Depuis leur fenêtre, la vue sur une cité désertée. Seuls quelques appartements sont encore occupés.
Quartier Brossolette. Certaines entrées donnent encore envie d'entrer. Les lourdes portes de métal sont propres, le digicode et la sonnette sont toujours fonctionnels. Seules, certaines fenêtres ouvertes sur ce froid matin de novembre ou d'autres, éborgnées par des panneaux de bois, laissent deviner qu'ici, il n'y a plus grand monde.
Et puis il y a l'entrée qui conduit chez les Mehalil. La sonnette est défoncée, boîtier électronique béant, fils arrachés. Les carreaux, cassés il y a si longtemps qu'ils ont complètement disparu. Ne vous attendez pas à ce que la porte d'entrée ferme: cette époque est révolue. Les parties communes sont ouvertes aux quatre vents, et ne ressemblent plus du tout à une cage d'escalier décente où Fatima Mehalil, Miloud Reziga et leurs cinq enfants pourraient circuler en sécurité et sainement.
Miloud Reziga aimerait avoir des informations sur son déménagement.
«Je ne pensais pas que j'allais être la dernière ici» s'étonne encore Mme Mehalil. L'avant-dernière locataire est partie en avril. Les autres locataires avaient quitté l'immeuble, peu à peu, et la petite famille pensait bien partir en même temps que ses voisins.
Mais depuis plus de six mois la famille vit seule, au quatrième étage d'un immeuble vide, dans l'attente d'un déménagement promis par le bailleur social. Un déménagement qui n'arrive pas.
La raison? Ils l'ignorent. La conseillère de l'Opac est venue pour leur proposer des logements disponibles. Beaucoup à Amiens Nord, mais aussi St Leu, où le bailleur social possède quelques maisons. Mais pour se rapprocher de leur famille, ils ont choisi de rester à Amiens Nord.
Un logement refait à neuf, mais quand?
«On doit aller dans un logement sur Calmette. L'Opac l'a complètement refait, il est comme neuf. On devait y entrer fin octobre. Nous sommes début novembre, et on ne sait toujours pas quand on pourra l'intégrer.» se désole Miloud Reziga. «Il paraît que c'est un problème d'amiante à régler.»
Alors pour le moment, lui et sa famille doivent faire avec. Avec les odeurs d'urine sur les paliers, les squatteurs qui allaient et venaient, ceux qui tentaient de récupérer les derniers câbles de métal jusqu'à ce que le bailleur condamne les portes d'appartements pour de bon. Il y a aussi les rats qui prennent leurs aises dans ces escaliers.
Ce samedi matin, la cité Brossolette est ensoleillée, et la famille se réchauffe après deux jours passés sans chauffage. Les enfants sont dans l'appartement, s'occupent, jouent à l'ordinateur. Fatima Mehalil regarde le parking, presque désert entre les immeubles. Elle ne laisse plus ses enfants y jouer. «Les escaliers qui sont dans un état lamentable, les squatteurs, les courses-poursuites dans la rue». La maman inquiète énumère les dangers qui menacent sa progéniture, dehors. «On ne sait pas sur qui les enfants peuvent tomber. Du coup, c'est les vacances, et pourtant ils sont enfermés H24.»
Leur propre logement n'est pas plus rassurant. Depuis que les appartements voisins sont inhabités, les cafards s'y multiplient, et envahissent sans relâche le logement des Mehalil. Grand nettoyage toutes les semaines, insecticide à volonté, rien n'y fait.
Dans le logement trop humide, d'autres insectes, furtifs, semblent avoir fait leur apparition: certains membres de la famille portent les stigmates de piqûres dont les auteurs leur restent inconnus.
Les fenêtres souffrent d'importants problèmes d'étanchéité: les meubles ont pâti des derniers orages. La machine à laver y a laissé sa peau.
L'électricité justement, a tendance à sauter. Les ampoules vacillent ou refusent de s'éteindre. Il faut dire que les interrupteurs ont connu des jours meilleurs. L'un ne tient plus que par l'intervention d'un cure-dent, l'autre réserve une décharge à ceux qui l'actionnent.
«On appelle les services de l'Opac, on signale les dysfonctionnements, mais rien ne vient. Même si on doit déménager dans quelques semaines, ce n'est pas une raison pour nous laisser comme ça. On a dû attendre plusieurs semaines avant qu'ils nous remettent une boîte aux lettres. Le facteur ne montait plus!»
Des locataires qui entretiennent l'exaspération de la famille.
Les enfants de la famille ont entre deux et quinze ans, Miloud Reziga se remet difficilement d'une lourde affection respiratoire. Pour lui, deux raisons d'avoir hâte de quitter la rue Brossolette. Il ressent de la tristesse et de l'impuissance, se sent oublié. «Pourtant on paye nos loyers, nos charges, on n'a presque jamais de retards de paiement, explique-t-il. Ce n'est pas humain de nous laisser vivre dans ces conditions. Ce n'est pas digne d'une société.»
Tous logés à la même enseigne
À l'autre bout de cette barre de HLM, c'est l'association Roue libre 80. Une association de location de deux-roues et de sensibilisation à la sécurité.
Eux non plus n'en savent pas beaucoup sur leur déménagement. Georges Vetrino, président de l'asso, explique que les locataires ont reçu un courrier pour vider les lieux le 6 novembre. Certains locataires continuent à déménager, mais pour d'autres, rien ne bouge. «On a pris contact avec les services de la Ville pour qu'ils nous proposent un local convenable, mais on n'a toujours pas de réponse.»
Avec Roue libre 80, ils auraient bien utilisé un local vide de l'Opac qui se situe à Calmette, mais le bailleur social ne semble pas tenté par la proposition.
L'association comme les autres locataires, est dans l'incertitude. Du côté de l'Opac, la situation semble bloquée. Brossolette doit bien subir une destruction, mais il semble évident que le projet a pris du retard et ne pourra peut-être pas s'achever avant la fin de l'année.
L'Opac n'a pas eu le temps de répondre aux sollicitations d'information sur cet article. La mise à jour aura lieu dès que les responsables auront donné des détails sur le programme de la rue Brossolette.