Ça ne va pas beaucoup mieux à l'Esiee. L'École supérieure d'ingénieurs en électronique et électrotechnique ne parvient toujours pas à recruter suffisamment d'élèves. Cette année, moins de 45 nouveaux élèves ont intégré le cursus en première année. Si l'on ajoute les redoublants, on arrive à une promotion de moins de cinquante élèves. Soit une dizaine de moins que l'an dernier. La baisse est continue depuis plusieurs années. À titre de comparaison, 80 élèves étaient inscrits en première année à l'Esiee à la rentrée 2011.
Or, le nombre d'inscriptions est primordial pour l'Esiee. Notamment parce qu'il contribue à la bonne santé financière de l'établissement, les frais de scolarité s'élevant à 3800 euros pour les deux premières années de formation et 5000 euros pour les trois suivantes. Donc, entre un effectif moyen de 80 élèves par promotion et un effectif de 50 élèves par promotion, la différence se compte en centaines de milliers d'euros. Autant d'argent en moins dans le budget de l'école. Rappelons que le budget annuel de l'Esiee s'élève à 5,5 millions d'euros environ.
Comment expliquer cette baisse? La direction de l'Esiee n'a pas souhaité répondre à nos sollicitations. Cependant, cette question a été posée à Pierre Loonis, le directeur, lors de la réunion du comité d'entreprise le 9 septembre dernier. «Plusieurs faits peuvent expliquer cette baisse», indique le procès verbal de la réunion que Le Télescope s'est procuré. Trois faits sont avancés: un flux des élèves de Terminale scientifique orienté plutôt vers les filières courtes (BTS et IUT) ; une «faible attractivité de la Picardie, des écoles en électronique ou électrotechnique voire de notre école en particulier» ; ainsi que «la communication interne et externe qu'ont eue certaines personnes pendant des périodes cruciales du recrutement».
La réalité, mauvaise publicité
Le recrutement de l'Esiee est en effet très sensible à «la communication interne et externe». En gros, quand il est relaté dans la presse la mauvaise santé de l'école, cela n'incite pas des parents à y inscrire leurs enfants, surtout au regard de la dépense engendrée par les importants frais d'inscription exigés. Or, il y a tout juste un an, Didier Cardon, élu à la Région, à la Métropole et administrateur de l'Esiee, indiquait au Télescope que «si les effectifs n'augmentent pas, [l'école] n'est pas viable». L'Esiee venait alors de subir une baisse de 28% de ses effectifs en première année (voir notre article). Cette inquiétude, Didier Cardon l'a réitérée lors d'une conférence de presse donnée en juin dernier et reprise par la presse locale. Mauvaise publicité certes, mais réalité.
L'Esiee a été crée en 1992. Et en vingt-et-un ans d'existence, elle a connu tout d'abord une augmentation d'effectifs puis une stabilisation. Jusqu'en 2008. Cette année là, le futur président du conseil général, Christian Manable (PS), annonce que si la gauche prend les rênes du Département à la faveur des élections, celui-ci ne subventionnera plus l'école. Jusqu'alors le Département versait chaque année 850 000 euros de subventions à l'école privée. Si le Conseil général a toujours assumé son positionnement politique, cette décision a eu un impact sur le niveau de recrutement lors de la rentrée 2009.
Mais la baisse des subventions publiques n'explique pas tout. C'est l'avis du syndicat CGT de l'Esiee. Dans un courrier adressé aux membres du conseil d'administration de l'école, le 13 septembre dernier, le syndicat met en cause le fonctionnement interne. Selon la CGT, «le conseil d'administration doit prendre ses responsabilités devant les résultats désastreux de la gestion clientéliste qui ne pourra aboutir qu'à la fermeture de l'école». Gestion clientéliste? La CGT affirme observer «la continuité des déclassements non justifiés et des nominations unilatérales, à répétition, incompréhensibles et déstabilisantes pour le personnel».
Le syndicat enfonce le clou et fait le parallèle avec une autre école supérieure d'Amiens, tristement célèbre: «Aujourd'hui, tout laisse à penser que [l'Esiee] suit le même chemin que ce que nous avons connu avec Sup de Co». Pour rappel, l'ancien directeur de Sup de Co a été condamné pour harcèlement moral.
La direction de l'Esiee n'a pas répondu à ce courrier syndical. En revanche, c'est la CFTC de l'Esiee qui est montée au créneau. Le syndicat chrétien n'a pas du tout apprécié la missive de la CGT: «Nous demandons à ceux qui continuent à l'extérieur de nuire à notre école de bien mesurer leurs actions et d'arrêter de menacer notre gouvernance», indique le courrier adressé par le syndicat à l'attention du conseil d'administration.
L'apprentissage qui cache la forêt
Selon la CFTC, les efforts entrepris par l'école, depuis plusieurs années en matière de recrutement, commencent à porter leurs fruits. La diversification du recrutement est mise en avant. Effectivement, si l'Esiee a du mal à recruter en première année, en revanche le recrutement en troisième année est bon. Notamment, grâce à la voie de l'apprentissage, développée depuis 2010.
Seulement, l'apprentissage semble être l'arbre qui cache la forêt. Et le comité d'entreprise qui s'est réuni en septembre l'a bien noté. «Le rôle de GEB [Génie énergétique du bâtiment, par voie de l'apprentissage, ndlr] n'est pas de stabiliser l'effectif total mais de l'augmenter: hors GEB, le nombre d'élèves en formation initiale baisse.» Par ailleurs, au vu des éléments dont il disposait, le comité d'entreprise se demande si le recrutement n'avait pas été plus quantitatif que qualitatif.
Mais là où la CGT et la CFTC parviennent à accorder leurs violons, c'est sur le crainte que suscite la prochaine intégration de l'Esiee dans le giron de l'Université de Picardie Jules-Verne (UPJV). Le projet est dans les cartons depuis plusieurs années. Mais il se précise. «On se penche sur le dossier, à mon avis ça se fera cette année», indiquait fin septembre le président de l'UPJV, Michel Brazier, lors d'une conférence de presse.
Depuis lors, peu d'éléments ont filtré. L'UPJV juge un peu «prématuré» de parler de ce dossier aujourd'hui. Il faut dire que le sujet est complexe. Car de multiples acteurs financent l'Esiee. Outre la taxe d'apprentissage, l'école perçoit en effet des subsides de la part de la Chambre de commerce et d'industrie d'Amiens (1,3 million d'euros), du Conseil régional de Picardie (850 000 euros), et d'Amiens métropole (500 000 euros).
Difficulté supplémentaire : l'école dépend du ministère de l'Industrie, contrairement à l'UPJV qui dépend du ministère de l'Enseignement supérieur et de la recherche. Les salariés de l'Esiee n'ont donc pas les mêmes statuts que les employés de l'UPJV. C'est l'une des raisons pour lesquelles le conseil régional de Picardie a diligenté, cet été, un audit stratégique et financier de l'école. L'audit vise à inventorier les équipements de l'Esiee, à porter un regard sur ses effectifs, son organisation et sur les différents types de contrats du personnel. Mais surtout, il s'agit d'y voir plus clair et de «poser en toute transparence l'ensemble des scénarios s'ouvrant sur l'avenir de l'ESIEE».
«Échec de la mutualisation»
Quels sont les résultats de cet audit? Pour Nathalie Van Schoor, directrice générale adjointe du pôle économie, recherche et innovation de la Région, «les premiers résultats viennent d'être rendus mais ils ne sont pas encore diffusables en l'état». Elle détaille cependant ce qui pourrait advenir de l'Esiee.
Actuellement, l'Esiee et l'UPJV ont déjà un accord de collaboration à minima, depuis l'an dernier. Les deux établissements sont censés mutualiser des moyens de pédagogie et de recherche. Mais l'efficacité ne semble pas au rendez-vous. Le comité d'entreprise de l'Esiee, réuni en septembre, parle même «d'échec de la mutualisation».
À l'avenir, parmi les scénarios possibles, il pourrait être décidé de mettre véritablement en place cette mutualisation, voire la pousser un peu plus loin. Mais il ne faut pas écarter non plus une fusion totale de l'Esiee dans l'UPJV. «C'est un scénario envisagé, indique Nathalie Van Schoor, mais il faudra alors revoir totalement le modèle économique de l'école.» Car dans ce cas, les élèves de l'Esiee deviendront des étudiants de l'UPJV et s’acquitteront de frais d'inscription environ dix fois moindres. Une bonne nouvelle. Enfin.