Au CHU une réorganisation majeure s'est opérée ces six derniers mois. Des quatorze laboratoires de l'hôpital universitaire d'Amiens, il n'en reste désormais que 4 en fonctionnement.
Si tant de laboratoires ont disparu, c'est qu'au sud, s'est ouvert un mastodonte de l'analyse. Le CBH, pour «Centre de biologie humaine». Une chaîne robotisée de 270m² qui pourrait traiter, à l'heure de pointe, un millier d'échantillons par heure. Et 4600 m² de bureaux et de laboratoires spécialisés pour les analyses non automatisées.
Aux abords de cette chaîne robotisée, des machines, des pipettes qui viennent travailler à grande vitesse dans les tubes dûment étiquetés. Une foule de techniciens, aussi, qui s'occupent sur les modules qui entourent la machine, répartissant leur attention entre leurs tubes de prélèvements et les consignes qui s'inscrivent sur un grand écran, au-dessus de l'automate.
Ce n'est qu'une première étape. Dès 2014, avec le regroupement de la plupart des services sur le nouveau site du CHU, le laboratoire se dotera d'un système d'acheminement des prélèvement entièrement pneumatique. Le laboratoire sera relié aux autres bâtiments du Sud par des tuyaux. Ainsi une grande partie de la logistique du ramassage des échantillons pourra être simplifiée et nécessiter moins de personnel. À terme, le pôle passera de 124 à 114 temps-plein.
L'hôpital voit plus grand
Bref, l'hôpital voit plus grand, plus fort, plus compétitif, avec moins de personnel. Si pour l'activité de base du laboratoire un rythme quotidien de 4000 analyses devrait être suffisant, le CBH est capable d'absorber une hausse d'activité de 30%. Cela pourrait se révéler particulièrement utile pour réaliser, sous contrats, des analyses pour des établissements privés, cliniques ou maisons de retraites, ou encore vers les particuliers.
Même si le but principal est de répondre à la demande des patients du CHU «avec une qualité et dans des délais qui permettent aux cliniciens de disposer de tous les éléments biologiques dont ils ont besoin», précise Bertrand Roussel, chef de pôle biologie, pharmacie et santé des populations.
Après tout, le CBH représente un investissement de 14 millions d'euros sur sept ans, qu'il faudrait pouvoir rentabiliser. Un tiers des 4000 analyses quotidiennes sont déjà destinées à ce circuit privé.
Le CHU d'Amiens n'est pas le seul dans ce mouvement. À une échelle inférieure, le laboratoire de l'hôpital de Montdidier s'est récemment modernisé, avec comme ambition de «devenir incontournable pour les particuliers.» Qu'est-ce qui fait courir les laboratoires des hôpitaux vers la modernisation et l'optimisation? Le Parlement français, dans les pas de l'Europe.
«La profession se trouve confrontée à une restructuration autoritaire par le ministère» estime Philippe Marguerie, délégué régional du syndicat majoritaire SDB (Syndicat des biologistes).
Philippe Marguerie officie dans un laboratoire privé, à Amiens. Mais, privé ou public, tous les laboratoires français seront très prochainement soumis à de nouvelles normes qui vont exiger de gros effort.
Deux processus sont en cours. Le premier, c'est la certification BioQualité, décernée par le Cofrac (comité français d'accréditation), exigible cette année. Le second, c'est une accréditation du même organisme dont les détails sont de nouveau discutés au Parlement français, entre Assemblée nationale et Sénat.
Un coût matériel, un coût humain
«Nous avons des obligations en terme de processus et des obligations en terme d'équipement» explique le représentant du syndicat SDB. «Nous aurons l'obligation de changer certains de nos équipements, par exemple les appareils de mesure ou les réfrigérateurs qui doivent répondre à des critères précis». Pour toutes les structures indépendantes, cela représente déjà un coût certain.
Ce n'est pas tout, après avoir investi, il faut mettre en place des procédures strictes et pouvoir garantir leur application. «Il faut que les laboratoires mettent en place un système de management de la qualité, c'est à dire rédiger des procédures pour tout ce que l'on fait: depuis l'accueil des patients jusqu'aux rapports avec les fournisseurs. C'est un travail très lourd de gestion de la qualité, qui n'est pas directement productif.»
Certes, les sénateurs ont proposé que l'accréditation se fasse progressivement pour chaque laboratoire, pour atteindre 100% des protocoles accrédités en 2020. Mais cela peut représenter une quantité de travail phénoménale.
Au CHU d'Amiens, par exemple, le matériel flambant neuf ne posera pas problème. «Tous les automates de la chaîne ont bénéficié de la validation des méthodes, rassure le chef de pôle, mais maintenant il faut que nous formalisions les procédures, les processus pour chaque type d'analyse. Soient 800 à 900 analyses différentes.» Le laboratoire du CHU Sud, malgré ses machines à la pointe de la technologie, envisage de «rentrer petit à petit dans l'accréditation.» Près de deux ans pourraient y être nécessaires.
Isabelle Toussaint est biologiste libérale à Montdidier. Son laboratoire a commencé les démarches d'accréditation «Nous sommes déjà dans une démarche d'accréditation de longue haleine, dans quelques semaines nous allons envoyer notre dossier Cofrac pour la qualification "Bio qualité" et la validation de méthodes. La prochaine étape, c'est l'accréditation totale, qui représente un travail énorme et nécessite des moyens. On a déjà commencé à recruter des qualiticiens pour mener à terme les démarches de qualification.»
Si elle peut s'adjoindre des services de qualiticiens, profession autrefois éloignée des laboratoires d'analyse médicale, c'est qu'Isabelle Toussaint n'est pas seule. Le laboratoire de Montdidier vient d'intégrer un groupement de laboratoires plus importants, dont les succursales jalonnent le pays de Santerre jusqu'au Hainaut. «Cela nous permet de mettre en commun les moyens, d'externaliser certaines tâches de gestion.»
Forcer le regroupement des labos
Ce que confirme Philippe Marguerie. «La réforme est faite pour restructurer la profession, estime le délégué du Syndicat des biologistes. On impose aux structures les plus petites de s'adosser à d'autres pour créer des pôles plus forts.»
Mais le délégué y voit une méconnaissance de la profession par le gouvernement, aussi bien qu'une erreur d'appréciation. «Le regroupement ne va pas signifier une plus grande efficacité: la raison d'être du laboratoire, c'est la proximité. À partir du moment où on est tenu de maintenir la proximité, on conserve les charges qui y sont liées.»
En d'autres termes: si des biologistes s'associent pour construire un plateau technique moderne et capable de traiter les prélèvements d'une grande aire géographique, alors il faudra créer la logistique qui va avec. Les coûts économisés se répercuteront sur le ramassage des échantillons.
Mais pour Philippe Marguerie, la concentration de la profession est aussi due à d'autres facteurs. «Nous avons connu six baisses tarifaires depuis six ans, équivalent à une baisse de 30% de la valeur des actes, même si l'augmentation des volumes de prescriptions nous a permis d'amortir le choc.» Cela demande donc un travail plus "rationalisé". «Cette mécanique a fonctionné pendant cinq ans. Sur 2012 on a eu une baisse de l'enveloppe remboursée par la sécu, qui a mené à une baisse du chiffre d'affaire.» La coupe est pleine pour les professionnels, et le syndicat appelle souvent à la grève. Grève des feuilles électronique ou fermeture des laboratoires, comme en novembre dernier, sans grand succès pour le moment.
Les hôpitaux, avec des capacités d'investissement supérieurs aux laboratoires de ville, sont-ils mieux armés pour faire face à la réforme, pour mener à bien les processus d'accréditation? Sont-ils en capacité de gagner du terrain sur les biologistes libéraux? Pas vraiment.
Les acteurs s'accordent à le dire: les missions diffèrent trop nettement. Aux laboratoires de ville, une clientèle d'infirmiers libéraux qui viennent déposer leurs prélèvement dans le labo de leur zone géographique. «Je n'imagine pas que tous puissent, un jour, aller jusqu'au CHU tous les jours pour déposer leurs échantillons», estime le délégué du SDB. Aux laboratoires des hôpitaux, les prélèvements des patients de l'Hôpital ou des cliniques sous contrat. Par ailleurs, jusqu'à présent la profession fonctionnait en collaboration avec des laboratoires plus importants, pour sous-traiter les analyses plus spécifiques.
Aujourd'hui, la crainte des libéraux est que cette réforme n'affaiblisse les laboratoires de villes. Et qu'elle profite, de fait, aux laboratoires adossés à de puissants groupes financiers qui ont commencé à investir les laboratoires de proximité.