Depuis maintenant plusieurs mois, la société française est agitée par la question du "mariage pour tous". Ce projet de loi, c'est celui qui figure dans le programme du candidat François Hollande, son trente-et-unième engagement, visant à ouvrir le mariage aux couples de même sexe.
Est-ce un débat? Certains affirment que non, clamant que le débat n'existe pas, qu'il est confisqué. Pourtant, différents groupes occupent les rues, pour ou contre (voir notre article) et, à l'Assemblée nationale, les auditions se sont poursuivies, depuis les experts, les représentants de culte, jusqu'aux enfants de familles homoparentales.
Et dans la Somme? Nous avons demandé la position a priori de nos députés sur le projet de loi du mariage pour tous, qui n'entrera en discussion que le 29 janvier.
Nous leur avons également demandé de se positionner sur la procréation médicalement assistée (PMA), destinée aux couples de femmes, qui fera l'objet d'un amendement. Enfin, à ceux qui répondaient positivement au mariage pour tous, était demandée leur position sur la gestation pour autrui (GPA), autrement dit sur ce qu'on appelle les "mères porteuses". Des femmes qui portent un enfant qui ne leur est pas destiné.
Ils s'y sont tous soumis avec bonne volonté et certains nous ont aussi évoqué des projets de législation alternative sur l'union de couples de même sexe. Tour d'horizon des différentes positions sur le fond et sur la forme.
Jean-Claude Buisine, député PS de la troisième circonscription de la Somme et maire de Hautvillers-Ouville.
Jean-Claude Buisine (d.r.)
«Je voterai la loi telle qu'elle sera présentée par le groupe, je n'ai aucune réserve par rapport au projet de loi, y compris pour ce qui concerne la PMA. La raison, c'est qu'aujourd'hui, sur le mariage, nous avons pris du retard par rapport aux autres pays européens. D'autres pays acceptent ces unions depuis longtemps.
La loi soulève aussi un problème de droits des enfants, notamment de leur reconnaissance. Il faut que ces enfants aient les mêmes droits et les mêmes avantages que les enfants de couples hétérosexuels, c'est une question de justice et d'équité.
Pour avoir connu des familles homoparentales, je vois bien que ce sont des gens comme les autres et que l'éducation des enfants n'est pas un problème. Je ne vois pas pourquoi il faudrait sanctionner les parents ou les enfants.
Pour ce qui concerne la gestation pour autrui, avant de me prononcer, je demanderais d'avantage d'informations, j'attendrais d'en savoir plus. Ce projet soulèverait d'avantage de questions importantes, et il faudrait pouvoir mener un vrai débat.»
Stéphane Demilly est député UDI de la cinquième circonscription de la Somme et maire de la ville d'Albert.
Stéphane Demilly.
«Je suis plutôt défavorable au projet de loi, dans le sens où la procréation médicalement assistée sera probablement intégrée et que cela ne me semble pas une bonne chose. Je sens une vraie fracture autour du sujet, entre le monde rural et la ville, entre les générations. D'ailleurs, on voit bien que cela soulève un conscience et que cela traverse les différentes familles politiques.
Par ailleurs je trouve dommage qu'on n'ait pas eu plus de débats à l'Assemblée nationale. Il aurait fallu auditionner collectivement, créer une commission spéciale... mais je ne veux pas me cacher derrière un problème de forme.
L'amendement sur la procréation médicalement assistée (PMA) me gène particulièrement, on adjoint au projet de mariage des décisions qui interpellent sur le plan de la conscience. Si on admet que les femmes mariées puissent avoir recours à la procréation médicalement assistée aujourd'hui, que va-t-on faire pour les couples d'hommes? Ce n'est pas une loi égalitaire, à mon sens. Il faudra probablement statuer sur le problème des hommes pour rectifier cela.
Je suis un basique, un rural, je pose des questions simples: comment expliquer à un enfant qu'il a deux parents, que l'une d'elle a été inséminée artificiellement et que l'autre n'y est pour rien? C'est un sujet complexe, et je pense que l'on confond le droit à l'enfant et le droit de l'enfant.
Et puis je suis papa, et je compte le rester, je trouverais cela frustrant de figurer en tant que "parent 1" sur le livret de famille. Pour toutes ces raisons, mon avis est plutôt négatif.
Je sais que Jean-Louis Borloo [président de l'UDI, ndlr] s'est personnellement prononcé pour le projet de mariage pour tous, d'ailleurs nous aurons l'occasion d'avoir un débat en interne, avec notre groupe UDI, avant la présentation du projet à l'assemblée nationale. Ma position pourrait évoluer, mais pour le moment, je suis plutôt défavorable au projet.
Néanmoins, ma position est claire et républicaine: en tant que maire, il est évident que si la loi passe je marierai tous les couples. Je n'ai pas à faire valoir mes sentiments, en tant qu'élu nous devons appliquer toutes les lois de la République, pas seulement celles qui nous plaisent!»
Barbara Pompili est députée de la deuxième circonscription de la Somme, sous la bannière Europe-Écologie-Les-Verts. Elle co-préside le groupe de son parti au sein de l'Assemblée nationale.
Barbara Pompili (d.r.)
«Je voterai la loi, c'est évident, c'est quelque chose que les écologistes défendent depuis de nombreuses années, qui fait complètement consensus au sein de la formation. C'est un peu un héritage de ce qu'avait fait Noël Mamère à Bègles, en 2004. Il y avait marié un couple homosexuel, et on avait déjà vu tous les débats que cela soulevait dans la société française.
Selon mon opinion, le débat a effectivement lieu, depuis plusieurs années. Et plus encore ces dernières semaines: le texte de loi avait été programmée en octobre, puis repoussé en janvier pour que le débat se fasse dans la sérénité. Les auditions se poursuivent à l'assemblée nationale, certaines sont télévisées, d'autres non.
Les arguments ont pu être exposés, et ceci des deux côtés du débat. Contrairement à des critiques entendues, on a auditionné aussi les cultes ou les associations défavorables au projet.
En tant que députée, je suis un peu à la confluence entre le débat national et les associations locales que je reçois, qu'elles soient favorables au projet ou non. Par ailleurs, le débat vit dans la société, les gens en parlent chez eux.
En ce qui concerne la PMA, j'y suis favorable. Si on donne le droit aux homosexuels de créer une famille par le biais de l'adoption - ce qui est une hypocrisie puisque les célibataires peuvent déjà adopter - il faut aussi donner le droit aux femmes mariées d'avoir recours à l'aide à la procréation. On avait nous-même intégré cela.
Par ailleurs, je crois qu'il est urgent d'intégrer à la loi la reconnaissance des enfants issus de la gestation pour autrui (GPA), pour mettre un terme à des situations terribles, du point de vue humain ou juridique.
C'est le problème des choses interdites dans notre pays mais qui existent ailleurs. D'une part, on laisse perdurer des situations que l'on accepterait pas forcément dans notre pays, comme des femmes qui portent des enfants pour autrui, et parfois dans des conditions déplorables. Et ici, en France, cela crée des vides juridiques, sur le statut des enfants et des parents.
Néanmoins, sur une éventuelle autorisation de la gestation pour autrui, ma position n'est pas définitive, pas plus que la position de mon parti. Il faudrait un vrai débat et l'opinion n'est pas mûre.»
Alain Gest est député UMP de la quatrième circonscription. Il est aussi président de la fédération de son parti dans la Somme.
Alain Gest.
«Je voterai contre ce texte de loi. Dès que l'on fait une loi sur le mariage pour tous, cela entraîne nécessairement des conséquences sur les sujets de l'adoption, de la procréation médicalement assistée.
En ce qui me concerne, en mon âme et conscience, je considère que les enfants doivent avoir un père et une mère, et qu'une si profonde modification du code civil n'est pas profitable.
Toutefois, je suis favorable à une évolution du Pacs et je soutiens la proposition de Daniel Fasquelle (UMP), le député-maire du Touquet. Il s'agirait de créer une "alliance civile", pour unir deux personnes de même sexe, avec les mêmes avantages fiscaux que le mariage, et qui serait célébrée en mairie, contrairement au Pacs qui est signé au tribunal.
Nous voulons un texte qui permette aux couples homosexuels une vraie reconnaissance, pas un Pacs signé sur un coin de table au tribunal. Je suis favorable à la reconnaissance "publique" de l'amour de deux êtres, je comprends que ces couples aient ce besoin. Et je ne m'assimile pas du tout à ceux qui refusent toute évolution.
En revanche je ne pense pas que cela soit une bonne chose pour les enfants. Selon notre projet le Pacs serait amélioré, mais les couples homos ne seraient pas sur un pied d'égalité avec les couples mariés, car je ne crois pas que cela soit une bonne chose pour la société.
Cette proposition a un certain succès à l'UMP elle a déjà été co-signée par plusieurs collègues, cela faisait d'ailleurs partie des propositions de Nicolas Sarkozy. Mais au niveau du timing, les hauts responsables ont préféré distinguer le temps du refus de la loi sur le mariage du temps de la proposition. Personnellement, je trouvais préférable de communiquer notre projet avant.»
Pascale Boistard est députée PS de la première circonscription de la Somme. Elle est aussi l'une des députés signataires d'une lettre adressée au président du groupe socialiste Bruno Leroux. Ces députés ont refusé de signer l'amendement sur la Procréation médicalement assistée.
Pascale Boistard.
«La loi du mariage pour tous est pour moi une vraie loi pour l'égalité des droits, et j'y suis favorable depuis longtemps.
Ma démarche, en signant la lettre adressée à Bruno Leroux, était de signifier que la seule heure de débat qu'il nous a accordée n'était pas suffisante pour parler de l'amendement PMA. Nous avons été privés de débat: quinze députés s'étaient inscrits pour intervenir, on les a désinscrits et on a précipité le vote de l'amendement.
Par ailleurs, Bruno Leroux avait menacé de ne pas nous laisser notre liberté de vote sur cet amendement. C'est pour cela que tous ces députés ont réagi [ils seraient une soixantaine de députés PS signataires à l'heure actuelle, ndlr.] Le débat, mais surtout l'issue du débat était bridée.
L'amendement n'est pas encore écrit. Nous sommes des législateurs, ce n'est pas raisonnable de nous demander de nous prononcer sur des textes virtuels. La raison pour laquelle il n'est pas encore rédigé est très simple: c'est un amendement très délicat, s'il est mal rédigé il pourrait rendre la loi entière inconstitutionnelle.
Par ailleurs, je souligne que la PMA pour les couples de femmes ne faisait pas partie de la proposition du candidat Hollande. Je crois que l'introduire est une erreur stratégique puisque, comme on l'a vu, le sujet divise la gauche, qui était plutôt unie sur le sujet du mariage pour tous, alors qu'il réunit la droite: certains de ceux qui étaient d'accord sur le mariage rejetteront une loi qui contient l'amendement sur la PMA.
Sur le fond, je trouve que l'on introduit une inégalité, dans un texte qui se veut égalitaire. Les femmes pourront avoir recours à la procréation médicalement assistée, mais les hommes?
Enfin, sur la forme, je ne trouve pas cela adéquat d'introduire, à la va-vite, un amendement sur la PMA dans un texte sur le mariage. La raison est simple : légiférer sur le mariage, cela signifie modifier le code civil. Légiférer sur la PMA, c'est toucher au code de la santé. On est sur des lois de natures complètement différentes.
J'étais personnellement pour soutenir Bruno Leroux s'il voulait poser un vrai calendrier pour légiférer, plus tard, sur la PMA, plus globalement au sein de lois de bioéthique, puisque c'est la place de ce sujet. Comme les sujets sociétaux provoquent parfois des tensions, je suis pour un débat large, ouvert, une discussion sereine, sur le sujet de la procréation médicalement assistée comme sur d'autres sujets de bioéthique, comme la gestation pour autrui. Mais je voterai contre cet amendement.
Et en ce qui concerne la gestation pour autrui, je suis personnellement contre. Pour moi cela conduit à plusieurs problèmes éthiques, dont la marchandisation du corps car, dans des questions aussi complexes, la gratuité n'existe pas.»
J'ai interrogé les députés par téléphone entre le 20 et le 22 décembre.