La journée, pourtant nuageuse, avait finalement épargné les visiteurs de la pluie. C'était le 20 juin dernier, à la citadelle d'Amiens. En grande pompe, les travaux du futur site universitaire étaient lancés en compagnie de son architecte, l'italien Renzo Piano. Un vrai succès populaire. Tout laissait alors à penser que le projet était ficelé de bout en bout.
Renzo Piano, l'architecte de la citadelle, le 20 juin dernier.
Ce n'est pourtant pas le cas. Le président de l'Université de Picardie Jules-Verne (UPJV), Michel Brazier, est venu le rappeler lors d'une conférence de presse donnée le 24 septembre. «Il reste plusieurs problèmes à la citadelle, s'est-il inquiété. À commencer par les conditions de vie étudiante.» En clair, où les étudiants vont-ils manger, se loger, se garer? Par ailleurs, le président de l'UPJV a signalé que rien n'était encore acté en matière de sécurité du site.
Mais ce n'est pas tout. Une autre question entoure le projet: le site de la citadelle sera-t-il assez grand pour accueillir tous les étudiants attendus? Les travaux lancés cet été doivent s'achever au milieu de l'année 2015. La première rentrée devrait s'y effectuer juste après, en septembre 2015. Seuls les étudiants des facultés d'histoire, de géographie, de langues et de lettres, actuellement au campus, prendront place dans les nouveaux locaux. Ainsi que les étudiants l'École supérieure du professorat et de l'éducation (Espé, ex-IUFM) dont les locaux sont situés boulevard de Châteaudun.
Michel Brazier, le président de l'Université de Picardie Jules-Verne.
Ce qui représente un peu moins de 3000 étudiants, si les effectifs restent stables. Il y avait l'année dernière environ 650 étudiants en histoire et géographie, 1200 en langues, 400 en lettres et 700 à l'Espé, selon les chiffres fournis par l'université. Or la citadelle pourra accueillir dès son ouverture plus de 4000 étudiants.
Il n'y a donc pas de problème. En réalité, il n'y en a plus. Car «si au début, ça nous paraissait étroit, précise Michel Brazier le président de l'UPJV, l'IUFM a perdu de ses effectifs ces dernières années.» La faute à des métiers de l'enseignement fortement dévalorisés. «Quand on a lancé le projet, on nous parlait de 1500 étudiants à l'IUFM», se souvient Didier Cardon, vice-président d'Amiens métropole en charge du dossier. On n'en est plus là, «mais les effectifs de l'Espé [ex-IUFM] ne demandent qu'à remonter», sourit Michel Brazier.
Mais qu'en est-il de la restauration étudiante? Le programme de la phase n°1 des travaux, celle qui doit s'achever mi-2015, prévoit l'ouverture d'une brasserie universitaire. Privée ou publique? «Dans notre tête, il a toujours été question qu'elle soit gérée par le Crous», assure Didier Cardon. Donc publique.
Une certitude pas partagée par tous, à commencer par le directeur du Crous Amiens-Picardie. «À la base, on parlait d'une petite cafétéria, pas forcément publique», explique Jean-Paul Hausslein. Il indique même que c'est seulement au milieu de l'année universitaire dernière que le Crous a eu l'assurance de gérer le lieu de restauration. «Nous avons même obtenu quelques mètres carrés supplémentaires», explique le directeur du Crous. Histoire d'agrandir un lieu qui, de toute manière, «ne va pas suffire».
Jean-Paul Hausslein, directeur du Crous Amiens-Picardie depuis 2011.
Le Crous a donc acté que la brasserie universitaire de la citadelle ne serait pas assez grande pour accueillir tous les étudiants. Comme solution, le Crous prévoit de négocier avec l'université pour que tous les étudiants ne sortent pas de cours en même temps le midi. «Quand on n'a pas l'espace, il faut trouver le temps», résume Jean-Paul Hausslein. De son côté, Didier Cardon, maintient qu'il a toujours été question de laisser le Crous gérer la brasserie. Selon lui, il y aurait eu un malentendu avec l'ancien directeur du Crous, parti en 2011. Un malentendu visiblement persistant.
Amiens métropole aurait également fixé au Crous des conditions d'exploitation de la brasserie: «On a fait des efforts pour situer la brasserie au meilleur endroit mais nous avions des exigences. Nous voulions faire vivre le lieu le soir, le week-end et pendant les vacances. Or, ce n'est pas dans les traditions du Crous. Mais les négociations ont abouti.»
C'est au niveau de ce bâtiment que devrait ouvrir la brasserie universitaire du Crous (photo prise en juillet lors de ce reportage).
En outre Didier Cardon explique que deux autres points de restauration seront ouverts à la citadelle. Il s'agira d'un «café-musique» et d'une autre brasserie située dans la tour centrale. En revanche, ce seront des restaurants privés. «On recherche actuellement des personnes pour s'y installer.»
Certes, pour les étudiants, il faut manger. Mais il faut aussi trouver un toit. Or, les futurs nouveaux logements étudiants se trouvent très loin de la citadelle.
En effet, le Crous va faire renaître de leurs cendres les bâtiments A et B du Bailly, à côté du campus. Tout ça en 2015. Mais du côté nord, du côté de la citadelle? «On attend un projet du Crous, il sera accueilli avec bienveillance. La Région est prête à s'engager financièrement», lance Didier Cardon, également élu au conseil régional de Picardie.
Mais, de la bouche même du directeur du Crous, «il n'y a pas de projection de construction de logements». Et pour cause, le Crous d'Amiens-Picardie n'a plus les fonds propres nécessaires pour entreprendre ce genre de travaux seul, et l'État (via le Cnous) ne semble pas décidé à mettre la main à la poche.
Le bâtiment B de la résidence du Bailly sera réhabilité en 2015.
Puisqu'ils ne pourront pas tous se loger à proximité de la citadelle, les étudiants vont donc devoir se déplacer pour aller en cours. Certains viendront en voiture. Mais où vont-ils se garer? «Les riverains ne vont pas être très contents si les étudiants engorgent les rues voisines», analyse Michel Brazier, le président de l'UPJV. «Et cela ne concerne pas que les étudiants. Les personnels de l'université qui vont avoir le choix disent ne pas vouloir venir à la citadelle pour cette raison», ajoute Philippe Nivet, vice-président de l'université.
La réponse à ce problème se trouverait à l'hôpital nord, dont le déménagement vers le CHU sud est prévu dans la même période que l'ouverture de la citadelle. «Le parking du CHU nord fait 550 places, explique Didier Cardon. C'est une propriété du CHU. Nous avons des négociations à mener qui devraient pouvoir aboutir.»
Fermeture partielle prévue la nuit
Reste une dernière question: comment assurer la sécurité du site? Pour le président de l'UPJV, «la citadelle sera un espace public où s'intégrera un espace universitaire. Je veux bien que l'on mette des caméras mais ça ne fera pas tout. Et les personnels de l'université ne sont pas des gardiens.» Et d'ajouter: «Nous n'avons pas encore travaillé sur la convention à ce sujet.
Didier Cardon assure, lui, que le travail est en cours dans le cadre d'une commission qui réunit Amiens métropole, la Société d'économie mixte (Sem) Amiens aménagement, l'architecte de la citadelle et la préfecture. «On se dirige vers la fermeture d'une partie du site la nuit, la mise sous alarme des bâtiments et l'installation de caméras de vidéosurveillance sur la place centrale.»
Il est prévu que ce soient les policiers municipaux qui se chargent d'ouvrir et fermer quotidiennement les grilles concernées. «Mais la meilleure des sécurités, explique Didier Cardon, c'est d'avoir du monde tout le temps sur le site, de faire de la citadelle un vrai lieu de vie.»