Cela pourrait être une crise de plus pour les hôpitaux publics de la région. Une crise mineure, mais qui grève un peu plus les budgets d'un CHU qui a déjà des difficultés à boucler ses fins de mois.
Au centre de la polémique, l'Unité centrale de stérilisation, l'UCS80. Basés sur le site de l'hôpital sud, à Salouël, les salariés de l'UCS stérilisent, depuis 2008, le matériel médical des hôpitaux de Corbie, Doullens, Abbeville, Montdidier ou Château-Thierry.
Jusqu'au mois de septembre, cette entreprise livrait aussi les cliniques privées amiénoises, comme la clinique de l'Europe, la polyclinique de Picardie et la clinique Victor-Pauchet. Mais un différend financier qui couvait depuis la création de l'UCS80 a fait voler en éclat cette coopération: aujourd'hui les cliniques ont quitté le navire et laissent derrière elles des hôpitaux avec un outil coûteux et sur-dimensionné.
Pour comprendre les circonstances de cette séparation, il faut remonter en juin 2005. Les établissements publics et privés signent un protocole avec l'ARH, l'Agence régionale d'hospitalisation (ancêtre des ARS), pour régler leurs relations au sein d'un groupement de coopération sanitaire (GCS). Le but de ce groupement, c'est la stérilisation.
L'ARH, qui a poussé les établissements à se regrouper, proposait de créer un établissement de droit privé aux normes les plus pointues, aux processus industriels et aux capacités telles qu'il pourrait répondre à des catastrophes sanitaires régionales. C'est la naissance de l'UCS80, une entreprise fonctionnant sous un régime de droit privé, composé d'établissements de santé publics et privés.
Perdant avant de signer
Comme le souligne la Chambre régionale des comptes de Picardie, qui avait déjà épinglé l'UCS80 pour son fonctionnement inéquitable, (page 10 et suivantes du rapport), le CHU d'Amiens était déjà perdant avant même de signer. Car pour construire et aménager le bâtiment de ce futur établissement public-privé, le CHU avait contracté un bail emphytéotique de 20 ans en son nom propre. Pendant 20 ans, le CHU devrait payer un loyer annuel de près d'un million et demi d'euros au promoteur immobilier et aménageur du site de la future unité de stérilisation.
Une autre enquête de la Chambre régionale des comptes a levé de sérieux dysfonctionnements dans la signature de ce bail. Selon les auteurs du rapport, le CHU n'avait pas de «légitimité» à signer le bail au nom d'un groupement de coopération sanitaire. D'autant que le groupement n'existait pas encore au moment de la signature. Il ne serait créé qu'un an plus tard.
Autre problème, l'unité de stérilisation conçue aurait été largement surdimensionnée. La capacité de l'UCS80 est de 35m³ par jour, alors que l'activité n'était que de 24 m³/jour. Ce sur-dimensionnement décidé par l'ARH a impliqué un surcoût au moment de la construction du bâtiment. Et enfin l'hypothèse d'un marché public classique, avec un appel d'offre et une maîtrise d'ouvrage publique, «n'a pas été sérieusement étudiée» face au bail emphytéotique, selon le rapport.
La Chambre régionale des comptes estime que la méthode du bail emphytéotique, où l'hôpital reste locataire d'une entreprise d'investissement privée pendant la durée du contrat est plus onéreuse de 6,22% qu'une maîtrise d'ouvrage publique. Car si le rapport de la Chambre régionale des comptes est dur, il épingle avant tout l'ARH et la politique nationale que l'agence répercutait en région.
D'après la direction actuelle de l’hôpital, citée par le rapport, «la solution du BEH [bail emphytéotique hospitalier] était une solution juridique et financière portée au niveau national et déclinée au niveau régional [...]; le souhait des pouvoirs publics était alors de mettre en place au moins un BEH par région.»
Ce bail représente près de 1,6 million d'euros de loyer annuel au CHU. Comme les besoins de stérilisation de l'établissement amiénois pèsent approximativement 60% de l'activité de l'UCS80, il pourrait en imputer environ 40%, soit 6 à 700 000 euros aux autres établissements membres.
Le CHU devrait répercuter ce loyer dans le montant des prestations de stérilisation de l'UCS80. Mais il ne le fait pas. Ce que dénonce la Chambre régionale des comptes: cela sous-évalue les coûts de production, fausse la concurrence et désavantage le CHU. Cliniques privées et hôpitaux secondaires sont les premiers bénéficiaires de la situation, profitant d'un service qui n'inclut pas tous ses coûts.
Depuis quelques années, le CHU était devenu la vache à lait de l'UCS80. En 2008, lors la livraison de l'équipement, l'administrateur de l'UCS80, le directeur du CHU, propose que le bail ne soit pas facturé aux membres du groupement de coopération sanitaire, pendant trois ans, jusqu'en 2011. L'objectif affiché était de ne pas froisser ces membres, publics et privés.
En 2008 et 2009, l'ARS avait accepté de financer une partie du loyer qui revenait aux cliniques et hôpitaux secondaires. Mais en 2010 c'est le CHU qui a pris le relais, seul. Le surcoût pour le CHU s'estime à 3 millions d'euros pour la période.
Le premier janvier 2011, le CHU a finalement imputé le surcoût du bail emphytéotique aux associés. Les petits hôpitaux de la région ont accepté de se plier aux règles, mais les cliniques se sont rebiffées. D'après les informations reçues du service financier du CHU, depuis 2011 les cliniques ont refusé de payer leur part du surcoût, au détriment du CHU. Un procédure judiciaire est en cours pour régler le différend.
Les cliniques prennent la tangente
Au début de l'année 2012, les cliniques annoncent leur souhait de se retirer du GCS au premier janvier 2013. Pour autant, jusqu'en septembre 2013, elles continuent à recourir aux services de l'UCS80, en tant que clientes. La polyclinique de Picardie serait, selon nos informations, en train de mener des travaux pour réintégrer son service de stérilisation. Mais, pour le moment, elle fait appel à un service de stérilisation basé dans le Nord.
Le coût total de la stérilisation était-il trop élevé pour les cliniques? À titre de comparaison, la polyclinique de Picardie a réparti environ 600 000 euros de dividendes entre ses actionnaires en 2013, soit le coût du bail de l'UCS pour toutes les cliniques et les hôpitaux secondaires.
D'après Cécile Chevance, directrice des finances du CHU, les coûts de l'UCS 80, amortissement immobilier compris, seraient tout-à-fait concurrentiels. Pourtant, le rapport de la Chambre des comptes estime que, outre le fait que les coûts de stérilisation du CHU ont grimpé de 65% à cause du bail emphytéotique, «la stérilisation de l’UCS80 n’est pas actuellement attractive pour de nouveaux membres».
Mais cette assertion, la Chambre des comptes l'a faite avant le retrait des cliniques. Qu'en est-il aujourd'hui? Le départ des cliniques peut-il faire vaciller la structure?
La directrice des finances du CHU se montre confiante. Selon elle, le retrait des cliniques a été bénéfique à l'économie de l'UCS80. «Le personnel prêté par les cliniques a été rendu à ses employeurs, ce sont des coûts en moins pour le groupement», estime-t-elle. En effet, cela représente sept salariés sur quelques 70 employés de droit privé. «On essaie de se réorganiser pour améliorer les prestations», explique Cécile Chevance qui assure que cette réorganisation se fera sans licenciement.
L'avenir du GCS sera peut-être de devenir un groupement de coopération sanitaire de droit public, puisque toutes les composantes privées ont choisi de partir. Et, pour le moment, rien n'indique que d'autres établissements viennent prendre la place laissée par les trois cliniques amiénoises.
Les services communication de la clinique Pauchet et de la polyclinique de Picardie ont été contactés à plusieurs reprises, au cours des deux dernières semaines, et devaient me donner une réponse commune. Les directions n'ont jamais donné suite. L'agence régionale de santé, de même, a préféré m'orienter vers le CHU, dont la directrice est l'actuelle administratrice de l'UCS 80.
Mise à jour, 10 décembre 2013: Suite à la publication de cet article, la direction de la Polyclinique de Picardie nous a fait parvenir un droit de réponse que nous publions, ce jour, dans son intégralité (voir le droit de réponse).