Deux cents, peut-être trois. «C'est pas le grand soir» concède un militant.
Certains syndicats ont choisi de se mobiliser. C'est le cas la CGT, de Sud et de la FSU (enseignants). Mais d'autres n'ont pas désiré se joindre au mouvement, argumentant que les jours de grève ponctuels épuisent les salariés et n'apportent pas grand chose.
Guère plus de 200 personnes dans les rues d'Amiens.
Pourtant, il y a bien eu des grévistes hier, dans les trois fonctions publiques (hospitalière, territoriale, d'État). Pour Amiens métropole, trois crèches municipales sur 16 sont restées fermées, et des perturbations sont intervenues dans la restauration scolaire ou l'accueil matinal des enfants. Dans les autres corps de la fonction publique, c'était un peu plus difficile d'avoir des chiffres de mobilisation.
FSU et CGT avaient appelé à la mobilisation.
L'enjeu de la grève, c'est de peser sur les négociations qui vont s'ouvrir le 7 février. Face aux représentants syndicaux, il y aura alors Marylise Lebranchu, ministre de la réforme de l'État, de la décentralisation et de la fonction publique. Leur thème: «Parcours professionnels, carrières, rémunérations».
Autrefois, quand le Parti socialiste (PS) était dans l'opposition, les luttes auraient pu converger avec certains de ces syndicats. Aujourd'hui, les choses ont changé et les négociations qui vont s'engager risquent d'être tendues. En écoutant les revendications des manifestants, c'est parfois de la déception face au gouvernement Ayrault, d'autres fois l'espoir de voir les choses s'améliorer. Tour d'horizon des sensibilités et des revendications.
«Trop de boulot à l'intérieur, trop de chômeurs à l'extérieur» scandait-on du côté des soignants.
Brigitte Nourtier travaille au service de gériatrie "2" de l'hôpital Saint-Vincent de Paul. Elle défile sous les drapeaux de la CGT, avec huit de ses collègues du service: infirmiers, aides-soignants ou agents de service.
Elles et eux, ce sont surtout pour dénoncer leurs conditions de travail qu'ils manifestent. «Cela fait presque une année que nous réclamons à la direction du CHU des moyens supplémentaires. Nos conditions de travail se dégradent, les départs à la retraite ne sont pas compensés et il manque du personnel.»
Un quart des effectifs de ce service de gériatrie avait fait le déplacement.
À les entendre il manque de tout, tout le temps. «L'après-midi, il y a une infirmière et une aide-soignante pour vingt patients. La nuit, c'est le même effectif, mais pour trente-huit patients! Et le matin, ce n'est pas beaucoup plus: il y a quatre ou cinq aides-soignants pour faire les toilettes et les soins des trente-huit patients du service!»
Ces effectifs qui manquent, elles les comptent en surcharge de travail, pour tous les employés. «Il faut aller toujours plus vite, le premier qui en pâtit, c'est le patient.» La journée de carence, cette non rémunération de la première journée de congé maladie , pour eux aussi est une souffrance. Certains vont venir travailler malades, sinon ce sont les collègues qui sont réquisitionnés.
Ce service a su se mobiliser, mais la manifestation ne compte pas tant d'hospitaliers que cela. «Beaucoup de gens sont très déçus de ce qui se passe, mais c'est difficile de les mobiliser. C'est vrai qu'on n'est pas très nombreux à manifester, mais on est tellement peu nombreux à l'hôpital, beaucoup sont réquisitionnés», avance Brigitte Nourtier, en guise d'explication.
«Par ailleurs, on n'a pas des salaires exceptionnels. Perdre une journée, cela peut être conséquent : on a des collègues qui élèvent leurs enfants seules.»
«Un climat social qui se détériore»
«Il y a beaucoup de gens qui râlent mais qui ne savent pas se mobiliser.» C'est l'avis de Florence Babard qui marche, non loin de là, sous la bannière Sud (Solidaires unitaires démocratiques) collectivités territoriales. Elle est conseillère en économie sociale et familiale, pour le conseil général de la Somme.
«Avant, on était dans l'éducatif. Aujourd'hui on est dans la consommation d'un service.»
Sa manifestation, elle la voit aussi comme un mouvement de solidarité: «Je me rallie au mot d'ordre général, sur le pouvoir d'achat et les carences. Je suis aussi venue en réaction à la situation de Goodyear, je m'inquiète pour les générations futures.»
Mais son travail de tous les jours l'inquiète aussi: «On a l'impression que le climat social se détériore. Et on n'a plus de réponse à donner aux personnes qu'on a en face de nous et qui connaissent de plus en plus de difficultés. Il faudrait qu'on apprenne aux gens à vivre avec le moins possible, et qu'ils soient heureux avec ça!».
Elle pointe aussi que, sous des contraintes de temps, le métier a changé. «Avant, on était dans l'éducatif. Aujourd'hui, on a l'impression d'être dans la consommation d'un service social. Les gens viennent chez nous au coup par coup, on n'a plus les moyens d'être dans l'accompagnement. Certains travailleurs sociaux vivent très mal cette situation, dans leur éthique, dans leur déontologie.»
Si on lui demande son opinion sur l'influence des changements politiques, la travailleuse sociale considère l'alternance au sein du conseil général. «Bien entendu, les personnels du conseil général sont mieux considérés par Christian Manable que du temps d'Alain Gest, mais on a l'impression que la gauche tâtonne et que rien ne s'améliore.»
Stéphane Brendlé est enseignant, et co-secrétaire départemental du syndicat FSU (Fédération syndicale unitaire). Il y a plusieurs éléments qui l'amènent dans la rue, ce jeudi.
Les salaires qui mériteraient une revalorisation qu'ils n'ont pas connu depuis longtemps: ils sont gelés depuis 2010 et perdent leur avance sur le coût de la vie, d'après ce syndicat. Et puis la journée de carence, qui avait déplu au Sénat socialiste mais qui reste d'actualité.
L'enseignant d'Étouvie a vu ses conditions de travail se dégrader.
Au-delà de ces deux points, le syndicaliste déplore aussi les conditions de travail: «On a vécu cinq ans, dix ans d'enfer avec des suppressions de postes massives. Tout cela, ça s'est répercuté en hausse du nombre d'élèves par classe et en hausses des heures supplémentaires. Il y a eu une vraie dégradation du travail pour tout le monde, c'est ça la conséquence concrète.»
Et de citer ces enseignants qui, suite à la suppression de leur poste, doivent aller travailler loin, très loin de leur domicile ou ceux-là qui ont des heures de travail réparties entre plusieurs établissements, parfois éloignés. «Ce n'est pas sans impact dans les aspects matériels de sa vie, puisque les déplacements coûtent, ce n'est pas sans impact sur la capacité à s'investir dans son travail».
Certes, le président Hollande a commencé à tenir les promesses du candidat, des postes ont été créés. Cette année scolaire, la Somme a été pourvue de 6 postes dans les collèges. «Mais avec 160 élèves en plus dans le secondaire, ces créations ne font que compenser la hausse des effectifs», déplore Stéphane Brendlé.
Peut mieux faire
Benoît Drouart est enseignant en collège et lycée à Noyon, dans l'Oise. Membre de la CGT, il est du même avis: «La situation est dramatique dans l'académie avec tous ces postes supprimés. Je reconnais que 60000 postes c'est un bel effort, mais ce sont 80000 postes qui ont disparu, il faudrait qu'ils soient tous remplacés.» Par ailleurs, l'enseignant de l'Oise regrette que tous les niveaux ne soient pas également privilégiés. «Pour l'instant, l'effort est porté sur le primaire et les collèges. C'est peut-être une bonne chose, mais ce n'est pas suffisant. Dans les lycées, certains collègues ont encore 35 à 37 élèves par classe, parce qu'il faut continuer à moyens constants.» Peut mieux faire.
Selon Benoît Drouart, les effectifs mériteraient d'être renforcés en lycées.
D'autres sujets inquiètent Benoît Drouart. Des menaces qui pèseraient sur les Rased (Réseaux d'aide spécialisée au élèves en difficultés) et les Segpa (Section d'enseignement général et professionnel adapté) ou encore une régionalisation de l'enseignement professionnel, qu'il aimerait voir rester dans le giron de l'Éducation nationale. «C'est un premier pas vers la régionalisation de tout l'enseignement. C'est ce qu'il se passe en Allemagne, et le résultat n'est pas toujours bon: là-bas certains bahuts sont en faillite.»
Alors si les sujets sont si nombreux, pourquoi une mobilisation si faible, dans la rue? «La moitié du cortège est composée de membres de l'éducation nationale. Ce n'est pas le grand jour, mais c'est déjà significatif», estime Stephane Brendlé. «C'est difficile d'articuler des revendications communes à l'ensemble de la fonction publique et des revendications liées aux cœurs des métiers.»
Aujourd'hui, vendredi 1er février, les syndicats de l'éducation rencontrent le directeur académique pour préparer la rentrée 2013. Ils espèrent, grâce à cette mobilisation, peser sur les discussions et «débloquer les situations les plus urgentes» selon les mots de Stéphane Brendlé.