Les espoirs de fréquentation sont-ils toujours au rendez-vous? (illustration Egis Rail)
Il y a, d'un côté, les bons chiffres du tramway. À Mulhouse (Haut-Rhin), par exemple, la fréquentation annuelle des transports en communs est passée de 17 millions de voyages en 2005, avant l'arrivée du tramway, à 19,3 millions en 2010. Soit une progression de 2,3 millions de voyages en quatre ans.
Qui sont ces nouveaux voyageurs ? Il y a les «cols blancs», catégories socio-professionnelles non-captives des transports en communs qui se retrouvent côte à côte avec les populations moins aisées. Et puis il y a les jeunes et les personnes âgées qui prennent plus facilement le tramway que l'autobus.
Des éléments qui laissent à penser que le tramway peut inciter à laisser sa voiture au garage, voire à s'en séparer complètement.
Mais il y a aussi les chiffres mitigés. À Nantes (Loire-Atlantique), ville pionnière du retour du tramway la part des déplacements exécutés en voiture passait de 45% à 59% entre 1980 et 1990, alors même que le tramway s'était lancé en 1985. Même situation à Strasbourg (Bas-Rhin), dont le tramway a commencé à rouler en 1994. Autre temps, situations comparables: en 2011 à Valenciennes (Nord), une enquête de déplacements des ménages montrait, à son tour, la progression de la voiture.
Alors qu'en penser? Le tramway est-il une fausse solution pour éloigner les voitures du centre-ville ? Questions d'autant plus brûlantes d'actualité qu'Amiens métropole vient de lancer des études préalables à la réalisation d'un tramway.
Le tramway qui stimule
Dans la grande majorité des villes qui investissent dans les tramways, la fréquentation des transports en commun augmente. C'est la bonne nouvelle de cette étude de la revue géographique de l'est.
Mais entrons dans le détail. Si l'on demande à Guy Marchant, l'adjoint au maire de Valenciennes en charge du tramway, les raisons des mauvais résultats du réseau valenciennois, il tempère: «Les chiffres du tram sont stables depuis l'ouverture de la ligne 1, mais ce sont les bus qui régressent». Et le syndicat de transport a dû faire face à d'autres surprises: les parkings-relais, gardés et payants qui devaient accueillir les voitures des pendulaires ont été si peu utilisés qu'ils ont été abandonnés à la gratuité.
Pour l'élu, c'est une situation transitoire car, pour le moment, le réseau n'est pas complet. En effet, en 2014 la deuxième ligne de l'agglomération devrait entrer en fonction. «Il faut aussi développer plus de lignes de bus transversales, favoriser le bus en site propre. Et surtout, pour améliorer les chiffres du tram, il faudrait que tout le stationnement de centre-ville soit payant.» Guy Marchant évoque aussi la gratuité des transports en commun comme autre solution, car «ce n'est pas dans les mœurs de payer pour être déplacé.»
Gilles Laurent, représentant régional de la Fédération nationale des usagers de transports (Fnaut) pour le Nord-Pas-de-Calais, connaît bien la situation à Valenciennes. Selon lui, il pourrait y avoir des raisons sociologiques aux résultats moyens du tramway dans cette agglomération. «Pour ceux qui ont un peu de revenus, la voiture reste une promotion sociale, une commodité.»
Mais Gilles Laurent observe également que lorsque l'on réside à proximité d'une ligne de tramway, on prend plus facilement les transports en commun. «Dans les zones que longe le tracé du tramway, la part modale des transports en commun grimpe à 24%, alors qu'elle est, en moyenne, de 6 à 7% sur le territoire.» De bons chiffres qui «militent pour l'intérêt de faire un tram». Gilles Laurent est un enthousiaste du tramway, comme la Fnaut dans son ensemble. «Bien entendu, les gens qui n'habitent pas juste sur le tracé du tramway ont moins de raison de laisser leur voiture au garage, sauf en cas de réseau de bus performant.»
Des bus performants? Pour Jean Macheras, responsable national du réseau «déplacement urbain» de la Fnaut, les bus sont «souvent les victimes indirectes d'un tramway, car leur modernisation est retardée par le tramway». Et de prévenir : «Il ne faut pas de réseaux à deux vitesses: un tram de luxe dans un urbanisme merveilleux et, de l'autre côté, un bus parent pauvre.»
À la Fnaut, on considère que la vitesse commerciale d'un bus tourne autour de 10 à 15km/h. De son côté, un tramway bien pensé peut atteindre 20 à 22km/h de vitesse moyenne. Pour qu'il soit performant, le réseau de bus doit donc rivaliser en vitesse. «Si rien n'est fait pour aider la circulation des bus, alors les usagers ont la double peine: non seulement le bus est coincé dans la circulation, comme les voitures, mais en plus il est ralenti à ses arrêts.» Du coup, la Fnaut milite pour l'aménagement des voies réservées aux bus, pour la priorité sur la voirie, pour un meilleur affichage des temps d'attente bref, tout ce qui rapproche les conditions de circulation des tramways.
À Caen (Calvados), justement, on a amélioré le réseau de bus. Car si depuis 2002, la ville était dotée d'un tramway sur pneus, celui-ci était bien médiocre, victime de défaillances à répétitions. Conséquence : seuls 9% des déplacements se faisaient en transports en commun, contre 60% en voiture (voir le rapport). Mais en modifiant le réseau de bus, l'actuelle municipalité a déjà pu augmenter de 3 millions de voyageurs annuels la fréquentation de ses transports en commun, entre 2009 et 2012.
Eric Vève, adjoint au maire de Caen, ne compte pas rester sur la mauvais expérience de son tram sur pneus.
«Nous avons aussi créé quelques couloirs de bus, mais nous pourrions encore faire mieux», estime Eric Vève, l'adjoint au maire et président de Viacités, le syndicat des transports de cette agglomération. Qu'importe: Caen va bientôt investir massivement pour remplacer son tramway sur pneus par un vrai tramway, sur fer, tout en se dotant d'une deuxième ligne. Et les espoirs sont grands: «Tous les cabinets d'experts avec lesquels nous avons travaillé prévoient que la ligne de tramway passe de 45 000 à 60 000 voyageurs quotidiens!»
Pour les adhérents de la Fnaut, si une ville veut se donner les moyens d'inciter à l'utilisation des transports en communs, rien de mieux que la contrainte. «Un tramway ne fonctionne pas aussi bien si on laisse à la voiture la capacité d'aller partout. Si on veut qu'il y ait un transfert de la voiture vers les transports en commun, il ne faut pas que la ville soit un autodrome», explique Gilles Laurent. Autrement dit: la voiture doit d'abord devenir un calvaire.
Jean Macheras, le responsable national de la Fnaut rajoute: «Paris, Grenoble, Nantes ou Strasbourg, les villes dans lesquelles la voiture régresse aujourd'hui sont celles qui ont fait beaucoup pour le vélo et les piétons.»
Pas de miracles: si le tramway est un bel outil pour laisser sa voiture particulière au garage, il s'accompagne forcément d'une vraie politique de déplacement.
Les interlocuteurs ont été contactés, par téléphone, entre le mois de septembre et jeudi 3 octobre. La Photo d'illustration est un détail de la vue du tramway amiénois fournie à la presse par Amiens métropole. Elle est à créditer au cabinet Egis rail. La photo d'Éric Vève a été prise à Paris, en juillet 2013, à l'occasion d'une signature de convention entre la ville d'Amiens et la ville de Caen pour la commande groupée de matériels roulant. (voir notre article)