Pas de quoi se réjouir de cette grève des agents de surveillance de la voie publique (ASVP) chargés de surveiller le stationnement. D'abord pour les conducteurs amiénois: il n'y aura potentiellement pas de parking gratuit puisque d'autres agents que ces ASVP chargés du stationnement peuvent verbaliser. Ensuite, et surtout, pour la situation de ces dix-huit agents spécialisés dans le contrôle du stationnement payant.
Face aux relations compliquées avec les usagers de la route lors des dressages de procès-verbaux, et à leurs salaires au bas de l'échelle des agents de la mairie, ces ASVP –essentiellement des femmes– se sont concertées. Et aujourd'hui, de 14h à 17h, douze d'entre elles devraient manifester sur le parvis de l'hôtel de ville.
Isabelle Hollingue a pris la tête du mouvement, suivie par la majorité de ses collègues ASVP du stationnement payant. Cela fait 23 ans qu'elle travaille au sein du service sécurité et prévention urbaine, à divers postes. Passée à temps plein depuis quelques mois, elle touche environ 1300 euros par mois: depuis le début de sa carrière, elle est restée au plus bas échelon des fonctionnaires de la Ville: le niveau 11 du régime indemnitaire de poids de poste, (RIPP).
Dans ce mouvement, Isabelle Hollingue (au centre) devrait être suivie par onze de ses collègues ASVP de stationnement.
Hirondelle au poste pour un PV raturé
Aidées par Alain Melcus, délégué CFTC du personnel, elle et ses collègues ont porté une revendication devant le directeur de leur service, Loïc Résibois, et devant le directeur général, Michel Daumin. Pour leur tâche difficile, parce qu'elles sont polyvalentes, elles voudraient passer à l'échelon 10 du RIPP. Cette prime se monterait alors à 154 euros mensuels, contre 105 euros actuellement. Soit une augmentation de 49 euros par mois.
«Le déclic, c'est lorsqu'une collègue a été sanctionnée après avoir du faire face à une situation périlleuse avec une usagère.» Menacée physiquement par une contrevenante fragile psychologiquement, cette agent du stationnement a cru meilleur d'invalider le PV établi, pour calmer la situation.
Lorsque l'histoire a été connue de sa direction, l'ASVP a été convoquée à la police nationale, ses empreintes prises et consignées dans le fichier STIC «comme une criminelle». Menacée de renvoi et même de prison, l'ASVP n'a finalement été sanctionnée que de 3 jours de mise à pied.
Mais ses collègues ont pris conscience que leur responsabilité était quotidiennement engagée dans chaque aspect de leur travail. Isabelle Hollingue et ses collègues revendiquent par ailleurs de nombreuses autres tâches sur lesquelles elles peuvent être affectées, comme l'îlotage ou le «barriérage» en cas d'événement festif, par exemple.
Pas de qualification au premier échelon
Michel Daumin, le directeur général des services de la mairie, motive son refus par le fonctionnement de ces RIPP. «Notre système de rémunération s'appuie sur une logique de grade et de pré-requis exigés au recrutement. Or, pour ce poste, il n'y a pas de grade d'intégration, ni de concours, ni de niveau d'étude requis. Le fait d'intégrer cette filière sans concours est un avantage, par rapport à d'autres fonctionnaires.» La contrepartie, c'est que le poste est à l'échelon le plus bas des rémunérations.
Pour Michel Daumin, le métier d'ASVP est avant tout une porte d'entrée dans la fonction publique.
«Certes on n'a pas de qualification sur le papier, mais on a un savoir-faire, des qualités relationnelles nécessaires», répond Isabelle Hollingue, qui rappelle au passage que la seule formation spécifique qu'elle ait suivi au sein de la mairie remonte à son entrée en poste, il y a 23 ans.
Par ailleurs, les ASVP du stationnement ont le sentiment d'avoir un rôle particulier dans le fonctionnement de la métropole: leur travail rapporte, assez directement, des fonds à la collectivité. «D'ailleurs, nos chefs de service sont encore venus nous féliciter, le mois dernier, pour les bons résultats obtenus, pour notre chiffre d'affaires qui est en hausse» indique Isabelle Hollingue.
Il faut dire que les chiffres des horodateurs sont plutôt bons: approximativement, le rendement d'une place de stationnement est passé de 2,25 euros journaliers en janvier 2011 à 2,9 euros en janvier 2012 et 3,1 euros en janvier 2013. Loïc Résibois, le directeur du service de sécurité et prévention urbaine revendique 2,69 euros journaliers par place de stationnement, moyenne pour les premiers mois de 2013.
Et le service est sollicité: en 2012, les effectifs ont été renforcés de quatre personnes pour prendre en charge les nouvelles zones de stationnement résidentiel.
Par ailleurs, lors du comité technique paritaire du 15 février dernier, la métropole a annoncé son intention de renforcer encore les effectifs. «Sachant que la qualité de la surveillance constitue l’une des clés de la réussite d’un plan de stationnement ainsi que l’assurance d’un niveau de recettes satisfaisant» précise le compte-rendu. Plus de surveillance, plus d'ASVP dans les rues, c'est le moyen d'inciter les automobilistes à payer leur place de stationnement.
«On devrait déjà être heureuses d'être à temps complet»
Mais les arguments des agents n'ont pas suffi à convaincre le directeur des services, mardi matin, lorsque Isabelle Hollingue et Alain Melcus l'ont rencontré pour le dépôt du préavis de grève.
«On nous a répondu, entre autres, que l'on devrait déjà être heureuses d'avoir été mises à temps complet.» Isabelle Hollingue ne comprend pas l'argument de la direction de la métropole. Si elle est complètement satisfaite d'être passée, l'an dernier, à temps complet, après 23 ans de temps non complet, il lui semble que ce passage à 35h se présente plutôt comme un besoin de la Mairie, et pas comme une faveur à ses agents.
Ce que conteste Michel Daumin: «Auparavant le service fonctionnait avec des temps non-complets imposés et avec des contrats aidés. Il nous aurait été plus facile de continuer de cette façon, mais on a fait le choix de leur accorder le temps complet, au nom de l'avancée sociale pour ces employés.»
Un système de RIPP rigide
Est-ce une question de coût? Pour Alain Melcus, le compte est vite fait: le passage au niveau 10 pour la quinzaine d'ASVP coûterait environ 9400 euros par an à la collectivité. Dérisoire, selon le délégué. «Quand on apprend que les primes de deux directeurs de services vont coûter près de 14400 euros par an... Je ne conteste pas du tout le RIPP, on était pour sa mise en place, c'était une très bonne mesure d'équité. Mais la CFTC conteste son application au fil du temps.»
Michel Daumin, devant la presse, répète les arguments qu'il a exposés à Alain Melcus et Isabelle Hollingue, lors de leur dépôt de préavis de grève. «Ce niveau 11 du régime indemnitaire, c'est une porte d'entrée dans l'administration pour les gens sans qualification. Si l'on bougeait leur régime indemnitaire de 11 vers 10, il faudrait aussi augmenter les agents administratifs, les agents de nettoiement, etc...»
Par ailleurs, Loïc Résibois évoque la situation des 58 autres ASVP qui sont, comme les ASVP de stationnement, des agents assermentés par le procureur. Plutôt affectés à l'îlotage ou aux sorties d'école, ils ont, selon leur directeur, autant de responsabilité et de polyvalence que les ASVP du stationnement. «Les faire passer au niveau 10 serait injuste pour les gardiens de police municipale», rajoute-t-il. Eux sont recrutés sur concours et intégrés directement au niveau 10.
«Passer les ASVP de stationnement au niveau 10 serait injuste pour les policiers municipaux» estime Loïc Résibois. Les missions de cette police sont plus nombreuses.
«Nous incitons nos agents à passer un examen interne pour intégrer la police municipale, mais pour le moment une seule ASVP y a accédé» explique encore le chef de la sécurité. Du point de vue des directeurs, l'évolution des salaires devrait plutôt se faire par la promotion.
Le système de RIPP, avec ses onze échelons, serait donc trop rigide pour permettre l'augmentation de ces agents.
Pour le directeur, les marges de manœuvre sont faibles, pour résoudre le conflit qui oppose la Ville à ses pervenches. «Toucher au RIPP ne serait pas raisonnable, mais nous cherchons des solutions pour aider financièrement les employés de la métropole. L'année dernière nous avons pris en charge les frais de mutuelle, et au conseil métropolitain de juillet, nous allons faire voter une proposition de système de prévoyance».
Cela finira-t-il par convaincre les ASVP du stationnement? Pour le moment, la manifestation est maintenue, et les hirondelles espèrent bien attirer l'attention sur leurs conditions de travail et de rémunération.
Les citations de comités techniques paritaires sont issus de comptes-rendus fournis par Alais Melcus, représentant CFTC d'Amiens métropole.
J'ai rencontré Alain Melcus, Isabelle Hollingue et deux de ses collègues mardi après-midi, à l'issue d'une réunion CFTC.
Michel Daumin et Loïc Résibois ont été interrogés mercredi après-midi.