Il suffit de voir les têtes de listes: dans la capitale régionale, l'élection municipale n'est pas vraiment une affaire de jeunots. Mais plutôt une histoire de cinquantenaires, à quelques exceptions près. Cette question de la présence des jeunes dans les listes électorales, c'est aussi celle du renouvellement des classes politiques. En effet, en dehors de celle, fantaisiste, du Parti sans cible, toutes les têtes de listes ont déjà été élues ou, au moins, en ce qui concerne Bruno Paleni de Lutte ouvrière, candidats. Mais dans leur sillage, ces candidats entraînent-ils des générations plus jeunes, plus représentatives de la population amiénoise?
Au jeu de la jeunesse, c'est la liste du dissident PS Mohammed Boulafrad qui s'en sort le mieux, avec une moyenne d'âge de 40 ans et une bonne présence des plus jeunes. Vient ensuite la liste Rassemblés pour agir, de Brigitte Fouré et Alain Gest, même si les plus de 50 ans occupent plus de la moitié de la liste. En milieu de classement, on trouve Bruno Paleni de Lutte ouvrière, avec toutefois une présence forte des cinquantenaires. On trouve également Thierry Bonté, dont la liste Osons Amiens présente quelques candidats de moins de quarante ans.
Enfin, parmi les derniers, la liste de Cédric Maisse, le quadragénaire qui n'a trouvé que sept camarades de moins de quarante ans pour figurer sur sa liste Aube nouvelle. Quant au Rassemblement bleu marine (Front national), il présente une répartition irrégulière, avec des tranches d'âge absentes, seulement onze colistiers de moins de quarante ans et treize «séniors» de plus de 70 ans. L'un d'eux est même âgé de 91 ans.
Dans tous les cas, lorsqu'on analyse les listes qui se présentent à l'élection de dimanche, on s'aperçoit de grandes disparités par rapport à la population d'Amiens, notamment en ce qui concerne les plus jeunes.
Hors concours, la liste du Parti sans cible, majoritairement composée de trentenaires. Sur la représentation des plus jeunes, elle écraserait tous ses adversaires, comme on le constate dans le graphique suivant.
Certes, les listes ont des jeunes... Mais qu'en font-elles? Il s'avère qu'assez souvent la présence des jeunes n'est pas particulièrement mise en avant. On peut s'en rendre compte en comparant l'âge moyen des 55 colistiers avec la même moyenne pour les dix premiers de la liste.
On constate que dans la liste Osons Amiens, l'écart est très important: les jeunes sont plutôt envoyés vers l'arrière de la liste. Parmi les dix premiers la moyenne d'âge est de 56 ans. Les plus jeunes obtiennent des places éligibles, mais seulement en cas de victoire. Ce qui peut aussi être un choix tactique.
Pour la liste Rassemblés pour agir, cette tendance n'est pas aussi forte. Quelques nouveaux viennent rafraîchir les premières places, en particulier une jeune candidate de 24 ans qui squatte la troisième position.
Du côté du Rassemblement bleu marine, la tendance est inverse : les dix premiers sont plus jeunes. Le premier octogénaire arrive en 16e place, suivi par les septuagénaires et le nonagénaire.
Comment se jouent les places?
Les questions qui peuvent se poser, à la vue de ces chiffres, sont «qui décide de la place des plus jeunes» et «dans quel but?».
On peut demander à l'une des jeunes les mieux placées de ces élections municipales. Il s'agit de Margaux Delétré, 24 ans, responsable départementale des Jeunes UMP et étudiante. Elle occupe la troisième place de la liste Rassemblés pour agir, juste derrière Alain Gest.
Comme on peut l'imaginer, la jeune fille est ravie et fière de figurer là... Mais elle n'avait pas particulièrement milité pour se classer aussi bien. «Je n'avais rien négocié, ce sont Brigitte Fouré et Alain Gest qui sont venus me l'annoncer. Ils ont décidé de faire confiance à la jeunesse», résume l'étudiante.
C'est la même situation pour Paul-Éric Dècle (UDI) qui, du haut de ses 21 ans, rafle la 40e place de cette liste. Une place éligible, en cas de victoire, qui lui suffit amplement. «J'ai participé aux réunions de travail sur la jeunesse et les sports avec Brigitte Fouré et l'an dernier j'ai demandé à Brigitte Fouré si je pouvais figurer sur sa liste et elle m'a dit qu'elle allait y réfléchir». Le jeune homme ne pense pas avoir été choisi uniquement parce qu'il est jeune. «Il faut s'investir et travailler ses dossiers».
Pas plus que Margaux Delétré, le jeune homme n'a décidé de sa position. C'est en haut lieu que ces choix se sont faits, comme l'explique Pierre Savreux, 30 ans, ancien responsables des Jeunes UMP de la Somme et 34e de la liste. «Il faut comprendre que la répartition des postes résulte de l'accord de Brigitte Fouré et d'Alain Gest. Les postes UMP ont été répartis par Alain Gest. Quand on signe le formulaire de la préfecture, on ne connaît pas encore sa place».
En ce qui le concerne, Pierre Savreux aurait aimé être plus haut dans la liste... mais il fut, semble-t-il, difficile d'y trouver une place entre les hommes représentants les partis politiques de l'union: Gest et Mercuzot (UMP), Jardé (UDI-Nouveau centre), Loric (Modem), Fradcourt (UDI – Parti radical). Mais peu importe, tout comme ses deux colistiers, Pierre Savreux estime que les jeunes sont bien représentés dans la liste.
Du côté de la liste Aube nouvelle, on l'a vu, la moyenne d'âge est élevée. En troisième position, on trouve pourtant Loïc Terlon, 31 ans. Sa place, il la doit, entre autres, à son statut dans le Parti de gauche (PG), dont il est secrétaire départemental. «Comme on est tombés d'accord sur le programme, on a validé le fait de figurer sur la liste. Le reste s'est fait naturellement, ceux qui sont devant sont ceux qui voulaient être devant.» Plusieurs places ont été réservées pour les membres du Parti de gauche, qui devaient être quatre mais qui se retrouvent finalement en doublette suite à deux désistements. «J'ai été mis en 3e pour le renouveau, ça m'a profité d'être jeune, en quelque sorte».
Loïc Terlon est le seul trentenaire des 19 premiers de la liste Aube nouvelle. Il évoque plusieurs raisons à cette situation. «Les électeurs attendent des gens qui ont un bilan pour s'appuyer dessus. C'est le cas de Cédric Maisse, Dolores Esteban et Fabienne Debeauvais, ils apportent une garantie par leur action. Par ailleurs, les jeunes qui finissent leurs études, tentent de trouver un boulot. Ce n'est pas évident de s'afficher sur une liste électorale quand on commence dans la vie professionnelle. Vis-à-vis des employeurs, je pense que c'est plus facile d'être sur une liste de droite».
S'il y en a une qui ne craint pas pour sa situation professionnelle, cela doit être Emmanuelle Steuperaert. À 27 ans, elle est attachée parlementaire de la députée Barbara Pompili, et membre d'Europe-Écologie-Les-verts. Avec sa 20e position, elle est la première des moins de trente ans de la liste Osons Amiens. Elle rapporte une négociation des places qui s'est faite en deux étapes: d'abord dans son parti, puis avec la liste. «On a voté une liste en interne, avec EELV, que l'on a présenté aux partenaires [de la liste de Thierry Bonté, ndlr]. J'ai demandé si c'était légitime que je sois en troisième position des EELV, mais tout le monde m'a encouragée. C'est un parti où on incite les jeunes à avoir des responsabilités». Elle qui souhaite juste un «poste de conseillère municipale de base» est satisfaite de sa place.
Une adjointe au milieu de la mêlée
Émilie Thérouin a aujourd'hui 32 ans. En 2008, lorsque l'équipe de Gilles Demailly est arrivée à la tête de la mairie, elle en avait 26. Et elle s'était retrouvée adjointe à la sécurité, une «délégation à responsabilité», comme elle le rappelle. À l'époque membre d'EELV, elle est aujourd'hui sans étiquette.
Malgré un bilan peu contesté au sein de sa liste, elle n'a obtenu que la 28e place de la liste de Thierry Bonté (PS). Est-ce un choix de sa part, d'être éligible en cas de victoire mais pas en cas de défaite, pour ne pas faire partie de l'opposition? Non, pas vraiment. «Les partis se partagent les douze premières places de la liste, c'est un grand classique. Dans une grande ville comme Amiens, les partis sont animateurs de la vie locale», explique-t-elle. PS, PCF, EELV se partagent ainsi les 12 premiers sièges, suivis par les mouvances qui pèsent moins, comme le PRG et le MRC. Et tous ceux-là ont fait le choix de remettre des élus sortants et expérimentés en avant, tout comme Rassemblés pour agir avait gardé les premières places masculines pour ses ténors.
Pourtant, selon elle, l'essentiel ne se joue pas là. «En 2008 je me souviens que j'étais aussi dans cette partie de la liste, avec Étienne Desjonquères et Guillaume Bonnet. Or nous étions tous relativement jeunes et nous avons tous obtenu une délégation, en ce qui me concerne, cela avait été décidé avant l'élection. La place dans la liste ne présage pas forcément de la place dans l'exécutif en cas de victoire. La place dans la liste doit inciter à voter pour cette liste, mais souvent les variables sont détenues par les partis politiques.»
Le 7 avril, lors de la mise en place du prochain conseil municipal, les jeunes de l'élection seront-ils ceux de l'exécutif? Ou devront-ils attendre quelques années avant de pouvoir accéder aux responsabilités? À part du côté du Parti sans cible, la question reste entière.
Les données viennent des déclarations des candidats ou des données de la préfecture. Il faut aussi noter que, dans le premier graphique, la répartition de la population est exprimée en pourcentage de la population totale, alors que les autres graphiques représentent les effectifs des listes.