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Les angles sourds de la cartographie du bruit

Le 10 June 2013
sur la carte commentaires
Par Rémi Sanchez

La carte des nuisances sonores publiée par Amiens métropole nous montre la capitale picarde sous un nouveau jour.

(voir la carte en grand)

Orange ou violets, les boulevards d'Amiens dépassent allègrement les 70 décibels (dB). Dans les petites communes de l'agglomération, les riverains des axes routiers ne sont pas forcément mieux lotis. Entre les habitations figurées en gris, certains quartiers se recouvrent de jaune, figurant une exposition moyenne de 55 dB.

Cette carte établie par la Métropole devraient bientôt figurer sur son site internet, accompagnées d'une centaine d'autres cartes sectorisées. Mais pour quelle raison? À quoi servent-elles précisément?

Si la Métropole est contrainte d'établir ces cartes aujourd'hui, cela vient de Bruxelles. La France a adapté en 2006 une directive européenne de 2002 relative à l'évaluation et à la gestion du bruit dans l'environnement.

Le décret de 2006 prévoyait d'établir des cartographies de nuisances sonores sur les infrastructures de transports et dans les collectivités, selon les méthodes recommandées par l'Europe. Les agglomérations de plus de 250 000 habitants ont donc dû se plier, dès 2007, à l'établissement de leur cartographie et d'un plan de prévention du bruit.

Pour les agglomérations de plus de 100 000 habitants, comme Amiens, l'échéance était fixée à 2013.

Les réseaux de transports ciblés en priorité

Connaître les nuisances sonores dans la métropole, cela doit mener à mieux les maîtriser. C'est l'esprit de cette directive européenne. Les cartographies doivent être suivies de «plan de prévention des bruits dans l'environnement» (PPBE). Le but: lutter contre le bruit comme un problème de santé publique.

Problème, la directive européenne n'oblige pas la prise de vraies mesures du bruit. Car certaines sources de bruit passent à la trappe. «Les sources sonores à prendre en compte sont les infrastructures de transports (trafic routier, ferroviaire ou aérien) et les installations classées soumises à autorisation», explique la directive.

Pour cette dernière catégorie, comprendre certaines activités industrielles, par exemple.

Ce sont donc les villes, les départements, les préfectures qui sont responsables d'établir leurs cartographies du bruit, tout comme les entreprises gestionnaires d'autoroutes ou d'infrastructures ferroviaires, portuaires ou aéroportuaires.

Un grand nombre de nuisances sonores se retrouvent hors de la juridiction européenne. Ni les «activités militaires, artisanales, commerciales, de loisir (discothèques, sports bruyants, etc.) ni les bruits domestiques (bruits de voisinage)» ne figurent dans les études préalables à la cartographie.

L'oreille biaisée

Christine Yiannaki est directrice de la mission développement durable d'Amiens métropole. Elle n'est pas directement impliquée dans l'élaboration de cette cartographie, c'est un bureau d'étude spécialisé (Soldata acoustic) qui s'en est chargé.

En revanche elle connaît bien les processus légaux de collecte des données qui sont à l'origine de la carte. «Il s'agit de recueillir les données existantes sur tous les trafics, principalement routiers et ferroviaires. Le prestataire doit donc rentrer en contact avec les sociétés d'autoroutes, les préfectures, les conseils généraux qui gèrent le réseau secondaire, ainsi que les communes et les agglomérations», explique-t-elle.

Les données en question sont des données de fréquentation des routes et voies ferrées. Par exemple, chaque commune doit fournir un état de la circulation sur son territoire.

Si les comptages de trafic n'existent pas pour toutes les voies, il faut en faire des estimations qui seront rapportées aux périodes du jour: journée, soirée, nuit. Même chose pour la SNCF et Réseaux ferrés de France, ainsi que pour le conseil général qui gère la rocade.

Ces estimations de trafic routier et ferroviaire sont compilées par le cabinet, qui lie ces données à la topographie. Il en ressort des cartes qui estiment des niveaux sonores selon la présence de barrières aux bruits que peuvent représenter les constructions ou les talus.

Pas de problèmes de voisinage

C'est ainsi que, sur la carte figurant le centre d'Amiens, on voit que le parc Saint-Pierre, pourtant calme, est majoritairement figuré en jaune. La raison est qu'il est bordé, en hauteur, des boulevards Beauvillé et Baraban, et que cette configuration permet de porter loin le bruit de la circulation des voitures, dans les modélisations du cabinet d'experts en acoustique.

À l'inverse, la rue des Trois-cailloux semble être une «zone de calme», figurée en blanc. Normal, pas de circulation répertoriée sur cet axe piéton. Pour autant, les nuisances sonores n'en sont pas absentes. Piétons, fontaines, livraisons, bars divers... Autant de données que, réglementairement, la cartographie des nuisances sonores ne prend pas en compte.

Pourtant, la Métropole ne restera pas forcément sourde aux nuisances qui ne relèvent pas de la directive de 2002. Pour éclairer précisément la situation autour des établissements définis comme «sensibles» (les établissements scolaires et hospitaliers), une trentaine de points de mesures sont prévus pour affiner les données de la carte. C'est, après tout, le but affiché par cette directive européenne.

Les sonomètres prennent le relais

Débutés en janvier, cette campagne de mesures prendra un peu de temps: «Nous laissons des sonomètres pour une heure ou pour 24 heures. Mais il y a des contraintes: on doit souvent les poser en hauteur, et cela arrive que l'on doive les poser chez l'habitant. Dans ces cas-là il y a des démarches administratives et des autorisations à obtenir», précise Christine Yiannaki. Ce qui explique que ces données de sonomètres supplémentaires ne sont pas encore compilées.

Une fois ces données ajoutées à la cartographie, il restera au prestataire à établir le plan de prévention des bruits dans l'environnement (PPBE); des recommandations de travaux d'aménagement pour diminuer le bruit aux points les plus problématiques, notamment ceux qui sont situés à côté des «établissements sensibles».

Baisser les limitations de vitesse, changer les revêtements de chaussée, élever des merlons ou des écrans pour protéger du bruit, font partie des possibilités qui s'offriront aux services de la Métropole pour améliorer la situation. Les collectivités pourront aussi compter sur quelques aides de l'Ademe, l'Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie. En effet, cet organisme public prévoit des enveloppes pour soutenir la résorption des points noirs du bruit.

Si une quinzaine de projets ont été financés, en France, par l'Agence, aucune aide de ce type n'a été distribuée en Picardie. Jusqu'à présent.

Dans l'œil du Télescope

Les cartes ont été fournies par les services de la métropole, après autorisation de la préfecture. Mme Yiannaki a été rencontrée en milieu de semaine dernière.

Pour compléter cet article, j'ai contacté jeudi 6 juin, le ministère de l'écologie et l'Ademe. Les services de presse ne m'ont pas proposé d'interlocuteurs.