Johanna Bougon (au centre) et l'association CLEE.
«Les solutions avancées de part et d'autre nous semblent dépassées». Johanna Bougon, conseillère municipale d'opposition, résume ainsi la position de son association, le Clee (Centre libre écologique européen). En matière de transport public, ses membres, plutôt centristes puisqu'on y compte Nathalie Lavallard (UDI) et Nathalie Leclerq, une autre conseillère municipale d'opposition, ne sont convaincus par aucune des propositions des candidats à la mairie d'Amiens. Qu'ils viennent de droite ou de gauche.
«Nous pensons que la gratuité des bus est une fausse bonne idée. C'est dévalorisant pour le bus, et nous préférons que les quelques recettes soient investies dans l'innovation», tranchent-ils. Pas plus d'indulgence pour le tram: «Il y a 20 ans, c'était la mode du tramway. Aujourd'hui, cela nous semble dépassé, et le tracé ne satisfait personne à Amiens», explique brièvement celle qui fut vice-présidente aux transports sous Gilles de Robien.
Alors que faire à Amiens? Même si Johanna Bougon ne fait pas partie de la liste Rassemblés pour agir de Brigitte Fouré (Nathalie Lavallard, numéro 39 de cette liste, fait partie du CLEE), elle entend porter des propositions dans le débat.
«Notre association s'est investie depuis deux ans», revendique l'élue. Une visite détaillée des travaux du tramway à Valenciennes en septembre 2012, et une visite de Belfort en octobre 2013, des cafés-débats à Amiens pour éclairer leur réflexion sur la mobilité «pour tous» et les transports en communs.
Résultat: c'est la solution de Belfort, ville sans tramway mais qui s'est dotée d'un bus à haut niveau de service, qui a emporté l'enthousiasme de l'association.
La moitié du coût du tram
«C'est une solution globale qui tient la route et qui donne des résultats tangibles» estime Johanna Bougon. «Leur projet coûte à peu près 40 millions d'euros et qui couvre tout le territoire. On est à moins de 50% du projet d'une seule ligne de tram. L'organisation est différente, le nombre de kilomètres parcourus annuellement par un chauffeur est passée de 14 000 à 24 000 kilomètres et la fréquence a augmenté».
C'est vrai que le Syndicat Mixte des Transports en Commun du Territoire de Belfort (SMTC 90) a de beaux arguments pour défendre son projet «Optymo». Pour 48 millions d'euros d'investissement, le SMTC qui avait repris son réseau urbain en régie a pu augmenter la fréquentation de ses bus: +75% après cinq années de la phase 1 du projet. La fréquence de passage aussi: 5 à 10 minutes en agglomération, une heure pour les bourgades les plus excentrées. Bénéfice identique pour la vitesse commerciale du service, de 14 km/h à 21 km/h, grâce aux aménagements de voies et de carrefours prioritaires pour les transports en commun.
Mais grâce aussi à l'abandon de la vente des tickets à bord des bus, comme l'explique Claude De Barros, directeur de la communication du SMTC. «La vente de tickets dans les bus par les conducteurs fait baisser la vitesse commerciale. Par ailleurs ils transportent de la monnaie, et cela crée de l'insécurité. Nous n'avons pas eu d'agression de chauffeur depuis 2007, à côté de chez nous, à Montbeliard, il y en a deux ou trois par an».
Un million chaque année sur le marketing
Le marketing coûte un million, chaque année, depuis 2007. Derrière cette somme, le démarchage des habitants pour la création de la carte, gratuite, qui doit leur permettre de prendre le bus et de ne payer à la fin du mois que le nombre de trajets qu'ils ont fait... plafonnés à 9 euros pour les tarifications sociales et à 31 euros pour les autres.
Il y a peu d'automates de vente de billets. Quelques-uns dans les gares SNCF, pas plus. À la place, des titres sont en vente dans les commerces et le syndicat de transport a mis en place un système de paiement de ticket par SMS, et un service de suivi des bus par QR Code. La perception des titres de transport (à 0,80 cts l'unité) rapporte 12% du budget de la régie transport. Soit un peu moins que les 17% du réseau amiénoarticle/bus-gratuits-6-millions-et-plus-si-affinites/is (voir notre article).
«On a remarqué que l'achat d'abonnement pénalisait les plus pauvres qui préféraient acheter leur billet au jour le jour, plutôt que d'investir dans un abonnement dont ils n'étaient pas certains d'avoir d'usage», explique Claude De Barros. Aujourd'hui, 60 000 des 145 000 habitants du Territoire de Belfort ont leur carte de transport. «Les petites villes ne peuvent pas faire de tramway» analyse le directeur de la communication. «Cela représente un investissement lourd et nous n'en avons pas le même besoin». Car bien évidemment, la comparaison avec Amiens est limitée.
Belfort n'est pas une ville particulièrement touristique, contrairement à Amiens. C'est pour cela qu'à Belfort, le système de billettique a été conçu principalement pour les besoins des habitants. Quant à la densité de population, si le Territoire de Belfort atteint 145 000 habitants, la seule ville d'Amiens totalise 135 000 habitants, 175 000 habitants avec sa métropole. Côté superficie le territoire de Belfort irrigué par le réseau Optymo est 2,2 fois plus étendu qu'Amiens métropole... On comprend que les situations sont, en certains points, très différentes.
Le CLEE sait tempérer son point de vue. Johanna Bougon a bien conscience de certaines limites d'Optymo. «Bien sûr, au niveau esthétique, c'est moins séduisant qu'un tramway. Mais le système nous a plu». Car, il faut le préciser, en fait de «bus à haut niveau de service», les véhicules belfortains sont des bus tout à fait traditionnels qui roulent sur une voie qui leur est propre aux passages les plus délicats et encombrés du réseau. Leur aménagement intérieur est néanmoins quelque peu différent, ne serait-ce que parce que le chauffeur n'est pas enfermé dans un box.
Ces différences n'arrêtent pas le CLEE: «on veut que notre livre blanc puisse influencer les décideurs». Ils l'ont donc présenté aux «principaux» candidats. Soit Brigitte Fouré et Thierry Bonté.
Une idée «intéressante»
Ces candidats, qu'en pensent-ils? Thierry Bonté, le candidat socialiste qui porte le projet de tramway à Amiens, connaît bien l'exemple de Belfort, puisque la métropole s'y était intéressée, il y a quelques années. Le projet avait même été présenté publiquement aux Amiénois. «C'est une expérience intéressante, mais limitée. En terme de fréquentation du bus nous avons déjà fixé au délégataire des objectifs ambitieux, pour arriver à 16 millions de voyages en 2017. Et nous poursuivons l'aménagement des carrefours et de voies dédiées au bus, comme sur les avenues ou la rue Alexandre-Dumas», rappelle le vice-président métropolitain aux transports qui n'envie donc en rien les aménagements de Belfort.
Thierry Bonté préfère rappeler que le tramway qu'il défend va changer la donne du réseau de bus. Néanmoins, le ministère du Transport qui devrait allouer une subvention de plusieurs millions d'euros (environ 20% du coût total du projet) a retardé sa réponse. Si l'enveloppe devait s'envoler ou n'être pas à la hauteur des espérances, Thierry Bonté envisagerait-il la solution belfortaine? «On n'est pas dans cette perspective, là on défend notre projet qui est très apprécié au ministère et qui sera parmi les projets les plus dotés».
«C'est un document intéressant, on va s'en imprégner pour voir ce qui peut être mis en œuvre à Amiens», estime de son côté Brigitte Fouré, proche des membres du CLEE. Mais elle se garde bien de promettre une application et reste sur l'idée qu'elle a annoncé dans son programme: «ce sont des éléments parmi d'autres que nous allons examiner avec attention. Mais nous ne voulons rien exclure». Pour la liste Rassemblés pour agir, la réponse ne viendra qu'après l'élection.
Le livre blanc du CLEE est visible sur leur page facebook. Les membres de l'association ont été rencontrés le 29 janvier, et le directeur de la communication du syndicat de transport belfortain a été interviewé par téléphone vendredi 31 janvier. Les deux élus ont été interrogés en ce début de semaine.