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Goodyear: le dernier combat des salariés

Le 14 January 2014
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Par la rédaction du Télescope

«Nous sommes en lutte depuis 2007, elle va hélas bientôt se terminer», annonçait hier Mickaël Wamen, délégué CGT Goodyear, dans une lettre destinée au secrétaire général de son syndicat, Thierry Lepaon.

Les salariés de Goodyear Amiens nord qui, par l'intermédiaire de leur syndicat majoritaire, la CGT, tentaient d'empêcher la direction du fabricant de pneumatiques de fermer complètement leur usine ont changé de priorité durant les vacances de fin d'année. Résolus à perdre la bataille juridique, ils se lancent dans un dernier combat pour améliorer leurs conditions de licenciement.

Depuis plusieurs semaines, les tribunaux jouent en leur défaveur. Cela n'a pas toujours été le cas. Les premières batailles judiciaires, contre 402 licenciements en 2008, puis contre 817 licenciements en 2009 furent remportées en référé par les élus syndicaux et leur avocat Fiodor Rilov devant le Tribunal de grande instance de Nanterre, puis devant la Cour d'appel de Versailles. Elles ont donné cinq ans de répit aux salariés de l'activité tourisme, visée par ces premiers Plans de sauvegarde de l'emploi (PSE).

Depuis la rentrée de septembre et le début d'une troisième bataille juridique qui met cette fois en jeu l'avenir de toute l'usine et ses 1175 salariés (voir notre article), ces mêmes instances ont débouté les Goodyear de toutes leurs requêtes pour faire suspendre la mise en œuvre du PSE et retarder une fois de plus l'échéance des licenciements.

Le dernier épisode en date se déroulait le 17 décembre dernier à la Cour d'appel de Versailles. Il s'est soldé par un jugement en faveur de la direction. La juge a estimé que la procédure d'information et de consultation «ne fait qu'obéir aux exigences posées par la loi et ne peut être considérée comme frauduleuse et créatrice d'un trouble manifestement illicite», nous expliquait l'AFP.

Une dernière cartouche?

La direction se déclare depuis longtemps victorieuse de cette ultime bataille juridique. Elle annonçait d'ailleurs pour la fin du mois de janvier l'envoi des lettres de licenciement aux salariés.

En face, le syndicat et son avocat refusaient, jusqu'à la fin de l'année dernière, de s'avouer vaincus et annonçaient pleins de fougue une dernière bataille juridique à venir, cette fois-ci, sur le fond. «Sur le plan judiciaire, nous sommes loin d’être au bout des procédures», déclarait Fiodor Rilov lors de son audition devant la commission parlementaire Goodyear, le 5 novembre dernier.

Une audience en référé est bien prévue ce mercredi au Tribunal de grande instance d'Amiens. Mais la conviction n'y est pas. «Les salariés vont demander une dernière fois au juge de reconnaître que leur cause est juste», expliquait Fiodor Rilov sur iTélé, ce samedi, qui regrettait de ne pas pouvoir disposer du rapport établi par l'Inspection du travail sur les conditions de travail à l'intérieur de l'usine. 

Une audience, pour une procédure sur le fond et non plus en référé, est prévue pour le 24 janvier prochain, mais elle devrait intervenir bien tard. En effet, elle ne permettra pas au juge, comme en référé, de mettre en place des mesures suspensives à l'encontre du PSE, et pourra faire l'objet d'un appel de la direction.

Ce calendrier conforte la direction. Remportant victoire après victoire, elle annonce invariablement qu'elle ne reviendra pas sur sa décision, annoncée en janvier 2013, de fermer complètement l'usine d'Amiens nord. «En l’absence d’option crédible, il n’est pas opportun d’interrompre le processus de consultation. On dit parfois qu’il faut donner du temps au temps, mais on nous reproche aussi d’avoir laissé décliner l’activité du site sans rien faire», expliquait l'avocat de la direction Joël Grangé lors de son audition devant la commission Goodyear, le même jour que Fiodor Rilov. 

Pas question de négocier la reprise du site par l'entreprise Titan International avant d'avoir licencié tous les salariés amiénois, comme le demandait le syndicat. Le ministre du Redressement productif Arnaud Montebourg assurait hier dans les colonnes du Courrier picard que l'offre du repreneur tenait toujours. Mais il pourrait bien s'agir d'une reprise après fermeture, comme nous l'expliquions en octobre.

241 000 pneus et une usine en otage

Lundi dernier lors d'une réunion de rentrée des élus syndicaux avec la direction de l'usine, le directeur de l'usine Michel Dheilly et son DRH ont été retenus contre leur gré pendant une trentaine d'heures dans une des salles de réunion de l'usine. L'épisode s'est achevé par l'intervention des forces de l'ordre mandatées par la préfecture et la libération sans violence des deux hommes.

L'événement annonce symboliquement la défaite des salariés devant les tribunaux. «On perd tout en justice, alors on a changé de braquet, expliquait l'élu CGT, Franck Jurek à nos confrères de l'AFP, pour expliquer la séquestration des deux dirigeants. On a eu une réunion de bureau samedi matin [le 4 janvier, ndlr] et on a décidé avec les ouvriers qu'il fallait qu'on change de tactique».

Désormais privés de la menace juridique qu'ils pouvaient jusqu'ici brandir à la face d'une direction deux fois vaincue devant les tribunaux, les salariés sont en position de faiblesse.

Pour reprendre la main, ils ont tout d'abord séquestré deux de leurs dirigeants, avant d'annoncer l'occupation de l'usine. «[La direction] ne cesse de demander l’évacuation du site, indiquant au préfet qu’elle tient à son dépôt et son usine, dont acte, nous sommes prêts à lui laisser les 241 000 pneus et le site en échange d’un accord de fin de conflit qui permette aux salariés de partir avec les garanties les plus conséquentes possibles», expliquait la CGT jeudi sur son blog.

Les salariés ne se battent plus pour éviter leur licenciement mais pour améliorer les primes de départ. Un premier revers pour une usine qui avait, jusqu'aux des élections professionnelles d'avril dernier, plébiscité la CGT et sa stratégie d'affrontement juridique avec la direction. Un revers qui pèse sur le moral des troupes. «Nous avons pris conscience que l’annonce de la fin de la lutte pour l’emploi avait eu un effet terrible sur un grand nombre d’entre nous, pour autant il nous reste la lutte pour obtenir le maximum de droits et d’indemnités», expliquait la CGT, jeudi dernier, sur son blog.