Les élections professionnelles auront lieu ce vendredi chez Goodyear. Un scrutin qui tombe à pic, au moment où le syndicat majoritaire s'apprête une nouvelle fois à ferrailler contre la direction devant les tribunaux, le 17 mai prochain.
Les dernières élections professionnelles avaient été un plébiscite pour l'équipe menée par le délégué Mickaël Wamen. En avril 2011, après déjà quatre ans de lutte, la CGT avait remporté 78% des voix aux élections des délégués du personnel et du comité d'entreprise (85% dans le 1er collège des ouvriers et employés). Le principal challenger, Sud, n'avait emporté que 12% des voix.
«Un bouleversement complet, je n'y crois pas du tout. Même s'ils font moins, ils resteront majoritaires, estime Bruno Potel, délégué CFDT. Ils ont une vingtaine de permanents sur le site. Ils font un énorme travail de terrain.»
Un scrutin qui tombe aussi peu de temps après que la CGT a annoncé qu'elle porterait un projet de Scop pour reprendre l'activité agraire de l'usine. Samedi dernier, Mickaël Wamen et l'avocat de la CGT, Fiodor Rilov, ont présenté leur projet à environs 200 personnes, des salariés Goodyear et leurs proches réunis à la Maison de la culture d'Amiens.
La presse n'était pas conviée pour cause d'«informations hautement confidentielles». Deux heures d'une présentation Power Point intitulée «projet de reprise de l'activité agraire de Goodyear par la Scop».
C'est vers 13 heures que les deux hommes ont présenté à la presse ce qui n'est pour eux qu'une des trois issues proposées par la CGT.
Premier rendez-vous: la justice, le 17 mai prochain
À ce jour, le syndicat propose en effet trois chemins aux salariés: empêcher la fermeture du site devant la justice, monter une Scop pour reprendre l'activité agraire de l'usine ou trouver un repreneur pour cette même activité. Dans tous les cas, la CGT se fixe comme horizon d'empêcher tout licenciement à Amiens nord.
Rappelons que la direction de Goodyear Monde a choisi dès 2009 de fermer sa production de pneus tourisme sur le site Goodyear Amiens nord et de la délocaliser autre part en Europe. Après avoir tenté de fermer uniquement l'activité tourisme, sans succès face aux recours de la CGT en justice, elle a décidé de fermer toute l'usine.
«Notre stratégie est claire. Il s'agit de fermer l'usine d'Amiens nord», explique Paolo Ghilardi de l'agence de communication internationale Burson-Marsteller i&e, qui gère la communication de l'usine Goodyear depuis quelques mois.
Pour fermer l'usine et licencier les salariés, la direction doit mettre en place un Plan de sauvegarde de l'emploi (PSE) (offres de reclassements, de formations...), lui même précédé d'une procédure d'information et de consultation, prévue en cas de licenciement pour motif économique. Une série de réunions au cours desquelles la direction expose aux délégués du Comité d'entreprise (CE), qui ne peuvent donner qu'un avis consultatif, le déroulé des licenciements et le contenu du PSE.
La direction a d'ores et déjà fixé la date de la «troisième et dernière réunion du CCE» au 22 mai prochain, qui sonnerait le début des licenciements. «Aujourd'hui nous parlons bien de fermeture du site, pas de cession», rappelle Paolo Ghilardi.
C'est pourquoi la CGT, en accord avec la CFDT des autres sites Goodyear français, a de nouveau décidé d'attaquer la procédure d'information et de consultation afin d'arrêter la machine à licencier. Nous évoquions les motifs de cette attaque dans notre précédent article: «non-consultation des membres du GICF (forum européen) concernant la fermeture d'Amiens nord, imprécision et manque d'informations sur 22 questions que nous leur avons posées, transfert dissimulé de la production sur d'autres sites en Europe, mesures sociales insuffisantes compte tenu de la taille de l'entreprise Goodyear».
Ce sera le 17 mai prochain au TGI de Nanterre. «À 11.30 heures» précises, selon la CGT.
Au cas où, la procédure échouerait, la CGT se réserve un «plan B», la création d'une Scop pour reprendre l'activité «agricole» de l'usine d'Amiens nord. «La première alternative, c'est de se battre contre la fermeture», rappelait Mickaël Wamen, samedi dernier. La Scop, c'est l'une des trois alternatives».
C'est quoi une Scop? C'est une forme particulière de société où les salariés détiennent au moins 51% du capital et où chaque associé dispose d'une voix, indépendamment de la part du capital qu'il possède. Concrètement, cela veut dire que les salariés pourront décider de la gestion de l'usine collectivement, mais qu'ils vont devoir la racheter, au même titre qu'un repreneur comme Titan.
Pourtant Fiodor Rilov a assuré dès samedi que le projet n'impliquait pas que les salariés sortent leur portefeuille. «Compte tenu de l'économie du projet, ce serait une aberration de demander aux salariés de payer».
L'économie du projet? Fiodor Rilov et Mickaël Wamen ont refusé d'en parler samedi dernier. Sauf peut-être à notre confrère de L'Humanité. Selon le journaliste Stéphane Aubouard, Mickaël Wamen aurait déclaré: «Nous avons tablé sur un investissement de 25 à 35 millions d’euros et 80 à 120 millions d’euros de résultat net après impôt pour la première année». Des propos que le syndicaliste dément avoir tenu.
Une Scop financée en partie par l'Europe et la France
Tout ce que l'on sait aujourd'hui, c'est que la CGT voudrait mobiliser des fonds de l'État et de l'Europe pour financer le lancement de la Scop. «L'État français serait un acteur incontournable dans la mise en œuvre de ce projet, les fonds nécessaires viendraient en partie de l'État et l’Europe. Il existe en France et en Europe des fonds colossaux pour la mise en place de SCOP», explique la CGT sur son blog.
Le syndicat reprend peut-être la proposition de l'eurodéputé Philippe Boulland qui a rencontré Mickaël Wamen, le 26 février dernier. «Philippe Boulland a expliqué à Mickaël Wamen qu'il existe un fonds européen d'ajustement à la mondialisation (FEM), qui est sous-utilisé, et qui avait pour but de lutter contre la désindustrialisation. 500 millions d'euros disponibles chaque année», explique son attaché parlementaire Luc Houllebrèque.
«Ce fonds pourrait servir à monter une Scop ou à aider les salariés licenciés à trouver une formation ou à monter leur propre entreprise. Si le plan de Scop est sérieux, c'est à la France, l'État membre, de faire une demande auprès de l'Europe pour aider cette Scop. Mais il faut que l'aide de l'Europe soit cofinancée à 50% par la France ou les collectivités locales.»
Selon l'assistant de l'eurodéputé, chaque salarié pourrait bénéficier d'une aide comprise entre 5 000 et 20 000 euros s'il en faisait la demande. Les sommes en jeu sont colossales.
Quel que soit le montage, le gouvernement n'a pas encore communiqué sur une éventuelle participation au financement de la Scop. Selon Mickaël Wamen, «c'est en discussion».
Au cabinet du ministre du Redressement productif, Arnaud Montebourg, la responsable de la communication, Marianne Zalk-Muller nous explique que «toute solution qui permet de préserver l'emploi est une bonne solution», mais botte en touche quant à la participation du gouvernement, arguant que le dossier des Scop est plutôt du ressort du ministère de l'Économie sociale et solidaire de Benoît Hamon.
Mobiliser des fonds européens, un nouveau défi pour la CGT Goodyear. «Ces fonds sont tenus avec une rigueur qui en décourage certains, explique l'attaché du député européen. C'est la rigueur allemande. Ils demandent des comptes.»
Même réaction de la part du directeur de l'union régionale des Scop Nord-Pas de Calais-Picardie, Jean-Marc Florin: «On n'a jamais levé de telles sommes. Les fonds européens, c'est une mécanique très lourde. Ça ne tombe pas comme ça dans les escarcelles».
Sans vouloir se prononcer sur un projet qu'il ne connaît pas, ce spécialiste des Scop doute d'une création d'entreprise où les salariés ne débourseraient pas un centime. «Il ne faut pas croire que l'on fait un projet avec l'argent des autres. Psychologiquement, quand on y croit, on investit.»
Autre obstacle pour les porteurs du projet: que Goodyear autorise la Scop a réutiliser sa célèbre marque de pneus. «Il va falloir que Goodyear nous file la marque pour qu'on puisse vendre des pneus Goodyear», expliquait Mickaël Wamen devant la caméra de France 3.
La CGT espère pouvoir acheter un contrat de licence des pneus Goodyear afin de les commercialiser en Europe. Dans un tel schéma, l'usine d'Amiens nord, qui appartiendrait majoritairement aux salariés, reverserait des royalties au groupe en fonction du nombre de pneus qu'elle vendrait.
Une option que la direction de Goodyear, prudente, n'écarte pas d'avance. «Nous ne pouvons pas répondre tant que nous n'avons pas lu le projet, tant que nous ne connaissons pas le business plan. Parler de royalties, ce serait s'avancer sur le projet.»
Pour cela il faudrait que les deux parties puissent se rencontrer pour en parler. «Cela fait un mois que l'on parle de Scop et la direction n'a pas trouvé une heure pour nous entendre, alors qu'ils ont reçu Taylor [le PDG de Titan, ndlr] une dizaine de fois», s'est plaint Fiodor Rilov, samedi dernier.
Une Scop conditionnée à un Plan de départs volontaires
L'autre condition d'existence de la Scop, que fixe cette fois la CGT, c'est l'acceptation par la direction de Goodyear d'un plan de départs volontaires (PDV). La CGT souhaite signer le PDV tel qu'il avait été négocié le 26 septembre, mais sans avoir pu être signé. «Je suis prêt à négocier un PDV pour des départs dès septembre 2013», a assuré Mickaël Wamen.
La première condition fixée par la CGT pour signer ce PDV: «Une garantie de 24 mois pour les salariés de l'activité tourisme.» Non seulement la CGT ne veut aucun départ forcé à Amiens nord, mais elle souhaite que la reprise en Scop de l'activité agraire permette de la développer et d'embaucher les salariés de l'activité tourisme qui le souhaitent.
Le syndicat demande donc une période de 24 mois durant laquelle les salariés de l'activité tourisme, qui ne seront pas partis de Goodyear, pourraient être transférés vers l'activité agraire. «La diminution de l'activité tourisme ne peut être liée qu'à des départs volontaires des salariés. Si les salariés ne veulent pas partir, ils restent», a martelé Mickaël Wamen.
Pour la CGT, la Scop est le seul projet à garantir un business plan pour les cinq ans à venir. Cinq ans de garantie pour l'activité agraire, c'est l'autre condition que devra remplir un éventuel repreneur pour obtenir l'aval de la CGT.
Car la troisième possibilité serait qu'un repreneur fasse une proposition à Goodyear pour son activité agricole. Mais rien n'est fait. Le 12 février dernier, Arnaud Montebourg, ministre du Redressement productif a demandé à l'Agence française pour les investissements internationaux (Afii) de partir à la recherche d'un repreneur pour l'activité agricole de l'usine d'Amiens Nord, après que le PDG de Titan lui a sèchement fait comprendre son désintérêt.
«À ce jour, il n'y a pas de piste de repreneur, explique Marianne Zalk-Müller, du ministère du Redressement productif, uniquement des «prospects». Nous identifions les acteurs susceptibles d'investir sur ce marché et nous les démarchons. Pour l'instant, nous en sommes là.»
De son côté, l'agence de communication de Goodyear assure que l'entreprise ne cherche plus de repreneur. «C'est l'Afii, mandatée par le gouvernement qui cherche des repreneurs, pas Goodyear, explique Paolo Ghilardi.
Pour le ministère du redressement productif, Goodyear est bien à la recherche d'un repreneur. C'est Boris Vallaud, conseiller de la cellule restructurations au cabinet du ministre qui suit le dossier. «Il est en contact quotidien avec Goodyear, explique Marianne Zalk-Müller. Nous avons une Conf-call [conférence téléphonique, ndlr] hebdomadaire tous les vendredis à 16 heures.»
J'ai assisté à la conférence de presse de Fiodor Rilov et Mickaël Wamen, samedi dernier à la Maison de la Culture. J'ai recontacté Mickaël Wamen hier par téléphone pour des précisions.
Tous les autres interlocuteurs ont été contactés par téléphone lundi et mardi. Je n'ai pas pu joindre le service économique de la Région en déplacement au Salon ferroviaire de Lille, ni le ministère de l'Économie sociale et solidaire à cause d'une réponse trop tardive du ministère du Redressement productif. Je n'ai pas non plus pu joindre le journaliste Stéphane Aubouard sur son téléphone.