La santé se regroupera-t-elle bientôt sur le campus du Thil?
«Un bel outil de travail hémiplégique». C'est par ces mots un peu provocants que le doyen de la faculté de médecine d'Amiens, Daniel Le Gars, prenait la parole lors de la cérémonie des vœux du CHU, le 22 janvier. C'est que Daniel Le Gars s'inquiète. Et s'impatiente. Le CHU sud, qui regroupera bientôt les services des quatre sites hospitaliers amiénois, n'a toujours pas ses étudiants médecins et paramédicaux à proximité. Le doyen attend cela depuis trente ans et, selon lui, ne voit toujours rien venir.
Il faut dire que, pour le moment, sa faculté de médecine doit être une des moins commodes de France. «Les étudiants sont en souffrance», répète-t-il. En cause: des lieux de cours qui s'étalent aux quatre coins de la ville. À Saint-Charles, leur bâtiment principal, qu'il partagent avec la pharmacie et la recherche en santé ; à Saint-Leu pour certains cours de la première année, dans des locaux rue Frédéric-Petit, prêtés par la ville, et parfois au centre hospitalier.
Et pour les examens des Première année commune aux études de santé (Paces), l'ancienne «première année de médecine», promotion monstre de 1400 élèves, cela se passe sur le campus du sud. Sans oublier que, en avançant dans leurs études, les élèves doivent suivre de plus en plus de stages dans les hôpitaux de la périphérie d'Amiens.
«On crève du manque de place»
Bref, un casse-tête d'emplois du temps pour les étudiants comme pour leurs professeurs qui partagent leurs journées entre l'enseignement, la recherche et le soin. Et beaucoup de temps passé dans les transports. Ailleurs, les facs de médecine se trouvent au cœur du centre hospitalier universitaire. Mais pas à Amiens: «Les gens ne se fréquentent pas. C'est difficile d'avoir une fac dynamique dans ces conditions».
Pour Daniel Le Gars, les conséquences ne s'arrêtent pas là: «On crève du manque de place. On pourrait prendre davantage d'élèves kinés. Pareil pour les ingénieurs en santé . Mais nous sommes limités.» Par ailleurs, l'ouverture du monosite du CHU sud va provoquer la fermeture de la maternité Camille-Desmoulins ou de Saint-Victor. Du coup, le pôle Saint-Charles devrait récupérer transitoirement les élèves sages-femmes, orthoptistes, orthophonistes.
Pour toutes ces raisons et bien d'autres, Daniel Le Gars a hâte de voir émerger un campus santé, tout proche de l'hôpital sud, qui regrouperait toutes les spécialités médicales et paramédicales. Le projet est dans les tiroirs de l'Université de Picardie Jules-Verne (UPJV).
Selon les plans de l'UPJV, le futur pôle santé devrait se réaliser au sud d'Amiens, au campus, là où se regroupent actuellement les «humanités». Car avec l'achèvement de la première phase du chantier de la citadelle, les langues, l'histoire-géographie et les lettres quitteront le campus pour rejoindre l'ancien fort militaire. À ce moment, les spécialités de santé pourront s'installer dans les locaux laissés libres.
Seulement le professeur Le Gars, intéressé au premier chef par ce déménagement, ne voit rien venir de la part de l'université. «C'est un projet magnifique pour les étudiants mais on a peu d'informations. Si les locaux sont disponibles en 2015, il faut que notre projet soit structuré de façon claire, il faut qu'on lève des fonds pour le déménagement et l'installation dans les nouveaux locaux». En effet, il faudra penser à l'utilisation des salles par les facultés et les écoles de santé.
Et des travaux s'imposeront dans les bâtiments laissés libres par les sciences humaines. C'est ce qu'explique Daniel Le Gars: «Est-ce qu'on pourra emménager directement au campus? Certes, les bâtiments sont adaptés à la pédagogie moderne, avec des salles de taille moyenne. Mais ce qu'il manque, ce sont des salles de TP, avec des paillasses, des arrivées de gaz, etc...» Bref, le nécessaire pour transformer un campus littéraire en campus de médecine. Il faudrait donc transformer une partie des bâtiments ou en construire un neuf.
Et si Daniel Le Gars s'inquiète, c'est que le projet ne pourra se faire sans l'argent de l'État, et que le moyen de l'obtenir, c'est de déposer un dossier pour le Contrat de projet État-Région (CPER). Or les dossiers, pour la période 2014-2020, sont à déposer avant le printemps 2014. «L'UPJV avait déjà engagé un programmiste en 2006 et j'ai entendu dire qu'ils s'apprêtaient à en engager un autre» explique le doyen. Pour lui, il faut maintenant passer à une autre étape, et faire vite pour ne pas rater le coche du CPER.
Bientôt deux bâtiments neufs pour soulager Saint-Charles
Qu'en pense-t-on à l'UPJV? Pas de raison de s'inquiéter, selon Michel Brazier, le président de l'université. Le campus santé est bel et bien sur les rails. Même si, prudemment, il envisage plutôt l'ouverture du campus citadelle à la rentrée 2016 qu'à la rentrée 2015.
Thierry Langlet, délégué au patrimoine et aux moyens de l'UPJV, rappelle que l'université a déjà engagé plusieurs constructions pour le futur campus santé. «Le premier pas c'est le regroupement des équipes de recherche de Saint-Charles dans un nouveau bâtiment de 6000 m² au sein du CHU. On prépare le déménagement pour l'été», confie-t-il.
La deuxième étape, c'est la construction d'un bâtiment d'enseignement de 4500 m² pour les trois premières années de médecine, à quelques pas du campus sud. «On espère y faire la rentrée du Paces dès le second semestre 2015», avance Michel Brazier. Ces deux étapes devraient permettre de donner un peu de large à toutes les formations qui resteront à Saint-Charles. Mais elles ne résoudront pas tous les casse-tête de déplacements. Ces deux bâtiments, financés par le conseil régional de Picardie, l'État ou des fonds européens, atteignent un coût total de 35 millions d'euros.
Mais qu'en est-il du déménagement total des études de santé au campus? Mauvaise nouvelle pour Daniel Le Gars qui s'inquiétait d'une trop longue période de transition, les locaux de Saint-Charles seront utilisés en «tampon» par l'UPJV, le temps de mener une réhabilitation complète des bâtiments du campus au sud. Une réhabilitation qui devrait permettre d'atteindre le label «Bâtiment basse consommation» ou même la production d'énergie grâce au solaire.
Et pour les besoins en salles techniques aménagées pour les sciences? «On est sur l'idée de construire un bâtiment neuf, car cela coûterait peut-être autant que la réhabilitation d'un bâtiment existant», explique Thierry Langlet, qui reconnaît qu'au ministère, la mode n'est pas à financer des constructions mais plutôt à mieux utiliser l'existant.
Saint-Charles en tampon jusque 2019
Dans l'immédiat, un programmiste va s'emparer du sujet et il sera rémunéré sur les deniers de l'UPJV. «Pour 2015, on aura la réponse des programmistes», estime Michel Brazier. Mais alors, sera-t-il trop tard pour intégrer ce déménagement dans le CPER 2014-2020? «On prépare déjà le dossier pour le CPER! s'exclame Thierry Langlet. On a des estimations des coûts par rapport à des opérations similaires de réhabilitation. Il faut faire la programmation, mais les coûts globaux on les a». Le responsable du patrimoine pense que l'ardoise totale des constructions et réhabilitations du campus santé avoisinera les 100 millions d'euros. Et il rassure: l'UPJV ne ratera pas le coche.
Le point noir reste la durée des travaux de rénovation des six bâtiments du campus sud. En concevant un programme par tranches de deux bâtiments, la présidence de l'UPJV n'entrevoit pas l'emménagement complet avant 2019. «Il faut rester positif, dès 2016, la majorité des cours se fera ici, au campus», conclut le président de l'université.