Première déception pour le délégué Force ouvrière d'Amétis: ce sont les journalistes qui lui ont appris, le 5 avril, la signature de la convention entre Kéolis, son employeur, la préfecture, la police et la métropole. Une convention qui concerne directement sa sécurité et celle de ses collègues conducteurs de bus.
Néanmoins, Mohamed Kaddouri délégué du syndicat majoritaire n'a rien à redire sur le fond: la collaboration avec les polices est, selon lui, très efficace: «Ils arrivent très vite sur les lieux, désormais».
Et ce n'est pas le seul point positif. Les policiers municipaux qui prennent le bus, présence rassurante pour les conducteurs, la communication directe entre la Police nationale et le PC sécurité d'Amétis, qui permet de transmettre rapidement des informations en cas de problème ou d'agression... Tout cela participe à une ambiance quelque peu sereine du travail des conducteurs.
Cela fait plusieurs mois que Kéolis, la métropole et les autorités réfléchissent à un moyen d'action pour parer aux agressions contre les bus ou les conducteurs du réseau. C'est notamment au sein du dispositif de la zone de sécurité prioritaire (ZSP) qu'ont émergé plusieurs idées: patrouilles de municipale, sécurisation des lieux propices aux jets de pierre (voir notre article), actions de prévention auprès des collégiens et lycéens et ce fameux protocole d'intervention en cas d'agression.
Incidents mineurs, sérieux ou graves
Le protocole discerne trois niveaux d'urgence. En cas d'incident mineur, comme un différend verbal, les autorités attendent que Kéolis «signale l'incident dans les 24 heures maximum», dans le but de poursuites éventuelles ou de renforcement d'îlotage de la police municipale dans le secteur.
MM. Demailly, Cordet et Hernoux ont officialisé un partenariat en expérimentation depuis plusieurs mois.
Lorsque des jets de pierres, des dégradations de matériel ou des insultes se produisent, c'est un "incident sérieux", classé niveau 2. Dans ce cas, le délégataire doit immédiatement prévenir la direction départementale de la police et le cabinet du maire. Les images des caméras de surveillance sont immédiatement déportées vers la police, si l'agression se passe dans une zone équipée. La zone est ensuite sécurisée par les polices municipale et nationale.
En cas d'incident grave, comme une agression physique, d'incendie volontaire, de menace ou d'immobilisation volontaire du véhicule, la Police nationale est immédiatement dépêchée sur le secteur pour interpeller ou rechercher les auteurs des faits. Une réunion "de crise" des signataires de la convention est convoquée dans la journée (voir les détails de la convention).
Lors de la signature de cette convention, Gilles Demailly et Thierry Bonté, respectivement président d'Amiens Métropole et vice-président aux transports, l'ont répété: «On ne peut plus admettre les incidents: on a le droit de faire son métier de chauffeur ou de contrôleur sans être agressé.»
De fait, le préfet Jean-François Cordet a pu présenter des chiffres encourageants sur les agressions et les caillassages, qui seraient en régression entre les années 2011 et 2012.
Mais le but est aussi d'empêcher les blocages du réseau, tels qu'Amiens les a connus ces derniers mois, lors de caillassages ou d'agressions. En novembre, par exemple, les conducteurs avaient massivement fait jouer le droit de retrait après une agression. «On ne peut plus arrêter complètement la circulation des bus et attendre les décisions du CHSCT comme c'était le cas auparavant», estime Gilles Demailly, rappelant la mission de service public dont sont dépositaires les employés Amétis.
Et les délégués du personnel élus du comité hygiène, sécurité et conditions de travail (CHSCT), justement, qu'en pensent-il? «Pour nous, ça ne change rien, estime Mohamed Kadouri, le délégué FO. Si les chauffeurs se sentent en danger, ils se mettront en droit de retrait.» Par ailleurs, le délégué ne comprend pas que les élus du CHSCT n'aient pas été associés à ce protocole. «La direction nous a répondu qu'elle nous en a parlé, mais aucune consultation n'a eu lieu.»
Le conducteur appelé à contrôler?
Pourtant le personnel est directement concerné par ce protocole. Pour plusieurs raisons. Tout d'abord ils doivent connaître les procédures prévues en cas d'incident. Et Didier Hernoux, directeur général, précise que ce travail avec la police, pour améliorer la sécurité des clients et des conducteurs s'inscrit dans un plan d'entreprise plus large «avec des formations et un travail avec le CHSCT pour mettre en place des procédures. Il faut aussi éviter que les rumeurs ne gonflent». Une référence probable aux retraits massifs des conducteurs lors des dernières agressions.
Pour Didier Hernoux, il faut éviter de laisser gonfler les «rumeurs» sur le réseau.
La direction a donc prévu, pour les conducteurs de bus, un programme de formation pour apprendre à «gérer les situations de conflit, pour que les conducteurs puissent prendre du recul sur les incivilités.» Avant la fin 2013, 30% des conducteurs devraient avoir reçu cette formation. Didier Hernoux, directeur, évoque aussi les «compétences du conducteur à accueillir le client».
«On veut nous former à des choses pour lesquelles on est déjà formés», estime Mohamed Kaddouri, délégué FO. «En devenant conducteur, tout le monde passe cette formation d'accueil du client. On va nous apprendre à dire bonjour. Pendant deux jours.» L'idée de Kéolis, c'est aussi de faire vérifier le titre de transport de l'usager par le conducteur.
Le contrôle du titre de transport, FO ne veut pas en entendre parler, pas plus que Toufik Halaïmia, de la CGT: «On veut nous faire exercer le travail des contrôleurs. Pendant ce temps-là, Kéolis a réduit les équipes de contrôleurs, de façon unilatérale, en bafouant une convention passée entre le CHSCT et la CFT.» De quatre contrôleurs qui devaient être présents simultanément sur le terrain, par tranche horaire, Kéolis a ramené ces effectifs à trois contrôleurs.
Contrôler le titre de transport? Tour de France des recettes de Kéolis
Pour le groupe Kéolis, Amiens n'est pas un terrain d'expérimentations, mais plutôt une métropole où adapter des recettes déjà éprouvées ailleurs. Par exemple, les réseaux de bus, répartis en lianes, ces «lignes à haut niveau de service» et en lignes secondaires.
De la même façon, demander aux conducteurs de vérifier les titres de transports des voyageurs est une idée qui a déjà été appliquée par Kéolis. Avec peu de succès. À Lille, sur le réseau Transpôle, le principe avait été instauré au début des années 2000. «Je crois que c'était vers 2002 ou 2003», précise Mohamed Fahri, secrétaire de la CGT du réseau de bus lillois. Le contrôle du titre de transport n'était pas une obligation pour les conducteurs, mais ils y étaient fortement incités.
«Dans les faits, ça s'est révélé impossible: devant certains usagers un peu agressifs, cela ne faisait que créer des situations de conflit. Les conducteurs le faisaient mais la direction s'est révélée incapable d'en assurer la sécurité.» La belle idée, censée augmenter les recettes du réseau a finalement du être abandonnée vers 2005.
À Besançon, où Kéolis a géré le réseau urbain jusqu'en 2011, les conducteurs étaient invités à contrôler les titres de transports. Mais Didier Gautier, délégué CGT, admet que la direction n'a jamais sanctionné personne pour n'avoir pas exécuté cette tâche. «On nous demande de regarder dans la direction des usagers à la montée au bus, cela peut les inciter à prendre un titre de transport. Mais les employés sont contre un contrôle formel. L'agression peut monter très vite.»
Plutôt que d'obliger les chauffeurs au contrôle, Kéolis leur a proposé de se former pour devenir "vérificateur". Et créer avec ces conducteurs vérificateurs pour un tiers de leur temps de travail, des équipes de contrôleurs, sans contrôleurs. «Lorsque les contrôleurs sont partis à la retraite, Kéolis ne les a pas remplacés. À la place, les vérificateurs-conducteurs étaient rémunérés à un coefficient inférieur», se rappelle Didier Gautier.
Ici, à Amiens, ceux qui prenaient les bus Amétis entre 2003 et 2004 s'en souviennent peut-être. À cette époque, c'est Véolia qui gérait le réseau amiénois. L'entreprise avait tenté la même expérience. Et l'avait stoppée, devant les tensions créées, les agressions verbales et les arrêts de travail des conducteurs. C'est Mohamed Kaddouri, le délégué syndical FO d'Amétis qui évoque cet épisode: «Pour éviter les agressions, Véolia avait finalement institué le fait de ne pas demander les titres de transports à certains arrêts, réputés chauds. À ce moment-là, ce sont ceux qu'on avait contrôlés aux autres arrêts qui se plaignaient des différences de traitement.»
Bref, la méthode passera difficilement parmi les conducteurs, d'autant qu'elle est clairement ressentie comme un moyen d'augmenter les recettes, pour des chauffeurs à qui les autorités rappellent souvent qu'ils sont dépositaires d'un service public. Ils en ressentent une certaine contradiction.
Les quatre huit par semaine
D'autant qu'avant d'améliorer cet accueil des usagers, les chauffeurs aimeraient régler des problèmes qu'ils trouvent autrement plus pénibles. Leurs horaires de travail en font partie. Sous Véolia et sous la CFT, les chauffeurs travaillaient aux "3x8". Chaque semaine, leur horaires changeaient: petit matin, journée et soirée. Mais Kéolis les a fait passer aux "4x8", depuis la reprise en main du réseau, en septembre 2012.
Ce rythme de travail, réputé plus pénible, fait alterner les équipes selon quatre types d'horaires différents. Généralement, en "4x8" les équipes ne changent pas d'horaires tous les jours. Mais chez Amétis, oui. Sur une même semaine, un conducteur peut assurer les quatre tranches horaires différentes. C'est le cas pour ce chauffeur dont Mohamed Kaddouri nous a fourni la fiche horaire (voir document).
Sur une semaine, il peut embaucher le lundi à partir de 3h49 et terminer sa semaine, le dimanche à 23h52. «Les élus du CHSCT se sont souvent plaint à Kéolis. Ils nous répondent qu'ils sont mal organisés pour le moment, mais que cela va changer bientôt.» En attendant, les conducteurs sont invités à faire une croix sur l'organisation de leur vie de famille.
Toufik Halaïmia va même plus loin: selon lui, cette organisation éreintante provoque de nombreux arrêts maladie parmi les chauffeurs. Justifiant, en partie, la cinquantaine d'intérimaires qui sont venus gonfler les rangs des conducteurs ces dernières semaines.
Ce lundi 8 avril, les syndicats et la direction d'Amétis se pliaient aux négociations annuelles obligatoires. À part l'augmentation de 1,07% négociée pour l'année 2013, les syndicats n'ont pas pu avancer sur beaucoup de sujets. Si la Métropole, la police et la préfecture veillent effectivement sur la sécurité des conducteurs, il semble que personne ne se préoccupe de leurs conditions de travail.
J'ai assisté à la signature de la convention, vendredi 5 avril, en présence du préfet, du président de la métropole Gilles Demailly, de Thierry Bonté et de Didier Hernoux. Leurs propos sont tirés de cette réunion devant la presse.
J'ai pu rencontrer Mohamed Kaddouri lundi 8 avril après-midi, et contacté les délégués syndicaux de Besançon et Lille ce même jour.
Je n'ai pas pu joindre Toufik Halaïmia dernièrement. Les propos que je rapporte sont issus d'une discussion tenue fin février, avant les élections des représentants syndicaux d'Amétis.
Enfin, j'ai tenté ce lundi, à 16h30, de joindre la direction de kéolis pour rebondir sur les problèmes soulevés par les syndicats. Sans succès, le responsable de la communication était injoignable.