Aux fourneaux, mais habituellement Roselyne Eckoba (seconde depuis la droite) s'occupe plutôt d'alphabétisation, avec son association "L'un et l'autre".
«On n'a pas de friteuse?» Il est midi moins le quart. Sur la place entre la halle des sports et l'Étoile du sud, centre culturel du quartier Sud-est, un petit désagrément vient contrarier les derniers préparatifs de cette fête de quartier. Charbon, merguez et sodas au frais, tout est prêt sauf la friteuse. «Personne n'en aurait une?» On sollicite François de Oliveira, vice-président de l'ASQS, toute récente Association de solidarité du quartier Sud-est, créée en janvier dernier.
Le vice-président conseille de s'enquérir des prix dans un magasin de location de matériel. Et de demander à Anna Grabowicz, de la direction sécurité et prévention des risques urbains de la mairie d'Amiens, s'il sera possible de prendre en charge la location.
Créée par une poignée d'habitants du quartier de la Salamandre, l'ASQS commence à asseoir sa réputation, à fixer son activité. «Le jeudi, on a eu un créneau à la salle des fêtes: on a pu utiliser un coin cuisine pour faire des ateliers. Le lundi soir nous avons un créneau à la halle de sports et, pendant les vacances scolaires, on organise des stages sportifs du lundi au vendredi», énumère François de Oliveira. Tout cela avec le concours des différents services de la mairie qui prêtent les salles, les installations, ou encadrent les activités sportives avec des moniteurs agréés. Tennis de table, badminton, lutte: les jeunes du quartier s'initient à des sports qu'ils ne pratiquent pas spontanément.
Laisse pas traîner ton fils
L'ASQS, c'est un projet auquel François et ses compagnons pensaient depuis longtemps, bien avant les caillassages du mois de janvier. Même si c'est peut-être cet épisode violent qui a fini de les convaincre de se lancer. Leur constat: les jeunes n'ont pas d'activité, ils traînent les rues. Et tombent dans de mauvais travers. «Avant, il y avait l'association Yves-Le-Febvre qui faisait des sorties, du suivi scolaire, qui aidait aux démarches administratives, se souvient François De Oliveira, qui a souvent fréquenté leur local de Victorine-Autier. Mais depuis qu'ils ont quitté le quartier, il n'y a plus de sorties pour les jeunes.»
François De Oliveira est confiant: la population commence à adhérer à son projet.
Leur solution: occuper les jeunes. Sport, cuisine, aide aux devoirs... Mais l'association se donne aussi comme objectif d'écouter les adultes du quartier et de développer la solidarité entre les habitants. Même de venir en aide, très concrètement, par des travaux bénévoles chez des habitants.
Lorsque les membres de l'ASQS ont présenté leur asso à la Ville, ils ont tout de suite été épaulés. Anna Grabowicz et son service, en particulier, les ont aidés dans les démarches administratives, et dans la définition du projet associatif. Ils ont été intégrés au «réseau Salamandre», créé suite aux problèmes de sécurité.
Ce réseau, ce sont en fait tous les acteurs du quartier qui se mettent autour de la table. La préfecture et les élus amiénois supervisent, pendant que le comité de quartier, les associations d'habitants, les professionnels du social, de l'éducation primaire et secondaire, les directeurs du centre culturel ou de la halle des sports posent les problèmes du quartier et cherchent, ensemble, des solutions.
Le réseau Salamandre ne traite pas que des questions de sécurité: la preuve, ce sont ses membres qui se retrouvent aujourd'hui autour de l'organisation de la fête de quartier.
La fête regrettée
De mémoire d'habitants, il n'y avait pas eu de fête de quartier depuis la fin des années 2000. Et beaucoup les regrettaient.
Comme Karine Arnoud, chef de service prévention spécialisée à l'association Yves-Le-Febvre. «Aujourd'hui, ce sont des retrouvailles professionnelles, autour d'une association non-professionnelle [l'ASQS, ndlr]. L'organisation de cette fête permet de retrouver une solidarité entre toutes nos associations. Et puis la fête de quartier c'était un sacré rendez-vous qui fédérait les familles.»
Martine habite la Salamandre depuis 30 ans. Les fêtes de quartier? Une autre époque, bien éloignée, lui semble-t-il. «Avant, il y avait la fête à Victorine-Autier. Mais cela s'est arrêté, et ce ne sont plus les mêmes générations.» Martine sait que les derniers mois ont été tendus, à cause de quelques jeunes. «Il y a eu des dégâts... C'est vrai qu'il n'y avait pas grand chose à faire pour les jeunes. Aujourd'hui, je ne sais pas si cela va mieux, mais au moins tout le monde est réuni et s'amuse.» Elle est venue avec ses petits-enfants, bien contente de voir, de nouveau, autant de gens réunis pour la fête des voisins et la fête du quartier. Des gens «de toutes les couleurs».
Les parents ont gardé un œil sur le "babyfoot humain"
À l'époque, les fêtes se montent grâce au concours des associations locales: Yves-Le-Febvre, L'Un et l'autre, entre autres, avec le soutien de la municipalité. La toute dernière fois, c'est le centre culturel l'Étoile du sud qui invitait, sur une scène de plein air, des stars nationales du rap, comme un bouquet final à une fête qui ne serait plus reconduite.
Cette année, l'Étoile du sud participe à la fête. On peut rencontrer son directeur, Ridha Fahrat, qui va de stand en stand, saluant les passants: il a grandi dans le quartier, et aujourd'hui anime ce centre culturel tourné vers les cultures urbaines. Ce samedi, ses équipes ont installé un chapiteau et se sont occupées de la programmation musicale de la fête: en fin de journée, les concerts rap et hip-hop vont se succéder.
Un peu amer, le directeur regrette qu'il ait fallu des émeutes pour que l'on s’intéresse au quartier. «Cela faisait longtemps que les habitants demandaient un moment festif. Nous, on ne pouvait pas tout faire tout seul.» Pas assez de crédits, déplore Ridha Fahrat.
Qu'est-ce qui a changé cette année? L'ASQS s'est montée, les associations historiques l'ont suivie, et le réseau Salamandre s'est constitué. «On discutait déjà ensemble auparavant, entre centre culturel, centre d'animation jeunesse, associations et halle des sports. Mais peut-être qu'on ne mettait pas assez en valeur nos actions.»
Lucien Fontaine, élu en charge de la jeunesse, reste sur cette dernière explication. «J'appelais ce quartier le triangle des Bermudes. Il y avait là trois structures, l'Étoile du sud, la Tour du marais et la halle de sport, et pourtant, on avait l'impression qu'elles ne communiquaient plus depuis deux ou trois ans.» Mais cette année, il semble que la communication soit revenue. Avec elle, les crédits de la municipalité.
Toutes les assos sur le pont
Le budget global pour la Ville, c'est à peu près 10 000 euros, comme pour les autres fêtes de quartier amiénoises. En intégrant la mise à disposition du matériel, la buvette, le spectacle, les différents stands, les personnels d'encadrement. Une friteuse, justement, a été trouvée par les services municipaux: elle sera prête pour 14h, l'heure à laquelle commence la fête du quartier.
À l'heure dite, et jusque dans la soirée, les ados, les mamans et leurs jeunes enfants, les familles entières ont déferlé dans les rues, dans les places et dans la halle de sports, suivi les démonstrations de capoiera, de step ou de ju-jitsu.
Sur la rue Simone-Signoret à la circulation entravée, l'association Le Mail a garé son camping-car de lutte contre les dépendances, tandis que le Cardan tient un atelier lecture pour les plus petits et leurs parents, sur les pelouses qui surplombent la voie. Un atelier maquillage, des jeux traditionnels en bois et un baby-foot humain viennent compléter les activités de cette fête de quartier.
Aujourd'hui, François de Oliveira pense que son projet avance bien. Certes, l'ASQS n'a pas encore de local. Certes, les créneaux d'écoute des parents du lundi soir fonctionnent mal. Mais si les créneaux sportifs attirent beaucoup de très jeunes enfants, certains adolescents ont trouvé leur place dans ces activités. Ceux-là même que l'association ne voulait pas voir traîner dehors sans but. Ils accompagnent, parfois encadrent sur les sorties.
Aujourd'hui, une poignée d'adolescents s'est spontanément jointe à l'organisation de la fête de quartier. Ils s'activent autour de la cuisine de plein air ou surveillent les plus jeunes qui chahutent dans le château gonflable.
«Finalement, les accrochages de janvier auront au moins eu un effet positif: tout le monde s'est mis autour de la table et tout le monde a compris que ce n'est pas seul dans son coin qu'on va pouvoir régler les problèmes», estime Lucien Fontaine, qui a décidé de voir le verre à moitié plein.
«C'est un début, tout cela est fragile: bien entendu il ne suffira pas d'une fête de quartier pour résoudre les problèmes de la Salamandre. Il faut développer d'autres initiatives, des séjours, des créneaux de sport, bref, trouver des prétextes pour garder le dialogue avec les jeunes».
Ce que les événements démontreront. Lors du deuxième passage d'une escouade de CRS au milieu de la fête, flash-ball et lacrymo au poing, un de ces ados qui s'était spontanément joint à l'organisation s'en va, front contre front, à la provocation.
Moment de tension vite résolu par l'intervention des adultes et des éducateurs. Dommage, les policiers municipaux avaient, eux, pu s'arrêter au barbecue pendant leur patrouille, sans provoquer d'émoi. À la Salamandre, la paix semble encore fragile.
Les interlocuteurs que j'ai interrogés samedi 1er juin n'ont, hélas, pas pu tous figurer dans mon article. Mis à part les propos de Lucien Fontaine, recueillis à l'issue du conseil municipal, jeudi 30 mai, les autres propos ont été recueillis durant la fête du quartier.