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L'Europe lance son opération séduction en Picardie

Le 07 March 2013
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Par Fabien Dorémus

On a parfois tendance à l'oublier mais 2014 ne sera pas seulement l'année des élections municipales. Au début du mois de juin 2014, les électeurs seront appelés à voter pour leurs députés européens. Si le scrutin est d'importance, il n'attire pas les foules.

Depuis 1979, date du premier scrutin européen, le taux de participation ne cesse de dégringoler: de 60,7% en 1979, il tombe à 40,5% en 2009. La Picardie ne fait pas exception en la matière. Lors du dernier vote en 2009, seuls 40,1% des électeurs picards s'étaient déplacés jusqu'aux urnes. Un très faible score quand on le compare à l'élection présidentielle qui attire souvent plus de 80% des électeurs.

C'est la raison pour laquelle le Parlement européen a décidé de réagir. Ainsi depuis 2010, le Bureau d'information en France du Parlement européen (BIPE) conduit un programme appelé «Une région, un trimestre». Comme le nom l'indique, chaque trimestre est l'occasion de cibler une région française afin d'y organiser des rencontres autour de l'Europe, de son fonctionnement, de ses institutions. Et ce trimestre, c'est au tour de la Picardie.


Le local de l'association Europe Direct Picardie, rue Albert-Dauphin à Amiens.

Tout commence demain avec le «Midi du Parlement» consacré, de 12h à 14h au cloître Dewailly, aux «femmes qui agissent face à la crise». «Le débat permettra d'expliquer les dispositifs votés par le Parlement européen pour permettre aux femmes, notamment celles qui sont seules avec enfant, de moins souffrir des effets de la crise», indique Hédia Nasraoui, la directrice de l'association Europe Direct Picardie. Le choix de ce débat est directement lié à la date du 8 mars, journée internationale de lutte pour les droits des femmes.

Ce 8 mars, toujours, un camion aménagé en station de photomontage restera stationné toute la journée au cœur de la zone piétonne d'Amiens. Les passants pourront notamment se faire photographier sur fond d'hémicycle du Parlement... D'autres manifestations seront dirigées, au cours du mois de mars, vers des collèges et lycées d'Amiens, Beauvais et Soissons.

Au moins quatre députés présents

Mais le point d'orgue du programme «Une région, un trimestre» sera la tenue le 21 mars d'un «Forum citoyen», à partir de 17h30 dans la salle des fêtes de l'Hôtel de Ville. L'idée est de permettre aux citoyens de poser toutes leurs questions aux députés européens présents. Le thème ? «Les citoyens face aux enjeux et défis de l'Europe.» Une thématique assez large pour accueillir toutes les questions.

Face au public, au moins quatre députés pourront répondre de leurs mandats : Jacky Hénin (Front de Gauche), Jean-Louis Cottigny (PS), Gilles Pargneaux (PS), et Philippe Boulland (UMP). Deux autres députées, Hélène Flautre (EELV) et Corinne Lepage (Cap21), pourraient participer au débat (sous réserve de confirmation).

Le directeur du BIPE, Alain Barrau, souhaite que toutes les problématiques européennes puissent être soulevées lors du Forum citoyen. Ce qui ne va pas forcément être simple pour les députés : «Il faut que les députés puissent répondre aux questions les plus pointues mais aussi qu'ils expliquent ce qu'est concrètement leur travail au sein du Parlement, tout en défendant une position politique.»

2014, une élection plus politisée

Selon Alain Barrau, le travail des parlementaires européens diffèrent particulièrement de celui des parlementaires nationaux en une chose: la recherche du consensus. Les députés européens ont en effet l'habitude d'accorder leurs violons ; l'explication serait historique: «Pendant longtemps le Parlement européen n'a eu qu'un faible poids par rapport à la Commission européenne et au Conseil de l'Union européenne, explique Alain Barrau. Pour peser un maximum dans la décision, les députés devaient voter des textes à la plus forte majorité possible. D'où la recherche de consensus. Aujourd'hui, on a moins besoin d'une majorité forte mais la culture reste.»



Alain Barrau, directeur du Bureau d'information pour la France du Parlement européen.

Pour tenter de faire venir un maximum de personnes aux événements programmés, le BIPE compte sur les médias locaux, mais pas seulement. Il a également fait appel à une agence de communication. «Nous avons fait imprimer 5000 flyers et 400 affiches, explique Marine Salmon, de l'agence Euro2C, qui travaille pour le BIPE depuis janvier 2013. On espère une centaine de personnes pour le Midi du Parlement et encore davantage pour le Forum citoyen.» Pour le BIPE, le coût total de l'opération «Une région, un trimestre» en Picardie s'élève à environ 17 000 euros.

Une somme qui ne permet pas de réaliser une campagne de publicité de très grande ampleur. Qu'importe, les responsables du programme entendent avant tout toucher les «multiplicateurs d'opinion», selon l'expression d'Alain Barrau. «Dans ce genre de réunion, on a toujours des experts de l'Europe, ils viennent, ils sont contents, mais ce n'est pas notre cible prioritaire», résume-t-il. Il s'agit surtout de faire venir les personnes susceptibles de propager efficacement les informations dans leurs réseaux respectifs (syndicats, élus, milieux économiques et sociaux, associatifs, scolaires et universitaires).

Beaucoup de critiques

Quelle est l'information à propager ? Que les élections européennes sont importantes et qu'il faut y faire entendre sa voix. Et pas autre chose. «Nous ne sommes pas là pour dire quelle Europe il faut choisir, prévient Alain Barrau, ancien député PS de l'Hérault. D'ailleurs, je reporte toujours un Forum citoyen quand je n'arrive pas à faire venir des députés de gauche et de droite.»

L'objectif d'améliorer le score de participation de 2009 pourra-t-il être rempli ? Selon le directeur du BIPE, ce n'est pas impossible: «L'élection de 2014 sera plus politisée. On le voit, il y a énormément de critiques – dont certaines sont fondées – vis-à-vis du fonctionnement de l'Europe. Et puis, à partir de 2014, ce sont les députés qui éliront le président de la Commission européenne [actuellement, José-Manuel Barroso, ndlr].»

Des éléments qui peuvent permettre de penser que les citoyens picards, français, européens se saisiront de la question européenne dans les urnes, alors que certains s'en saisissent déjà dans la rue (voir la manifestation monstre au Portugal, le 2 mars, contre l'austérité).

«En Europe, si la France ne veut pas, ça ne se passe pas»

«Une région, un trimestre» est une opération ponctuelle. Mais des militants de l'Europe s'échinent tout au long de l'année pour en faire connaître le fonctionnement au plus grand nombre. Parmi eux, on compte ceux qui sont le plus directement concernés: les députés européens.

«On organise une dizaine de Conférences pour l'Europe par an, dans l'Aisne et dans l'Oise, indique Luc Houllebreque, attaché parlementaire de Philippe Boulland (UMP), député européen, conseiller général de l'Oise et conseiller municipal de Betz (Oise). On explique à quoi servent les parlementaires européens et on essaye de tordre le coup aux idées reçues.»

Quelles idées reçues ? «Certains disent que Bruxelles ne sert à rien, que c'est de l'argent qui part pour rien. On leur explique qu'un député national passe entre 50 et 60% de son temps à transposer des lois votées par le Parlement européen.» Non seulement, l'Union européenne à une vraie fonction mais surtout, Luc Houllebreque l'affirme, la France y a un réel poids: «Il y a 74 députés français [sur 754, ndlr]. Si la France ne veut pas, ça ne se passe pas.»

Une association tournée vers l'information

Convaincre de l'utilité de l'Europe, c'est également la mission que se donne depuis plus de douze ans l'association Europe Direct Picardie. Financée par l'Union européenne, le conseil régional de Picardie, le conseil général de la Somme et Amiens métropole, elle travaille auprès de la population sur trois axes: l'information, l'éducation et la jeunesse.

C'est une petite structure, qui a pignon sur la rue Albert-Dauphin à côté de la mairie, et qui emploie quatre salariés, dont une Espagnole, une Anglaise et un Allemand. «Nos locaux sont ouverts 20 heures par semaine, indique Hédia Nasraoui, la directrice. Nous intervenons également dans les établissements scolaires. L'an dernier nous avons informé environ 4000 lycéens et plusieurs autres milliers de collégiens. Des mairies ou des associations font également appel à nous pour organiser des débats dans toute la région.»



Hédia Nasraoui (à gauche) et toute l'équipe d'Europe direct Picardie.

Mais la directrice met en garde contre tout soupçon de partialité : «Il est hors de question qu'un membre de notre équipe dise ce qu'il pense de l'Europe, nous ne sommes pas là pour ça ! Nous ne sommes que des salariés, nous ne sommes pas élus, nous ne représentons personne. Notre métier est de partir des textes pour expliquer ce qui existe.»

Comment réagissent les élèves ? Visiblement bien, «et ils sont d'autant plus curieux qu'ils ont en face d'eux des animateurs jeunes, étrangers, qui font parfois des erreurs de français. Ça les met à l'aise, ils se disent qu'ils peuvent envisager de partir à l'étranger même s'ils ne maîtrisent pas vraiment la langue. Quant à leur connaissances sur l'Europe, je suis souvent épatée, ils en savent parfois beaucoup plus que leurs aînés. Ils semblent plus ouverts d'esprit aussi.»

Si, dans les publics rencontrés, beaucoup se disent attachés à la construction européenne, Hédia Nasraoui note des différences entre générations. «Les plus âgés, qui ont connu de près la guerre, sont heureux du climat de paix qui a pu être préserver par l'Europe. Mais pour les plus jeunes, la paix est une normalité, et ils ont d'autres exigences, ce qui engendre parfois des débats houleux.»

Dans l'œil du Télescope

J'ai rencontré toutes les personnes citées dans l'article le vendredi 1er mars, lors d'un point presse au local de l'association Europe Direct Picardie. Je les ai ensuite contactées par téléphone entre lundi et mardi.