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Les dessous des Galeries Lafayette

Le 03 September 2012
Enquête commentaires
Par Fabien Dorémus

Un seul magasin mais deux sortes de salariés.

En entrant aux Galeries Lafayette, rue des Trois Cailloux à Amiens, difficile de s'en apercevoir. Pourtant, parmi les dizaines de vendeurs qui s'affairent entre les rayons, un tiers n'est pas salarié du prestigieux magasin. On les appelle les «démo» pour «démonstrateurs», ou parfois les «hors gestion» car ils ne dépendent pas des Galeries Lafayette. Sur leurs contrats de travail, c'est écrit noir sur blanc. Leur employeur, c'est Azzaro, Mariner, The Kooples, Dim ou encore Springfield. Les marques mais pas le magasin.

Derrière les murs de l'immense bâtiment de sept étages (dont quatre accessibles au public), les «démo» cohabitent avec les salariés des Galeries Lafayette. Dans le jargon, on les appelle les «GL». Ils vendent les marques Galeries Lafayette, Briefing, Avant Première, Jodhpur, mais aussi des marques indépendantes. Entre ces salariés aux intérêts divergents, la cohésion n'est pas toujours évidente.

À Amiens, il sont 68 «GL» pour 35 «démo». Tous gèrent la mise en rayon, la vente et la prévention contre le vol.«Et en général, ça se passe bien», explique Pascale Defossez, déléguée CFTC du magasin. Mais pas tout le temps. Car certains démonstrateurs refusent d'encaisser les produits d'une autre marque que la leur. Logique d'après leurs contrats de travail mais difficile à gérer au quotidien.

Autre motif de division: lors des élections des délégués du personnel, les «démo» ne peuvent pas voter pour des représentants présents dans le magasin. Ils sont défendus par des délégués de leurs marques respectives. «Quand il y en a», regrette Pascale Defossez. «Si un démonstrateur a un problème avec son chef, quand ce n'est pas trop grave, on essaye de s'arranger ici [dans le magasin amiénois, ndlr]. Sinon, il faut voir avec les délégués du personnel de sa société.»

Chez les «démo», il y a autant de contrats de travail que de marques. Et les conditions proposés sont souvent plus précaires que celles de leurs collègues, salariés des Galeries. Être employé comme «démo», c'est «être amené à se déplacer sur un autre point de vente» de sa marque «pour des missions temporaires», comme le stipulent certains contrats de travail. «Dans cette hypothèse, le salarié sera informé de cette décision de transfert du lieu de travail par courrier sous un délai de prévenance raisonnable, ne pouvant être inférieur à 7 jours», explique l'un d'eux.

Une double pression

Les «démos» ne sont pas une spécificité picarde. Boulevard Haussmann à Paris, la situation est similaire. «Il y a beaucoup d'abus», indique Françoise Ruotte, déléguée CFDT du magasin parisien, pour qui le recours aux «démos» permet à la direction d'exercer une double pression sur les salariés.

Pression de la marque qui demande des comptes régulièrement à ses vendeurs, notamment si le chiffre d'affaires n'est pas au rendez-vous. Et pression de la direction du magasin qui pousse par exemple les vendeurs à écouler des cartes Cofinoga (filiale du groupe Galeries Lafayette). Une carte qui remplace les moyens de paiements habituels (carte bancaire, chèque, espèce) et fait office de carte de crédit à la consommation.

Les salariés «démo» ne sont pas censés vendre ces cartes. Ce n'est pas dans leurs contrats. Mais dans la réalité, «on nous conseille de le faire», confie prudemment un salarié amiénois. Ils sont même «fortement incités», selon Pascale Defossez. L'incitation touche au porte-monnaie. Une carte vendue rapportera 4 euros en chèque cadeau valable... dans le magasin. Les trois meilleurs vendeurs du magasin se verront également offrir annuellement un séjour à Paris. Pour être dans le trio de tête, il faut vendre plus de 200 cartes par an.

Et si les tensions entre «démo» et «GL» ne suffisaient pas, les Galeries réussissent également à créer des tensions entre étages d'un même magasin. À Amiens, près de 30% des ventes de l'établissement sont déjà réalisés avec la carte. Mais pour «motiver» ses vendeurs encore davantage, les Galeries Lafayette organisent des «Challenges». Le but du jeu: vendre un maximum de carte dans un temps donné.

La concurrence se fait alors individuelle mais aussi collective. Les niveaux du magasin sont transformés en équipes. Le rez-de-chaussée en forme une, le premier étage une autre, etc. Le «plateau» qui aura le mieux vendu gagnera une prime ou un cadeau. Et le jeu dure généralement entre deux et quatre semaines. «Quand les objectifs ne sont pas atteints, cela crée des tensions sur le plateau», regrette encore la déléguée CFTC.

Dans l'œil du Télescope

Contacté par téléphone, le siège des Galeries Lafayette «ne souhaite pas prendre la parole sur ce sujet».