiste l'année dernière après l'avoir quitté en 2002, soutient l'initiative. «Nous avons une politique nationale différente du Parti socialiste, les gens ne comprendraient pas que l'on s'allie dès le premier tour avec le PS.
Claude Chaidron (PCF), conseiller général (d. r.)
Pour lui, la récente annonce de Gilles Demailly (voir notre article) devrait inciter les élus communistes à rejoindre cette idée. «Nos amis élus sur la liste Demailly pouvaient avoir des hésitations à partir contre lui. Aujourd'hui, cette résistance est levée. Cette liste a été élue en 2008 alors que la gauche n'était pas au pouvoir, alors que nous n'avions pas assisté aux renoncements du nouveau président de la république.»
Pourtant, lorsqu'elle parle du Front de gauche amiénois, Dolorès Esteban a des mots durs: ««Tout ce que défend Jean-Luc Mélenchon au niveau national, je partage. Mais localement ils n'ont pas de programme, ils sont à des milliers de kilomètres de la vie des gens, ce sont des politiciens, explique-t-elle. Je suis très perplexe quant à leurs préoccupations municipales, ils sont plutôt orientés vers les élections européennes; ils n'ont pas de vision pour la ville.»
À l'inverse, Dolorès Esteban se voit plutôt comme une militante de terrain. Présidente de l'association de défense du parc du Château-blanc où elle a mené deux combats successifs contre les municipalités De Robien et Demailly pour préserver cet espace de verdure, elle priorise la proximité avec les demandes des habitants. «La politique, c'est bête comme des plots qui gênent la circulation. Si les habitants n'ont pas de moyen de faire remonter leurs plaintes, ils deviennent aigris. Il faut absolument monter plusieurs comités au sein de chaque quartier pour faire remonter les informations», explique-t-elle.
L'expérience du Château-blanc et de ses «onze comités de vigilance» amiénois fait, pour elle, office d'expérience à généraliser. «C'est un début. Les gens ont besoin de se réapproprier la politique. Par exemple, le comité de vigilance de Mme Guillou s'est récemment opposé aux projets de promoteurs immobiliers. On part d'un problème local et après on développe, on élargit le débat. Pourquoi faut-il préserver les espaces verts dans la ville? Quel nombre d'habitants doit atteindre Amiens?»
«Si le Front de gauche a besoin d'idées pour Amiens, nous en avons», propose-t-elle. «Elle fait partie de ces militantes aguerries, impliquées qui fonce comme un bulldozer», la décrit Jean-Michel Dellis, du Parti de gauche. «Quand je fais des choses, je ne m'occupe pas de savoir s'il y a des gens de droite dans le mouvement», explique celle qui s'était engagée récemment dans le réseau des Mécontents du bus (voir notre article), auquel participaient des habitants issus de divers horizons politiques.
Dolorès Esteban n'était sur Amiens cette semaine, donc je n'ai pas pu la rencontrer de visu, prendre une photo d'elle.