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Hypermarchés : des produits Bio, surtout pour faire beau

Le 22 November 2012


Leclerc-Rivery

Toutes les grandes enseignes ont désormais investi le marché du Bio en France. Même les plus frileuses comme Intermarché ont pris le pli en investissant leurs marques distributeur sur le marché. Et pour cause, le marché de la Bio a quadruplé en 10 ans, et il a encore augmenté de 10% en 2011, selon les chiffres de l'Agence Bio, l'émanation de l'État qui gère le label en France. Une vraie aubaine – ou relai de croissance comme disent les économistes – pour les supermarchés, alors que le marché de l'alimentation stagne (+0,3% en 2011).

Malgré ces belles progressions, la Bio ne représente en 2011, pas plus de 2,4% du marché alimentaire français. Pourtant, lorsque l'on regarde la taille de certains rayons Bio d'hypermarchés, difficile de croire que ça se vend peu. Les rayons sont souvent grands et particulièrement bien achalandés.

Certains rayons surdimensionnés

Mais la profusion de produits ne reflète pas toujours la réalité du marché. «Il y a un déphasage croissant entre la part de linéaire et la part de marché que représente le Bio ou l'équitable dans les magasins», constate Thomas Pocher, gérant de plusieurs enseignes Leclerc dans le Nord-Pas de Calais. «Le bio-équitable représente 5 à 10% des linéaires, alors que c'est 1% du chiffre d'affaires chez nous

Si certains rayons sont surdimensionnés, comme à Auchan-Salouël, c'est aussi une question d'image pour le magasin. Les rayons Bio compensent la faiblesse de leurs ventes en offrant une image positive, «green», écolo aux supermarchés.

«Initialement, il n'y avait qu'une rue, mélangée avec les produits diététiques», retrace Nicolas Roy, responsable des rayons épicerie-sucrerie classique et épicerie-sucrerie Bio à Auchan-Salouël. «Il y a deux ans, nous sommes allés à Auchan Saint-Priest [à Lyon, ndlr], ils avaient un nouveau concept. Comme eux, nous avons intégré des fruits et légumes Bio et élargi la gamme du rayon. En deux ans, on a eu une progression à deux chiffres».


Le rayon Bio d'Auchan Salouël

Pourquoi développer ce rayon en particulier? Pour «répondre à un créneau» mais aussi «travailler l'image de marque.» Pour Auchan, le challenge est en autres de convaincre les consommateurs de Bio de venir chez eux plutôt que chez les vendeurs spécialisés: «Le but c'est d'attirer des clients qui iraient habituellement chez Biocoop. Et ça marche plutôt bien, c'est un relai de croissance. Toutes les marques arrivent sur ce marché en ce moment.»

«En terme d'image c'est plus valorisant de mettre en avant un produit Bio que du Nutella»

Le marché Bio est porteur, mais d'un magasin à un autre, d'une enseigne à l'autre, d'une région à l'autre, chacun compose. «La rentabilité au mètre carré dépend des enseignes», explique Alice Darmon, auteur d'une étude sur les stratégies de la grande distribution sur la Bio. «Les enseignes ont chacun une politique différente. On a par exemple des produits plus dispersés chez Leclerc. J'ai pu suivre l'évolution de la place du Bio dans un Leclerc, où il a finalement terminé avec un rayon Bio dédié, placé à l'entrée du magasin. C'est sûr qu'en terme d'image c'est plus valorisant de mettre en avant un produit Bio que du Nutella, qui connait pour le coup, beaucoup de casse en ce moment.»

Pour autant, les rayons Bio n'atteignent pas les performances des rayons classiques. Dans son rayon épicerie d'Auchan, Nicolas Roy écoule une palette (450 pots) de Nutella tous les jours. En Bio, ce n'est pas le même rythme: «Sur certains produits vrac, il y a un manque de performance, on est obligé de jeter, alors qu'en discount, ça marche. Mais entre une trémie de son d'avoine et une trémie de bonbons, c'est pas la même chose».

En regardant les chiffres de près, le rayon Bio épicerie géré par Nicolas Roy est complètement disproportionné au regard du chiffre d'affaires qui y est fait. Sur son secteur, l'épicerie-sucrerie, la Bio représente 5% du chiffre d'affaires. En surface, l'épicerie Bio s'étale sur 21 éléments, sur les 100 que compte l'épicerie au total. Soit 20% de la longueur des linéaires.


Carrefour Amiens

Le nord de la France consomme moins de produits Bio

Chez Carrefour, à Amiens-Nord, on est plus prudent: «Sur notre zone de chalandise, nous avons une demande faible en produits Bio à part sur quelques produits comme les œufs», explique Christophe Riffort, directeur du magasin. «La part de linéaire n'est pas supérieure au chiffre, nous n'avons pas de politique de merchandising. On s'adapte à la demande. Nous avons un tout petit rayon dédié». Ce n'est pas le cas partout. Dans le magasin qu'il gérait auparavant dans l'Ouest parisien, Christophe Riffort avait placé un vrai univers dédié, comme on peut le trouver à Auchan.

Il faut dire que la Picardie ou le Nord-Pas de Calais ne sont pas des eldorados pour l'agriculture biologique. On sait déjà que les surfaces agricoles dédiées à la Bio sont squelettiques en Picardie (0,4% en 2009 contre 2% en France au même moment), mais à l'autre bout de la filière, la consommation n'est pas en meilleur état.


Rayon Bio de Carrefour-Amiens

En 2011, l'Agence Bio délivrait ses premières estimations de la répartition géographique de la consommation de la Bio en France. Les fourchettes d'estimation sont larges, mais révèlent des écarts importants. La Picardie, et tout le Nord de la France sont les régions où l'on consomme le moins de Bio. Entre 0 et 51 euros par personne et par an en Picardie, contre 69-82 euros en Bretagne.

Un autre moyen de mesurer la faiblesse de la demande, la surface de magasins spécialisés, type Biocoop, sur le territoire. La Picardie est 18e région de métropole, sur 21, avec un peu moins de 50 m2 de magasins pour 10 000 habitants. Un début d'explication est peut-être à trouver dans le porte-monnaie. En 2010, le revenu médian par unité de consommation était de 18 474 euros par an en Bretagne et de 17 876 euros en Picardie (15 892 euros à Amiens).

Même les conserves atteignent leurs dates limites

En somme, les supermarchés picards ne sont pas les mieux placés pour développer les linéaires du Bio. Si l'image rendue est positive pour les magasins, les produits se vendent encore peu. Pourtant les marques d'agroalimentaires poussent pour développer la place du Bio dans les magasins: «On nous propose de plus en plus de produits Bio, on en expose de plus en plus», regrette Thomas Pocher. Résultat : les produits secs (conserves, etc.) restent si longtemps en rayons qu'ils arrivent à périmer. «Est-ce que l'on doit faire un rayon bio ou disséminer les produits? On trouve parfois des doubles implantations, c'est aussi ce qui développe la part de linéaires.»


Rayon Bio du Leclerc Rivery

Chez Auchan, pour éviter le gaspillage dans le rayon Bio géant, on aménage différemment. Les gondoles sont moins profondes. 40 cm au lieu de 80 pour les rayons standards. Certains produits sont souvent recouverts de sticks «À consommer rapidement -30%» pour les écouler avant péremption. «Comme la rotation des produits est plus faible, on est plus vigilants pour les produits périmés», explique Nicolas Roy. «En épicerie normale, on fait la rotation dans l'intégralité tous les trimestres». Par «faire la rotation», il faut comprendre «vérifier qu'il n'y ait pas de produits périmés». «En Bio c'est toutes les semaines». Cela implique un surcoût qui n'est pas connu du gérant, car le prix du personnel est intégré à l'ensemble du rayon épicerie. Bio ou non.

Difficile de dire s'il y a plus de gaspillage dans le Bio que dans d'autres secteurs. Sur ce point, les supermarchés ne livrent pas leurs chiffres.