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Les politiques et les pièges du numérique

Le 28 November 2013
Enquête commentaires
Par Fabien Dorémus

On sait depuis près d'un mois que la liste qui sera conduite par Brigitte Fouré à l'élection municipale d'Amiens s'appellera «Rassemblés pour agir». Sur le réseau social Twitter, l'équipe de campagne de la candidate UDI a d'ailleurs un compte à ce nom (voir ci-dessous).

C'est également sous ce nom que des réunions publiques sont annoncées sur le réseau social Facebook. Voilà donc un slogan qui entre pleinement dans la stratégie de communication électorale. Un slogan qui entend montrer l'union des différents courants politiques de droite qui soutiennent la candidate.

On peut alors penser que le site de campagne de Brigitte Fouré portera ce nom. Seulement, voilà. Essayons de taper «rassemblespouragir.fr» ou encore «rassemblespouragir.com» dans la barre d'adresse de n'importe quel navigateur internet. Que se passe-t-il ? Nous sommes systématiquement redirigés vers la page Facebook de salariés de Goodyear en lutte.



À l'adresse www.rassemblespouragir.fr, on tombe sur cette page Facebook.

Pourquoi? Parce qu'une personne a acheté ces noms de domaines et les a connectés à la page Facebook des salariés Goodyear. Tout simplement.

«Au départ, c'est une blague de potache», sourit Jean-Samuel Herbay. Responsable d'une entreprise spécialisée dans les projets web en Île-de-France, il est aussi un Amiénois de cœur et connaît bien la politique locale. C'est lui qui a acheté tous ces noms de domaines avant de les rediriger «sur un coup de tête, vers la première page concernant Goodyear que j'ai trouvée».

Une blague, mais pas seulement. «Il y a une chose qui me surprend dans cette campagne, explique-t-il, c'est que tout le monde parle de l'économie numérique mais personne ne semble s'y mettre vraiment. Tout le monde dit que le numérique est une piste d'avenir mais, dans le même temps, cette piste semble négligée.»

Or, pour Jean-Samuel Herbay, si un site internet ne permet pas de gagner une élection, «cela a toujours été un élément favorable pour les candidats lors des principales élections de ces dernières années». Et de citer la campagne de Barack Obama aux États-Unis en 2008 et celle de Nicolas Sarkozy en France en 2007 qui «avait compris l'importance de sa présence sur internet».

Hollande aussi victime

Et pour faire campagne sur le net, mieux vaut bien être référencé par les moteurs de recherche (comme Google, par exemple). Dans cette optique, le nom de domaine a son importance. Une importance parfois capitale, qui peut mener à des batailles judiciaires.

Ainsi, à la fin de l'année 2011, le nom de domaine «hollande2012.fr» avait été acheté par un demandeur d'emploi, adhérent de l'UMP, qui s'était amusé dans un premier temps à rediriger le site vers la page officielle de son parti politique.

L'équipe de François Hollande avait réfléchi à mener la bataille devant les tribunaux. Car depuis la loi Loppsi 2, «le fait d'usurper l'identité d'un tiers […] en vue de porter atteint à son honneur ou à sa considération» est puni d'un an d'emprisonnement et de 15 000 euros d'amende. Mais au final, le candidat socialiste utilisera le nom de domaine «francoishollande.fr».

La dissuasion judiciaire

En revanche, la menace judiciaire a, par le passé, déjà permis à l'actuel président de l'UDI, Jean-Louis Borloo, de récupérer le nom de domaine «borloo2012.fr». C'était en 2011. Un homme de 24 ans avait alors acheté le nom de domaine prétextant vouloir encourager la candidature de Jean-Louis Borloo à l'élection présidentielle. Il avait ensuite proposé au staff de Borloo de racheter le nom de domaine pour environ 15 000 euros. Confronté à la menace judiciaire, il finira par le rétrocéder gratuitement.

À Amiens, il n'y aura pas de menace judiciaire à propos de «rassemblespouragir.fr». Et cela pour deux raisons. D'abord parce que Brigitte Fouré n'avait pas prévu de choisir ce nom de domaine pour faire campagne. «On a choisi d'utiliser "brigittefoure2014.fr", explique-t-elle. On n'a pas imaginé que les gens souhaiteraient entrer en contact avec nous par le nom de la liste. Ce nom, pour nous, c'est un slogan avant tout.»

La seconde raison est que Jean-Samuel Herbay n'exprime pas le souhait de nuire à la campagne de quiconque: «Mon geste n'est pas partisan, si l'équipe de Brigitte Fouré veut récupérer les noms de domaines que j'ai achetés, je les rétrocède à prix coûtant.» Un nom de domaine coûte entre 5 et 20 euros par an.

Certes la candidate a choisi «brigittefoure2014.fr» pour faire campagne. Mais l'utilisation d'un petit logiciel en ligne permet de constater que l'équipe de la candidate n'a réservé son nom de domaine que le 19 novembre dernier. Il y a encore dix jours, n'importe quel petit malin aurait pu acheter ce nom de domaine et ainsi mettre des bâtons dans les roues de la candidate.

Thierry Bonté plus prudent

Qu'en est-il du côté du candidat socialiste Thierry Bonté? «On a réservé le nom de domaine il y a six ou huit mois, indique Nicolas Laignier, ancien membre de l'équipe de direction de la communication du conseil régional de Picardie et aujourd'hui coordonnateur de la communication du candidat socialiste à la mairie d'Amiens. Pourquoi ce nom? «En communication, on sait que le plus simple est souvent le mieux.»

Les sites de campagne de Brigitte Fouré et de Thierry Bonté devraient être opérationnels d'ici la fin du mois de décembre. Si le site de Brigitte Fouré s'annonce «classique» selon le terme de la candidate, Thierry Bonté devrait pouvoir compter sur une plate-forme novatrice, baptisée NationBuilder, dont nous aurons l'occasion de reparler.

Reste que, même en prenant ses précautions, on peut avoir des surprises. Par exemple, la Métropole avait réservé, au premier trimestre 2013, plusieurs noms de domaines pour son projet de tramway, correspondants aux quatre noms proposés au vote des internautes en avril dernier: Amstram, Sesam, Tramiens et Amitram.

Comme on le sait, c'est Amstram qui a été choisi. Or, «amstram.fr» était le seul nom de domaine qui était déjà réservé... par une chocolaterie située en Seine-et-Marne. La Métropole a donc dû se rabattre sur «amstram-amiens.fr», pourtant moins simple. Quelques mois après, le collectif anti-tramway amiénois installait malicieusement son site à l'adresse «amstram.info».

Un masque à durée limitée

Il faut savoir qu'un nom de domaine est un masque. Il masque l'adresse IP des sites internet, qui sont leurs adresses «réelles», c'est-à-dire reliées à la machine qui héberge le site. Cette adresse se présente comme une série de nombres séparés par des points. Par exemple, avec l'adresse IP «91.199.234.53», vous pouvez vous rendre sur le site officiel de la Ville d'Amiens. Mais avouons que «amiens.fr» est plus simple.

Les noms de domaines ne sont pas réservés à vie. Il faut renouveler la réservation au bout d'un certain temps. Souvent un an. C'est ce qu'a oublié de faire le ministre de l'Intérieur Manuel Valls, il y a quelques jours. N'ayant pas renouvelé la réservation de son nom de domaine «valls.fr», il se l'est tout simplement fait chiper. L'adresse «valls.fr» renvoie désormais vers la page d'une société de gestion bancaire. Le monde du web est impitoyable.