Vendredi dernier, au TGI de Nanterre, il ne fut pas directement question de la fermeture de l'usine Goodyear d'Amiens nord.
Pourtant le comité central d'entreprise (CCE), majoritairement CGT et défendu par l'avocat Fiodor Rilov, avait assigné l'entreprise Goodyear en référé, pour suspendre la procédure d'information et de consultation qu'elle estimait entachée d'irrégularités. «Nous ne sommes pas ici pour entrer dans un dialogue poli avec la direction mais pour empêcher la fermeture de l'usine», rappelait l'avocat à la sortie de l'audience.
Cette audience prévue depuis deux mois était très attendue par la CGT. «Ça va être un petit régal, promettait Mickaël Wamen, fin avril . Il y a de quoi les faire tomber plus d'une fois».
Ce devait être un énième round du combat juridique que les salariés amiénois mènent depuis cinq ans contre le groupe international pour sauver leurs emplois. Prévue juste avant la fin de la procédure légale qui précède l'annonce effective d'un licenciement collectif, ce rendez-vous était décisif.
Audience reportée, accusations lancées
Vendredi matin, le combat n'a pas eu lieu. À la dernière minute, les salariés ont assigné l'entreprise Titan International aux côtés de Goodyear. Mais l'avocat du groupe américain, ex-candidat à la reprise de l'usine d'Amiens, a demandé un report de l'audience.
Il a estimé qu'ayant reçu les pièces du dossier le matin même, «entre quatre et cinq heures du matin», il n'était pas en mesure de défendre son client. «Je n'ai même pas eu le temps de prévenir mon client en raison du décalage horaire», se défendait-il.
L'audience a donc été reportée au 3 juin prochain. Pendant ce temps, la procédure qui vise à faire fermer l'usine avance un peu plus. Une réunion supplémentaire dite d'information et consultation se tiendra le 28 mai prochain. «Ce n'est pas la dernière, promet la com' de Goodyear. Il y aura une autre réunion en juin».
C'est également en juin que devrait être examinée la proposition de loi des députés socialistes sur la reprise des sites rentables, qui imposerait aux entreprises qui cherchent à fermer un site industriel, de chercher un repreneur. Sans quoi, les salariés pourraient réclamer le versement d'une indemnité maximale de 20 fois la valeur actuelle du Smic, selon Libération.
L'audience n'a pas eu lieu mais la CGT a formulé ses premières accusations. Devant le tribunal de grande instance de Nanterre, Mickaël Wamen a accusé Goodyear d'avoir déjà délocalisé l'activité pneus agricoles d'Amiens nord en dehors de la zone EMEA (Europe Moyen-Orient Afrique), et ce sans en informer les salariés.
C'est la raison pour laquelle Titan était assigné au tribunal vendredi dernier. Selon la CGT, l'entreprise Titan international, qui produit des pneus agricoles Goodyear en Amérique latine et en Amérique du nord, approvisionnerait en ce moment la zone EMEA à la place de l'usine d'Amiens nord.
En effet, dans le schéma défendu par l'entreprise, l'usine française d'Amiens nord est la seule à fournir la zone EMEA en pneus agricoles de type radial (elle fournit également d'autres types de pneus pour cette zone). Et les deux parties s'accordent pour dire qu'elle est la seule dans cette zone à posséder la technologie nécessaire pour produire ces pneus à forte valeur ajoutée .
Or lors de la dernière réunion du comité central d'entreprise Goodyear, le 7 mai dernier, la direction a remis des documents comptables aux élus CGT, qui prouvent, selon le syndicat, que Goodyear importerait déjà des pneus agricoles en zone EMEA depuis un pays tiers. 130 000 pneus par an au total.
Aucune mention n'est faite du type de pneu. Mais la CGT pense savoir que l'usine brésilienne de Titan, qui produit des pneus de type radial en Amérique latine, comme Amiens nord en zone EMEA, travaille déjà à l'export. «Nous avons eu des contacts avec des camarades brésiliens qui nous confirment que l’usine Goodyear de Sao Paulo (...) produit des pneus radiaux destinés à l’export», expliquait la CGT samedi sur son blog. Elle soupçonne Goodyear d'avoir transféré la production de pneus radiaux destinés à la zone EMEA, au Brésil.
Pour la CGT, Goodyear dissimule sa stratégie
La direction a rapidement réagi aux accusations de la CGT dans un communiqué daté du 17 mai, le jour de l'audience. Sa lecture des chiffres n'est pas la même. «Cet écart de 130 000 pneus découle d'achat de pneus, auprès de manufacturiers sous-traitants de pneus agraires à faible valeur ajoutée installés en Turquie et en Israël. Cette catégorie de pneus n'est pas par ailleurs fabriquée par l'usine d'Amiens Nord. Enfin, cette situation est parfaitement connue».
Une réponse qui apparaît incohérente si l'on admet que la Turquie et Israël font bel et bien partie du Moyen-Orient. «C'est la seule réponse que nous ayons à fournir à ce jour», maintient la com' de Goodyear contactée hier par téléphone.
Pour la CGT, Goodyear dissimule sa stratégie. Alors que le groupe clame haut et fort qu'il souhaite se désengager de la production de pneus agricoles dans la zone EMEA en fermant l'usine d'Amiens nord, principal site de production sur la zone, la CGT affirme le contraire.
Pour la CGT, les agriculteurs pourront continuer d'acheter des pneus de tracteur Goodyear pendant encore longtemps. Mickaël Wamen affirmait devant le tribunal que les distributeurs français de pneus agricoles contactés par la CGT disposent de contrats d'approvisionnement avec Goodyear jusqu'en 2015. Pour eux, Goodyear ne se retire pas de la commercialisation en zone EMEA, mais de la production. Goodyear délocaliserait sans le dire.
Sur son usine d'Amiens nord, la direction a répété à l'envi que l'entreprise perdait de l'argent sur l'activité tourisme. Elle explique aujourd'hui que l'activité agricole n'est pas non plus rentable (-20 millions d'euros en 2011, selon la direction).
Pour la CGT, cet atelier est ultra rentable. En 2011, il fournissait 120 000 pneus agricoles par an, sur un marché en croissance. Il n'y aurait aucun intérêt à l'arrêter, si ce n'est pour qu'elle soit réalisée ailleurs dans le monde.
Fin 2010, Goodyear avait essayé de vendre tout son business de pneus agricoles en zone EMEA à l'entreprise Titan international, un spécialiste des pneus agricoles. Il ne s'agissait pas seulement de vendre les usines de production, dont celle d'Amiens nord, mais également le droit de commercialiser la marque Goodyear dans la zone EMEA.
Pour la CGT, Titan était intéressé par la marque Goodyear et ses parts de marché, mais pas par une usine implantée en France. C'est pourquoi, selon eux, Titan ne s'est pas jamais engagé à maintenir l'activité farm sur plus de deux ans à Amiens.
Finalement le deal ne s'est jamais fait. Enfin officiellement.
Pour la CGT, Goodyear aurait conclu un accord secret avec Titan
Fin 2011, Titan avait annoncé n'être définitivement plus acheteur de l'usine d'Amiens nord. Goodyear annonçait quelques semaines plus tard qu'il souhaitait fermer le site.
Pour Fiodor Rilov, l'avocat, Titan n'a pas pour autant renoncé à reprendre le business des pneus agricoles en Europe. Les deux groupes américains auraient même conclu un accord secret «Nous avons des éléments pour prouver que Titan est toujours dans le jeu. Derrière la restructuration, il se passe l'exécution d'un accord consistant au transfert des pneus agraires vendus dans la zone Europe. Titan est très impliqué dans cette affaire», expliquait-il face à la juge, vendredi dernier.
Goodyear ferme-t-il l'usine d'Amiens nord lui-même pour mieux revendre son marché de pneus agricoles en Europe à Titan ?
Pour la CGT, les deux groupes ont simplement changé de stratégie pour opérer un transfert, qui a déjà eu lieu en Amérique du nord (2005) et en Amérique du sud (2011). Et les deux stratégies impliquaient la fermeture de l'usine d'Amiens nord.
Quelle que soit la provenance des importations, la CGT accuse de mensonge une direction qui «affirme depuis le début qu’aucun pneu n’est importé en Europe». Pour Mickaël Wamen, «la délocalisation de l'activité agraire est déjà effective et depuis longtemps. On nous disait que la baisse de production était liée à la conjoncture, c'est faux».
J'étais à Nanterre, vendredi pour assister à l'audience