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La hausse de la TVA menace les centres équestres

Le 03 December 2012
Enquête commentaires
Par Mathieu Robert

Dans le monde du cheval, la dernière décennie aura été celle de l'essor des centres équestres. La Somme n'a pas fait exception. En dix ans, le département a vu se créer une dizaine d'établissements, surfant sur l'augmentation rapide et continue du nombre de cavaliers. Ils seraient plus de 7100 dans la Somme à fréquenter les centres équestres, contre un peu moins de 5000 en 2003, selon la Fédération française d'équitation (FFE).

Mais cette embellie dans les écuries pourrait bien connaître un coup d'arrêt en janvier prochain. La France envisage d'augmenter le taux de TVA des activités d'enseignement ou de pension exercées dans les centres équestres, faisant passer la taxe de 7% aujourd'hui à 19,6%.

L'Institut français du cheval et de l'équitation (IFCE) assure dans un rapport paru en 2011 que cette augmentation de TVA entraînerait une perte de 6000 emplois dans la filière équestre française, et de nombreuses fermetures de centres équestres. C'est aussi ce que craint le Groupement hippique national (GHN), le syndicat majoritaire de la filière, qui appelle à une manifestation nationale le 16 décembre prochain. En région, les chevaux devraient prendre d'assaut les rues de Lille.

L'augmentation des prix pourrait faire fuir les cavaliers

Ce que redoutent les économistes de l'IFCE, c'est que les centres équestres n'aient d'autre choix que de répercuter la hausse de la TVA dans le prix des activités, et qu'une partie des licenciés se détourne des chevaux, faute de moyens.

«Je ne suis pas sûr que les 6000 emplois soient condamnés», nuance Bernard Morhain, économiste de l'Institut de l'élevage. «Cela réduira sûrement l'activité - les enfants qui viennent n'ont généralement pas des parents fortunés – et la concurrence va s'accroître entre les centres équestres professionnels. Mais ce sont surtout les structures les plus fragiles qui vont en pâtir».

Pourquoi le gouvernement souhaite-t-il cette réforme? À vrai dire, la France agit sous la menace de la Cour de justice européenne.

En 2006, paraissait la Directive TVA européenne. Dans les textes, la TVA réduite de 7% dont bénéficie la filière équine depuis 2005 en tant qu'activité agricole, ne peut être utilisée que pour les animaux destinés à l'alimentation, et non pour les animaux de compagnie ou de loisirs, comme les poneys et les chevaux de course.

Le gouvernement fait du zèle

Suite à une plainte du Royaume-Uni portant sur les taux de TVA réduite appliqués aux gains des courses de chevaux et les ventes de chevaux, la France est condamnée en 2012 par la Cour de Justice de l'Union européenne. Le gouvernement doit donc modifier la législation en janvier 2013, sous peine de pénalités de retard.

Mais initialement, la plainte du Royaume-Uni ne concernait pas les centres équestres, dont l'activité ne concurrence pas les écuries d'outre-manche, où il faut être propriétaire pour monter à cheval. Dernièrement, Matignon aurait tout de même pris la décision d'appliquer l'augmentation de TVA à toute la filière, y compris les centres équestres.

Pourquoi ? Selon le Groupement hippique national (GHN), syndicat des dirigeants d'établissements équestres, le gouvernement utilise ce dossier pour faire figure de bon élève devant la Commission européenne : «Le gouvernement a peur de la Commission européenne. Le ministre du Budget ne veut pas prendre le moindre risque. Apparemment Matignon a pris sa décision. Et en temps de crise, c'est compliqué d'aller contre le ministre du Budget», regrette Louis Sagot, directeur du GHN.

On casse ce que l'on a construit

Économiquement, les acteurs de la filière craignent un retour en arrière. Depuis 2005, les centres équestres avaient connu un véritable essor poussés par deux moteurs, qui pourraient être tous deux mis à mal en janvier prochain.

Le premier, c'est l'attrait de plus en plus important des Français pour l'équitation, alors que les prix n'ont pas baissé depuis dix ans. Pour indication, les cavaliers peuvent débourser entre 700 et 900 euros par an dans les cours et activités des centres équestres. Mais avec une augmentation des prix de 12,6% suite à la hausse de la TVA, l'engouement pourrait bien s'estomper.


Centre équestre de Picardie, Boves (80)

Car le deuxième moteur était justement cet environnement fiscal incitatif mis en place depuis la loi sur le Développement des Territoires Ruraux (DTR) de février 2005, qui avait permis à de très petits établissements équestres de se développer pour répondre à la demande croissante des cavaliers. «Avant 2005, la filière était éclatée. Il y avait beaucoup de petites structures, où l'enseignant était le seul salarié et ne payait pas de TVA», analyse Louis Sagot, directeur du GHN. «S'il voulait embaucher, il fallait passer à une TVA à 19,6%. Le nouveau régime fiscal de 2005 leur a permis d'embaucher et de développer leurs activités». En France, la masse salariale de la filière équestre est passée de 7280 équivalents temps-plein à 17780 entre 2003 et 2012. Un développement considérable.

«Ça se répercutera sur le personnel»

À Boves, au sud d'Amiens, le Centre équestre de Picardie (CEP), l'un des deux plus gros centres équestres du département, fait vivre neuf salariés et accueille 450 cavaliers chaque année. Malgré son statut d'association 1901, le centre est assujettie à la TVA. Le passage à 7% en 2005 avait permis «d'embaucher du personnel, de pérenniser des emplois», assure Hubert Brandicourt, le directeur de l'établissement. «On craint que l'augmentation des prix soit telle que la pratique baisse». En théorie, les licenciés qui dépensent chaque année 800 à 900 euros par an, devraient débourser 1000 euros pour la même chose, sauf si le centre diminue ses charges ou ses bénéfices.


Hubert Brandicourt

«Ça se répercutera sur le personnel», annonce Hubert Brandicourt. «Moins de cours, cela veut dire moins d'enseignants». Pour le directeur, la baisse d'activité sera inévitable, mais le CEP n'est pas le plus à plaindre. «Ce sont les petites structures qui viennent de s'installer en milieu rural pour qui ça va être compliqué. Nous, on va serrer les fesses et tendre le dos et on espère que ça va bien se passer.»

Les centres les plus récents sous la menace

Parmi ces petits structures rurales qui viennent de s'installer, celle de François Herlaut. Ancien DJ, ancien barman, il a égrené les petits boulots sans jamais s'arrêter de monter à cheval, avant de créer en 2007 son propre centre équestre, à Essertaux, dans les écuries du château. Parmi ses clients, beaucoup de familles modestes, assure-t-il. «C'est pas un sport de riches. Ces dernières années, ça s'est beaucoup démocratisé. On a beaucoup de cavaliers avec des moyens plus modestes. Les parents sont prêts à faire des efforts pour les loisirs de leurs enfants



François Herlaut

De son côté, François Herlaut non plus ne roule pas sur l'or. Il assure travailler 70 heures par semaine pour gagner le Smic. «Ça reste une passion». Il emploie aujourd'hui une apprentie qu'il envisageait d'embaucher grâce au développement de son activité. Mais avec la réforme à venir, plus question. Pour lui, l'avenir se complique, il dispose de peu de marges de manœuvres: «On ne peut pas se permettre de rogner sur les bêtes, de leur donner moins de foin! Est-ce qu'on va devoir vendre des chevaux? Est-ce qu'on va continuer à exister?»

56% des salariés sont en contrat précaire

La réforme fiscale de 2005 avait bénéficié aux gérants mais également aux salariés. Mais le passage à 19,6% menace leurs conditions de travail déjà peu glorieuses, comme le note l'IFCE: un travail «caractérisé par une certaine précarité et un fort turn-over qui touche particulièrement les jeunes, 48 % d’entre eux quittant leur poste après un an d’activité. Ceci peut pour partie s’expliquer par un désenchantement à la découverte d’une activité professionnelle choisie à partir de l’expérience de l’amateur ou du cavalier de loisir.»

Et comme bien souvent, quand on parle travail précaire, ce sont les femmes qui trinquent en premier: «Les femmes sont surreprésentées dans les établissements équestres, mais sous-représentées chez les cavaliers professionnels, entraîneurs-coach, etc. Dans les courses, elles sont peu présentes dans les postes centrés sur la réalisation de la performance (jockey, driver, coach). De manière générale, elles occupent, à diplôme et compétences égaux, des postes et fonctions moins valorisés et reconnus socialement.»


Centre équestre Natural ponies, Essertaux (80)