Quelles sont les causes du projet de fermeture de l'usine Goodyear d'Amiens nord, annoncé par la direction en janvier dernier?
C'est le mystère que devait résoudre la Commission d'enquête parlementaire, créée le 26 juin dernier, à l'initiative des députées de la Somme, Pascale Boistard (PS) et Barbara Pompili (EELV).
La réponse, forcément complexe pour cette affaire qui dure depuis six ans, était attendue mercredi dernier, jour de la parution du rapport de la commission d'enquête. Malgré l'épaisseur du document, 500 pages dont 300 de compte-rendu des 34 auditions, son auteur, la rapporteure Pascale Boistard n'apporte que des réponses partielles.
Elle l'écrit d'ailleurs en introduction. «Force est de reconnaître qu’au terme de six mois de travaux de la commission d’enquête, les réponses à certaines questions ne brillent pas par leur netteté, écrit la députée. Singulièrement en ce qui concerne l’échec des discussions relatives au plan de départs volontaires de 2012». Or c'est probablement là que se noue la fermeture totale du site que tente de mettre en place la direction depuis janvier.
Un point que ne manque pas de souligner le député Alain Gest (UMP), président de la Commission, en annexe du rapport: «Notre groupe [à l'assemblée nationale, ndrl] aurait aimé trouver dans le rapport une analyse des responsabilités de chacun.»
D'ailleurs, l'écriture du rapport se contente souvent, dans sa partie consacrée au conflit social (chapitres 1 et 2) d'aligner les citations de chacune des parties, n'établissant dans cet «écheveau d'antagonismes» que rarement sa propre version des faits.
La députée valide la stratégie de judiciarisation de la CGT
Dans ce rapport, Pascale Boistard se prononce surtout sur la responsabilité de l'embourbement du conflit, qu'elle impute à la direction plutôt qu'aux syndicats.
Sur ce point elle n'accable pas la stratégie de judiciarisation utilisée par la CGT, au contraire: «Certes, la multiplication des procédures dépêchées particulièrement par le syndicat majoritaire fait l’objet de bien des commentaires mais elle n’est en rien exorbitante du droit commun. A tort ou à raison, une stratégie juridique de rupture a été adoptée qui, en dernier ressort, constitue l’arme dont dispose un syndicat.»
Pour elle, la stratégie de la CGT n'est que le miroir des insuffisances de la direction française de Goodyear, notamment en matière de transparence: «Certes cinq ou six ans de procédure peuvent sembler spectaculaires, mais le groupe Goodyear est en partie comptable de cette durée : n’eut-il pas été plus simple de présenter d’emblée des documents inattaquables devant la justice ?»
Pour la députée, la fermeture de l'activité tourisme est due au manque d'investissement de Goodyear: «Au-delà de la comparaison avec le site voisin, les auditions ont confirmé l'absence chronique d'investissements dans l'outil de production d’Amiens-Nord, devenu de ce fait obsolète. Obsolescence qui est ensuite devenue la principale justification du projet de fermeture.» Une attitude qu'elle condamne fermement: «Il est aberrant de voir une entreprise créer les conditions qui l'autorisent ensuite à fermer, licenciant au passage ses personnels.»
Pour ce qui est de l'activité agraire dont l'avenir était lié aux négociations du PDV de 2012 et est aujourd'hui en suspens, la députée se contentera de qualifier l'attitude de la direction de Goodyear de «peu lisible».
Pour Alain Gest, la responsabilité est partagée
De son côté, le député UMP Alain Gest semble avoir une bonne idée des responsabilités dans le projet de fermeture de l'usine. «Goodyear a ses torts, reconnaît le député, par ailleurs président de la Commission Goodyear. Bien avant 2007, les investissements étaient insuffisants à Amiens. Le management local, pour le moins approximatif, n’a pas été à la mesure du conflit social. Enfin la production a baissé quand le projet de complexe, envisagé en 2007, a été abandonné».
Pour mieux accuser la CGT de Goodyear qui s'est, selon lui, «enfermée dans une contestation systématique.» Mais la position originale d'Alain Gest c'est d'accuser Fiodor Rilov, l'avocat du syndicat, d'être à l'origine de cette stratégie: «Il porte donc, à mon sens, une lourde responsabilité dans l’échec du PSE [en fait un PDV, Plan de départ volontaire, ndlr], qui prévoyait des primes élevées, et du premier projet de reprise par Titan.»
Le député reprend en fait l'analyse de l'ancien préfet de la Somme, Michel Delpuech, qui accusait, devant les membres de la Commission, Fiodor Rilov d'être arc-bouté sur l'idée que Titan et Goodyear étaient de mèche pour fermer l'usine d'Amiens nord: «Son influence sur Mickaël Wamen était très forte, et sur le projet de Titan, elle a sans doute joué un rôle décisif, expliquait le fonctionnaire. Malgré tous mes efforts pour le convaincre du contraire – et il est vrai qu’il s’agissait davantage de ma part d’analyse que de preuve, et il ne pouvait en être autrement – Me Rilov a toujours considéré que la reprise Titan n’était qu’une «manipulation» de Goodyear ; il n’avait donc nulle confiance dans le projet, cherchant tous les éléments permettant d’en fragiliser la sincérité et, à l’évidence, il a su faire partager ce sentiment à M. Wamen.»
Barbara Pompili souligne le manque de transparence de Goodyear
Également membre de la commission, Barbara Pompili reprend peu ou prou l'analyse de la rapporteure Pascale Boistard. La première cause du projet de fermeture, c'est pour elle «l’échec du dialogue social, analyse-t-elle. La responsabilité de chacun n’est pas aisée à établir, même s’il n’est pas exclu que les difficultés aient été utilisées de manière stratégique pour favoriser le processus de fermeture.»
En second lieu, elle pointe la direction de Goodyear et son «manque de transparence», allant jusqu'à se poser la question, à l'instar de la CGT et de Fiodor Rilov, du lien entre Goodyear et Titan: «le fait que des repreneurs potentiels [autres que Titan, ndlr] n’aient pas eu accès à toutes les informations qui leur étaient nécessaires pose la question des liens entre Goodyear et Titan.»
Troisième et dernière cause du conflit? «L’absence d’investissement dans l’outil de production, devenu de ce fait obsolète, analyse la députée écologiste. Cette obsolescence a été invoquée ensuite pour justifier le projet de fermeture. Il est difficilement acceptable de voir une entreprise créer les conditions de sa propre fin et menacer de cette façon les emplois d’une région.»