Résumons. Depuis plusieurs années, les salariés de l'usine Goodyear d'Amiens qui produisent des pneus de voitures ne travaillaient en moyenne que trois heures par jour, faute de commandes.
Ces salariés spécialisés étaient condamnés par leur direction à errer dans leurs vestiaires (voir notre article), pendant que leurs collègues qui produisent des pneus de tracteurs dans la même usine, et ceux qui produisent des pneus de voitures dans l'usine voisine Dunlop, continuaient à travailler normalement.
Pour quelle raison? Pour la direction française du groupe, la faute revenait aux salariés de Goodyear qui ont refusé en 2007 de signer le changement d'organisation du travail et la suppression de 450 emplois à Dunlop et Goodyear. En échange les patrons de la filiale française promettaient d'obtenir de la direction américaine un investissement de 52 millions d'euros sur les deux sites amiénois, Dunlop et Goodyear.
Selon eux, cet investissement aurait permis d'améliorer la rentabilité des usines amiénoises, bonnes dernières en la matière en Europe, d'approcher les performances de l'usine jumelle polonaise, et d'échapper au destin funeste des usines d'Italie du nord et d'Angleterre fermées respectivement en 2000 et 2006.
En 2007, la guerre éclate
Pour la CGT, l'investissement n'aurait apporté aucune garantie de survie. Selon elle, l'usine avait besoin chaque année de 8 millions d'euros d'investissement pour être maintenue en état. Les syndicalistes ont estimé que le projet de la direction, 52 millions d'euros étalés sur cinq ans pour les deux usines, soit 5,2 millions d'euros par an par usine selon leurs calculs, n'atteignait pas ce montant.
Pour les salariés de Goodyear, la direction française ne leur fournissait pas de raison valable de laisser partir 450 emplois de leurs usines, et aucune raison valable de croire qu'ils reviendraient dans les petits papiers de la direction américaine.
Quoiqu'il en soit, depuis 2007, le siège européen de Goodyear Dunlop basé au Luxembourg (voir notre article) a eu de moins en moins recours à l'usine Goodyear d'Amiens pour fabriquer ses pneus de voiture.
Jusqu'à laisser les salariés presque sans aucune occupation.
En 2008, la direction déclarait la guerre à la CGT en annonçant le premier plan de licenciement. Face à cela, le syndicat CGT a également opté pour une stratégie d'affrontement, en portant le combat sur le terrain des tribunaux.
Depuis six ans, les deux parties se livrent une véritable guerre juridique dont les précédentes batailles avaient été jusqu'ici toutes gagnées par les salariés.
2013, les derniers combats
En janvier 2013, la direction française jouait son va-tout en annonçant qu'elle voulait fermer complètement l'usine Goodyear (voir notre article). Cela signifie qu'elle allait licencier non seulement les salariés qui produisent des pneus de voitures, mais aussi ceux qui produisent des pneus de tracteurs.
Alors que la campagne municipale approche, la droite locale en profite pour accuser les élus locaux, de la Mairie au Conseil régional, d'être restés inactifs (voir notre article), alors que ces derniers, dont la faute était sûrement d'être étiquetés socialistes, n'avaient aucun outil en main pour empêcher la fermeture de l'usine.
Les salariés de Goodyear, eux, ne se sont pas trompés. Ils ont cherché directement le soutien du gouvernement. Pour eux, seule une évolution de la loi pouvait, en dernier lieu, empêcher leur usine de fermer. Leur but: faire reconnaître par les parlementaires l'absence de motif économique comme une raison suffisante de suspendre un licenciement collectif.
C'est un combat que la CGT a mené à plusieurs reprises dans les rues de Paris, pendant l'année 2013, demandant régulièrement au président Hollande de respecter son engagement de candidat, exprimé sur leur parking en 2011 (voir notre article). Sans succès.
Faute de soutien politique efficace, les Goodyear ont continué d'appliquer la stratégie qui leur avait permis de retarder les licenciements depuis 2007, celle de l'affrontement judiciaire, qui a connu sa plus haute intensité en septembre dernier (voir notre article). Une dizaine d'audiences devant la Cour d'appel de Versailles, le Tribunal de grande instance de Nanterre ou celui d'Amiens.
Les arguments invoqués par l'avocat de la CGT, Fiodor Rilov, ont été d'abord ceux d'une délocalisation masquée aux salariés (voir notre article), après que les salariés ont retrouvé dans leur usine des pneus de tracteurs signés «Goodyear made by Titan», ou que l'avocat a constaté que 120 000 pneus Goodyear vendus en Europe, n'étaient pas produits par Goodyear.
L'usine Goodyear d'Amiens, l'an dernier.
Ces arguments n'ont pas convaincu les juges qui ont débouté les salariés de toutes leurs demandes durant toute l'année 2013. Fin décembre, le syndicat CGT a pris acte de cette défaite devant les tribunaux, et s'est lancé dans une dernière bataille (voir notre article).
22 janvier, l'armistice
Faute de pouvoir retarder plus longtemps les licenciements, ils se sont fixés comme but d'en améliorer les conditions. Pour ce faire, ils ont tout d'abord retenu deux cadres dans une des salles de réunion de l'usine pendant une trentaine d'heures (voir notre article).
A partir du 6 janvier, les salariés ont ensuite bloqué le dépôt et demandé à la direction, qui avait refusé tout dialogue depuis la séquestration de ses cadres, de revenir à la table des négociations. Le 13 janvier, le préfet de la Somme, Jean-François Cordet est nommé médiateur par le gouvernement. Il réunit les deux parties autour d'une même table, et après une longue semaine de négociation, parvient à leur faire signer un accord de fin de conflit (voir notre article).
La CGT se dit satisfaite. Selon le syndicat, les conditions du plan social ont été améliorées de 40 millions d'euros par rapport à celui qui était prévu jusqu'ici, et les écarts entre les ouvriers et les cadres ont été diminués (voir leur blog). L'armistice est prononcé.
Nul doute que la CGT - sous la forme d'une association - organisera de nouvelles poursuites, après la fermeture de l'usine, afin d'attaquer le motif économique invoqué par la direction, et d'obtenir devant les Prud'hommes un dédommagement comme l'ont obtenu les anciens salariés de Continental, en août dernier.