Le maire socialiste de Maubeuge est député depuis 2012. (droits réservés)
Rémi Pauvros a finalement récupéré la patate chaude. C'est le député-maire de Maubeuge qui a été nommé par le ministre des Transports, Frédéric Cuvillier, pour diriger la mission qui doit sauver le canal Seine-Nord.
Ce projet de voie fluviale reliant Compiègne à Cambrai (notre article), porté par Jean-Louis Borloo et Nicolas Sarkozy avait suscité autant d'impatience que de circonspection.
En janvier, le Conseil général de l'environnement et du développement durable, organe de conseil du gouvernement, rendait un rapport plutôt négatif sur la voie fluviale.
Dans les quinze pages du rapport, une dénonciation de l'envolée des coûts, constatée après les difficultés du gouvernement à mener à bien le dialogue entre l'État et les entreprises du bâtiments qui avaient répondu à l'appel d'offres. Mais aussi une critique des estimations de financement, de bénéfices et de l'intérêt écologique et économique pour la France.
En mars, le rapport est rendu public. Et le projet du canal paraît condamné à être enterré. Mais dans la foulée, Frédéric Cuvillier, ministre des Transports et ancien maire de Boulogne-sur-mer nomme Rémi Pauvros, député-maire de Maubeuge, pour retravailler le dossier du canal.
Nous avons demandé à cet élu du Nord-Pas-de-Calais de nous expliquer le sens de la mission qu'il va diriger. Ses consignes: réduire les coûts, s'assurer de respecter les délais pour bénéficier des crédits européens. Sans se préoccuper des critiques sur l'intérêt économique du canal. Entretien.
Le Télescope d'Amiens: Quelles sont les pistes de travail de votre commission?
Rémi Pauvros: L'objectif fixé par le ministre est simple. Il s'agit de créer les conditions pour que le dossier soit déposé à la commission européenne avant la fin du premier trimestre 2014, pour qu'il puisse bénéficier d'un financement à hauteur de 30%. Ce taux, on pourra l'obtenir parce que François Hollande a négocié un fonds d'intervention de croissance de la part de l'Europe.
Mais d'ici là, le projet doit être prêt. Au niveau des collectivités, par exemple, seul le Nord-Pas-de-Calais a réellement délibéré. Les autres collectivités n'ont pas encore officiellement voté leurs contributions au projet du canal Seine-Nord.
Par ailleurs, notre objectif sera aussi de revoir le volume financier du projet, qui est aujourd'hui estimé à 7 milliards d'euros. Nous allons devoir réduire la voilure sans obérer la qualité du futur canal, et faire en sorte qu'il y ait un consensus plus large.
Je ne fais que commencer ma mission de reconfiguration, je reste prudent. Nous tenons compte du travail qui a été effectué jusqu'à présent par VNF (Voies navigables de France) et les autres partenaires. Il s'agit, par exemple, de ne pas remettre en cause la déclaration d'utilité publique, pour ne pas devoir rentrer dans une nouvelle procédure que l'on connaît bien, mais qui est longue et complexe.
Nos consignes sont également de ne pas toucher aux hauteurs des ponts, aux capacités d'accueil de barges. Ce sont des contraintes avec lesquelles on va essayer de travailler. D'autre part, le dialogue compétitif expliquait aussi le coût élevé de l'ouvrage. C'est une autre piste de travail pour cette mission.
La fin du dialogue compétitif (entre l'État, Bouygues et Vinci, pour déterminer la rémunération de l'entrepreneur choisi) signe-t-il l'abandon du partenariat public-privé ?
Nous avons besoin de la compétence et de la force de frappe du secteur privé sur ce dossier, c'est évident. On ne peut pas se passer d'eux. Je serai prudent à ce sujet, car le dialogue vient de se terminer, mais nous allons chercher d'autres formules sur le plan de la maîtrise d'ouvrage, cadrées par des textes européens.
Alain Gest, le président de Voies navigables de France (VNF), précisait s'être assuré que les financements européens seraient automatiquement de 30% et non de 6%. Cela sans grever le financement d'autres projets d'infrastructure en France. Pourtant vous déclarez que cela n'est pas certain ?
Si c'est automatique, c'est formidable, mais je pense qu'il faudra négocier. D'ailleurs, député ou président de VNF, ce n'est pas nous qui allons mener cette négociation, cela échappe à notre responsabilité. Cela relève entièrement du ministre des Transports.
Néanmoins, ce qu'a fait VNF sur le dossier, j'en prends acte. Mais je suis tourné vers l'avenir. D'ailleurs je ne souhaite pas m'inscrire dans la polémique. J'ai la chance d'avoir été nommé sur une mission passionnante, mais qui sera très limitée dans le temps. Nous devrons proposer une nouvelle configuration d'un canal qui sera le plus grand chantier depuis le tunnel sous la Manche. Nous n'avons que neuf mois devant nous pour mener le projet à bien: je pense qu'il est important de travailler en partenariat.
Bien sûr que non. Pour le moment, je ne sais pas du tout à quel niveau de financement nous arriverons avec ce projet. Le projet de canal est trop sérieux pour fixer des contraintes supplémentaires. Pour les acteurs de territoires qui comptent beaucoup dessus, il ne faut pas le brader, pour être certains que le canal ait un intérêt régional, national, européen.
À ce stade, mon travail est de m'assurer de l'unité totale sur le partage du portage financier. Je sens bien qu'il y a beaucoup de résistances autour de ce projet. Par exemple, il s'agira d'aller convaincre le port du Havre.
Qu'en est-il de la partie du rapport qui concerne l'intérêt économique du projet? Les enquêteurs considéraient que le fret ferroviaire, plus que le trafic routier, pourrait subir les conséquences du canal. Ils expliquaient aussi que le projet n'a de sens que dans un contexte de croissance économique, entre autres. Seront-ce des pistes de travail pour votre commission ?
Le ministre n'a pas donné suite au rapport. S'il avait donné suite aux conclusions de ce rapport, il aurait tiré un trait sur le projet. Or ce n'est pas le cas.
Qui fera partie de votre commission ?
Le ministre s'apprête à la composer. Pour ma part, je souhaite que les collectivités et l'État y soient présents. Au même titre que Voies navigables de France et tous les acteurs économiques qui seront concernés.
Je pense par exemple au comité grand Lille, des patrons du Nord-Pas-de-Calais réunis que j'ai rencontré la semaine dernière et qui m'ont apporté un soutien total. Je pense aussi aux bateliers français que j'ai rencontrés ce matin avec le ministre, et qui espèrent que le projet aboutisse. Dans cette mission, je souhaite fédérer les énergies de Picardie, d'Île-de-France, du Nord-Pas-de-Calais, de Flandres et de Wallonie... [Voir un entretien donné à la chaîne Wéo, devant le "comité grand Lille"]
Est-ce une coïncidence si le ministre a porté son choix sur un élu nordiste ?
Au-delà de ce détail, je pense que le ministre m'a choisi parce que je suis rapporteur sur les transports terrestres et fluviaux dans la mission Écologie, développement et aménagement durables de l'Assemblée Nationale. Par ailleurs, au sein du conseil général du Nord, j'ai une certaine expérience en tant que vice-président chargé des infrastructures et des transports. [Le député a abandonné ce mandat de conseiller général en septembre 2012, ndlr.]
J'ai pu m'entretenir avec Rémi Pauvros dans l'après-midi du 16 avril, entre deux de ses occupations de parlementaire: les questions au gouvernement et les rapports de sa commission des transports terrestres et fluviaux.