Victor Myslinski et Marianne Varlet, de la Faep.
Pour aider les étudiants précaires à pouvoir se nourrir correctement, la Fédération des associations étudiantes picardes (Faep) planche depuis plus de deux ans sur l'élaboration de ce qu'elle nomme l'Agoraé, une épicerie solidaire étudiante. Ce serait la neuvième à voir le jour en France. Ce projet, chapeauté par la FAGE (Fédération des associations générales étudiantes), est le fruit d'un constat alarmant sur les moyens dont disposent bon nombre d'étudiants pour se nourrir en Picardie.
En effet, si durant cette dernière décennie, la bourse des Français s'est amaigrie de manière radicale, pour ceux qui, au départ, ne roulaient pas sur l'or, la situation est devenue très critique. Selon la Faep, cette précarité est grandissante. De plus en plus d'étudiants seraient contraints de travailler pendant leurs études. Assumant difficilement les deux fronts, ils quittent le système universitaire de manière prématurée. Et, ce faisant, on compte de moins en moins d'étudiants issus des classes moyennes et ouvrières, indique la Faep.
«Les parents ne peuvent plus aider leurs enfants ou beaucoup moins, déplore Marianne Varlet, vice-présidente de la Faep en charge de l'Agoraé. Je suis originaire de Bretagne et en arrivant en Picardie, j'ai été frappée de voir par la différence de moyens des étudiants. D'ailleurs dans la région, 51% des étudiants sont boursiers. C'est au dessus de la moyenne. En 2012, nous avons fait un grand questionnaire diffusé sur le net et sur les réseaux sociaux. Nous avons obtenu environ 600 réponses. Et là, nous avons constaté que les chiffres étaient alarmants.»
D'où l'urgence de cette épicerie solidaire. Celle-ci se trouvera rue des Francs-Mûriers, donc proche des facs de sciences, d'arts et de droit-économie, dans un local appartenant à l'université d'Amiens. Les travaux devraient commencer d'ici peu.
La situation propre de l'étudiant, pas celle de ses parents
«L'épicerie sera accessible selon certains critères sociaux, explique Marianne Varlet. Tous les trois mois, une commission se réunira pour savoir qui pourra en bénéficier. Nous voudrions que la commission soit composée d'un assistant social du Crous, de la personne porteuse du projet, à savoir moi pour le moment, mais aussi de personnes extérieures. Comme des professeurs qui en auront fait la demande par exemple.»
Contrairement à l'attribution d'une bourse, qui elle se base sur les revenus des parents, l'étude des dossiers se fera au fur et à mesure de l'année. Ainsi, en cas de grand changement de situation, l'étudiant ne sera pas complètement démuni. Une rencontre avec le Crous est prévue très prochainement et la Faep espère bien signer une convention.
«Nous aimerions aussi qu'une assistante sociale assure une permanence chaque semaine, indique Victor Myslinski, président de la Faep. Car tous les étudiants ne pourront pas bénéficier de l'Agoraé. Mais nous ne voulons pas les laisser tomber en les aidant pour s'orienter, à gérer leur budget quotidien, ou être dirigés vers des services plus compétents que les nôtres en cas de trop grande précarité.»
Les étudiants dont le dossier aura été retenu pourront faire leurs courses à l'épicerie pendant une durée de deux à trois mois, reconductible une fois. «Ça doit rester une aide d'appoint, poursuit Marianne Varlet. Ne pas rester la seule manière pour l'étudiant de se nourrir. Ce n'est pas une solution à long terme. Nous pensons aider une centaine d'étudiants à chaque fois. Au delà, ce ne serait pas gérable. Pour arriver à ce chiffre, nous nous sommes aussi basés sur ce qu'il se fait ailleurs en rapport avec le nombre d'étudiants à Amiens.»
La nourriture sera revendue 10 à 30 % du prix classique en supermarché. Pour arriver à un tel résultat, la Faep a reçu le soutien de la fondation Carrefour, de la Mutualité Française, de la fondation Macif et de l'Université de Picardie Jules-Verne (UPJV). «Nous nous fournirons principalement à la Banque alimentaire. Le Secours Catholique nous donnera des rayonnages et les Rotary Clubs d'Amiens nous achèteront des frigos grâce à l'argent récolté lors d'un concert organisé l'an dernier.»
L'autre partie de l'Agoraé, le lieu de vie, sera quant à lui accessible à tous les étudiants. «C'est le côté sympathique de ce projet», commente Maxime Desmaris, élu Faep au sein du conseil d'administration du Crous. «On ne voulait pas que le fait de fréquenter l'Agoraé soit stigmatisant. C'est important d'accueillir tout le monde pour une meilleure cohésion sociale. Le but est qu'ils se rencontrent entre eux et qu'ils échangent, partagent leurs connaissances. On voudrait organiser beaucoup de choses comme des cours de cuisine, des expositions des œuvres des étudiants en arts, des soirées jeux de société et pourquoi pas aussi des soirées d'information avec pour thème les aides auxquelles les étudiants peuvent prétendre. Beaucoup d'étudiants ignorent qu'ils peuvent se faire aider.»
Le Crous s'interroge
Le Crous d'Amiens-Picardie, quant à lui, ne se prononce pas encore sur le rôle qu'il va jouer dans ce projet. Toutefois, il reçoit l'initiative très favorablement. «Je ne sais pas encore si nous allons collaborer avec eux sur ce projet, exprime le directeur du Crous Jean-Luc Hembise. Nous nous sommes déjà rencontrés et une seconde réunion est prévue. On examinera ça en son temps.»
Pour lui, cette initiative étudiante «va dans le même sens de ce que nous faisons déjà avec le fond national d'aide d'urgence, dont les dossiers sont examinés par nos assistants sociaux» et également dans le même sens que l'aide financée par la Région en matière de restauration universitaire : après examen de leur dossiers, des étudiants peuvent obtenir 150 repas Crous par an.
En tout cas l'initiative de la Faep a été largement validée dans les urnes la semaine dernière à l'UPJV. Car à l'occasion du renouvellement des représentants étudiants au sein des conseils centraux de l'université, la Faep a réalisé un score historique en Picardie. Avec 79% des suffrages exprimés, elle a obtenu 19 sièges sur 25. Un record.