Feu à volonté. Alain Gest (UMP) et Olivier Jardé (UDI), tous deux en lice pour les municipales de 2014 à Amiens, ont vertement critiqué ces derniers jours l'action des collectivités locales dans le dossier Goodyear.
Les élus de gauche sont entre autres accusés de passivité. «La municipalité amiénoise semble s'être contentée de solliciter le gouvernement avec l'efficacité que l'on connaît», accusait Alain Gest dans un communiqué, au lendemain de l'annonce par la direction de Goodyear de son projet de fermeture du site d'Amiens nord. «En soutenant ce qu'elle croyait être son camp électoral, elle (a perdu) toute crédibilité pour influencer la décision des investisseurs», embrayait Olivier Jardé, reconnaissant pourtant que «la collectivité ne peut guère agir en ces problèmes».
Et c'est là toute la question ! Les collectivités ont-elles vraiment les reins assez solides pour négocier avec les multinationales implantées sur leur territoire? Sont-elles armées pour discuter avec Goodyear Tires, Procter & Gamble, Whirlpool, Valéo et autres?
Les municipalités, par exemple, n'ont quasiment aucune marge de manœuvre. Mais ce n'est pas le cas des conseils régionaux.
Car depuis les années 80, et les lois de décentralisation, c'est la Région qui localement porte les dossiers de développement économique. Le conseil régional peut inciter les grands groupes à s'implanter et rester en Picardie, en mobilisant une large batteries d'aides: avances remboursables (de plus en plus), subventions (de moins en moins), formation.
Goodyear n'a pas demandé l'aide aux collectivités
Sur le cas Goodyear, les services de la Région sont pourtant restés impuissants. «Des moyens d'action existent avec les grands groupes, lorsqu'il y a des partenariats», explique-t-on au service économie de la Région. «Nous pouvons les aider sur les R&D, les intégrer à un pôle d'excellence. Le bon exemple, c'est Aerolia à Méaulte. Mais Goodyear ne nous a jamais sollicité. Certains groupes dégainent systématiquement des demandes de subvention, mais d'autres, comme Goodyear jamais.»
En 2009, le site de Goodyear a été intégré aux Zones d'aides à finalités régionales (ZAFR) afin que la Région et les autres collectivités locales concernées puissent accompagner l'entreprise dans d'éventuels investissements. Problème, les dirigeants du site Goodyear d'Amiens nord n'ont depuis jamais sollicité d'aide à l'investissement, assurent les collectivités et la direction.
Aux cotés de la Région, les agglomérations ont un rôle très mineur. Amiens métropole peut seulement proposer des locaux ou des terrains à loyers modiques aux entreprises qui souhaitent s'implanter. Mais Goodyear est propriétaire de son terrain amiénois depuis les années 50.
Incapables de proposer leur aide à Goodyear, les élus ne disposent pas non plus d'outil juridique dissuasif pour empêcher l'entreprise de licencier ou de fermer une usine. Comme nous l'expliquions la semaine dernière, la législation ne permet pas d'empêcher un licenciement, même s'il est dépourvu de motif économique. Sur ce point, la responsabilité de faire évoluer la loi - ou pas - incombe aux parlementaires.
Contacté par téléphone, Alain Gest insiste. «La municipalité n'a rien fait. Ils n'ont pas été réactifs. La municipalité précédente n'avait pas hésité à aller aux États-Unis.» Pour lui, même si «on ne peut pas faire de miracle», les élus en place n'auraient pas été assez volontaristes.
En 1999, l'ancien député-maire, Gilles de Robien embarquait en effet pour les États-Unis, en compagnie du directeur de la Chambre de commerce et d'industrie et du maire communiste de Longueau de l'époque, Joël Brunet. Direction la ville d'Akron, où se situe le siège de Goodyear. A cette époque, les salariés de Dunlop s'inquiètent des intentions du groupe américain, qui venait de racheter leur usine au japonais Sumitomo. À l'issue du voyage des élus en Amérique, le quotidien Les Echos titrait: «Amiens rassuré sur la pérennité de ses grands sites industriels».
Ce qui avait conduit Gilles de Robien et Joël Brunet à traverser l'Atlantique ressemble à l'affaire que nous connaissons aujourd'hui. «La direction expliquait que les usines étaient dépassées. Si le site n'atteignait pas les mêmes rythmes qu'en Allemagne, les emplois seraient menacés», raconte aujourd'hui Gilles de Robien. «Finalement, après notre rencontre, les partenaires sociaux ont accepté le deal sur l'organisation du travail.» Le but de ce voyage? «Nous avons voulu montrer que la collectivité tenait à l'usine, aux travailleurs comme aux employés, qu'on était prêt à faire tous les efforts possibles. Mais il s'agissait aussi de leur montrer que les négociations ne se passaient pas bien avec la direction locale.» Difficile de connaître l'impact de cette rencontre sur le devenir du site.
«C'est une réalité que Gilles de Robien est allé aux États-Unis», reconnaît Jean François Vasseur, actuel vice-président d'Amiens métropole délégué au développement économique «mais ça n'a rien changé à la stratégie du groupe». Pour lui, qui côtoie régulièrement les entreprises implantées à Amiens, les discussions ne suffisent pas. «J'ai rencontré les différents directeurs du site d'Amiens nord, de façon régulière. Dès 2008, après ma nomination à ce poste, ils m'ont dit qu'ils avaient l'intention de fermer la partie tourisme et de se séparer de l'activité agraire. C'était clair. On en a discuté, mais ça n'a débouché sur rien.»
«Ça ne se joue même pas en France»
Au delà du cas Goodyear, Jean-François Vasseur estime que les relations entre les collectivités et les entreprises ne sont pas assez structurées. «Les entreprises ont l'habitude de fonctionner avec la CCI et le Medef pour interlocuteur local, mais pas les collectivités», confie-t-il. «Ce sont deux mondes qui s'ignorent. Lorsque ça va mal, il n'y a pas d'alerte. On l'apprend par la presse. Nous avons besoin d'une structure légitime de concertation sur le territoire, où les gens se rassemblent autour des entreprises pour savoir ce dont elles ont besoin. Peut-être que là, la transformation de l'environnement autour de l'entreprise pourrait changer les choses. Encore faut-il que ce soit dans la culture de l'entreprise.»
Mais à la Région, les services de développement économique répètent qu'ils n'ont jamais été sollicité par Goodyear.. «Ça ne se joue même pas en France, les décisions sont probablement prises à Akron. On est loin du centre de décision, on ne sait pas ce qu'il se passe», explique-t-on au conseil régional. Pas de concertation avec les collectivités locales. La décision est prise ailleurs, selon toute vraisemblance, entre la direction et ses actionnaires.
Gilles de Robien se souvient de son passage au siège de Goodyear à Akron. «Ils nous ont fait visiter une grande salle où sont représentées toutes les usines en maquette. Il y a en avait près de 80!» Dont une seule représentait le site amiénois. De quoi se sentir petit.
Quand bien même entreprises et collectivités entretiendraient de bonnes relations. Une agglo serait-elle de taille à négocier avec une entreprise, comme Goodyear, dont le chiffre d'affaires atteignait en 2011 de 22,7 milliards de dollars?
«Il y a une différence entre des aides attribuées à une PME et des aides attribuées à un groupe», explique-t-on, pédagogue, à la Région. «La capacité d'intervention dans un groupe est plus limitée.» Premièrement, les aides à destination des grands groupes sont limitées par la réglementation européenne à 200 000 euros (même s'il existe des dérogations pour les aides à la recherche et développement par exemple).
Ensuite, elles ont beaucoup moins d'impact. Si une collectivité accorde une avance remboursable de 100 000 euros à une PME, la vie de l'entreprise peut changer. Sur un groupe de la taille de Goodyear ou Procter & Gamble (82,5 milliards de dollars), l'impact de la même somme est négligeable, et la collectivité ne pourra pas demander de contre-parties ou très peu.
Au final, il ne reste presque rien aux collectivités locales pour peser sur les décisions de Goodyear. Juste de bonnes paroles et de la mise en scène. Du spectacle, en somme.