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Gare-la Vallée: dernier garage avant la friche

Le 06 August 2013
Portrait commentaires
Par Rémi Sanchez

L'enseigne de bois est en partie effacée par le soleil, mais on peut toujours y lire "Motoservice" en lettres capitales. En 1985, lorsque Hervé Chausson ouvre son garage de réparation de deux roues sur la rue de la Vallée à Amiens, il est calé entre les murs des établissements Boulogne, des spécialistes sanitaire et chauffage qui occupaient quasiment tout le pâté de maison.

En 2010, Motoservice passait inaperçu dans un recoin des établissements Boulogne.

Quelques mètres carrés qui suffisent alors au garagiste, qui ne se voit pas grandir en taille. Seul, il répare, vend des pièces détachées et, pendant un temps, se fait concessionnaire pour la marque allemande MZ. Autour de lui quelques cafés, et un voisinage composé d'industries, de sociétés de transports, de constructions. Le quartier est urbain et industriel.

Les établissements Boulogne partis à Longueau, le pâté de maison semble bien vide.

Aujourd'hui, tout a changé. Le commerce est désormais le seul bâtiment qui se dresse encore. Autour, il ne reste plus qu'une friche entourée de barrières métalliques.

D'après ses souvenirs, c'est en 2005 qu'Hervé Chausson entend parler pour la première fois de la Zone d'aménagement concerté (Zac) du quartier Gare-La-Vallée. Dès le début des années 2000, la société d'économie mixte Amiens aménagement (SEMAA) commence à racheter les terrains de la zone pour y mener un projet urbain décidé par la ville d'Amiens.

L'objectif est de faire table rase des vestiges industriels du quartier de la gare. À la place, y construire du logement "dense" et des bureaux, redessiner la zone jusque dans ses rues, ses parcs et espaces publics.

Maison et ateliers doivent être rasés

«Amiens aménagement m'a convoqué. Au premier entretien, ça a été la douche froide», se souvient Hervé Chausson. On lui fait comprendre que la ville souhaite démolir l'ensemble de cet îlot Boulogne. Et que sa maison, comme son atelier, doivent être rasés.

S'ensuivent de nombreux rendez-vous avec les porteurs du projet de Zac. Et une négociation serrée. «Ils ont proposé de me racheter la maison. Mais j'ai fait comprendre, dès le départ, que j'étais opposé au fait de partir. Et dès le départ j'ai précisé que je céderais le garage quand ils m'en donneraient un autre.»

S'il ne se voit pas quitter sa maison, Hervé Chausson céderait son atelier contre un bien équivalent.

Pourquoi cet attachement à sa maison? Hervé Chausson l'explique en quelques mots: «Certains changent de maison comme de chemise, mais moi je suis un sédentaire». Dans cette demeure qu'il habite depuis presque 35 ans, Hervé Chausson a élevé ses trois enfants et construit toute une partie de sa vie. «Et puis, c'est une maison de qualité. Aujourd'hui, quand on fait construire, on n'a que des problèmes.»

Enjoint au départ, Hervé ne baisse pas les bras: à l'époque, il contacte les élus de la métropole, Hubert Henno, Isabelle Griffoin et, plus récemment, Valérie Wadlow. Sans résultat.

Le garagiste persiste

De réunions en réunions, il n'en démord pas devant Amiens aménagement. «Ils me faisaient comprendre que la place d'un garage n'était pas en centre-ville, que je pourrais m'installer plus loin, à Rivery ou à Camon. Mais je ne voulais pas: pour me rendre au travail, je fais quelques mètres à pieds: je ne prends pas ma voiture, je ne pollue pas!»

Il écrit même à l'illustre Paul Chemetov, l'architecte qui supervise le projet Gare-La-Vallée. Le garagiste argumente qu'il ne voit pas l'intérêt à la destruction de sa maison, œuvre architecturale qui, comme une autre, mérite sa place au sein de la Zac. Paul Chemetov, justement, n'est pas un défenseur inconditionnel de la table rase. Il a aussi milité pour intégrer les halles Sernam de l'ingénieur Freyssinet au projet du quartier de la gare.

La maison sauvée

Finalement, Amiens aménagement décide de ne pas déloger Hervé Chausson. «Il apparaissait naturel, sur le plan urbanistique, de ne pas garder cette maison, explique Olivier Broussois, le directeur adjoint de la SEM Amiens aménagement. Mais on prend aussi en considération les situations de terrain. Lorsque des gens ne veulent pas perdre leur bien, les décisions sont prises en concertation avec les responsables.»

À ce moment, aucun projet n'est radicalement modifié par la décision de garder, intacte, la maison de Hervé Chausson. «On en était plutôt à établir des plans de sectorisation de la zone», explique encore le directeur adjoint d'Amiens aménagement.

Amiens aménagement fournit alors des plans et des projets qui intègrent dans la zone la maison du garagiste et d'autres demeures. Le garagiste est rassuré. «Maintenant que j'ai vu le projet définitif, je suis plutôt satisfait. Mis à part les bâtiments de cinq étages prévus à côté de ma maison, j'ai pu voir qu'il y aura une petite cour urbaine de quinze mètres de large, boisée. Je suis tout à fait d'accord avec ce projet, il me convient: ce sera un bel environnement autour de ma maison.»

Une "cour urbaine" s'ouvrira à côté de la maison des Chausson.

Amiens aménagement propose des locaux

Si la question de la maison semble être réglée, dans les grandes lignes, il reste le point noir du garage: où le reloger? Hervé ne veut pas s'éloigner: il a sa clientèle fidèle, qui connaît bien son emplacement. Déménager trop loin pourrait menacer son commerce.

La société d'aménagement fait plusieurs propositions au garagiste. La première, c'est de le reloger en rez-de chaussée, dans les bâtiments qui s'élèveront à la place de son garage. Mais le plafond des constructions modernes est plus bas que dans le garage actuel. Les motos, montées sur le pont mobile d'Hervé Chausson, risqueraient de cogner le plafond. Par ailleurs, la condition est de rester, un temps indéterminé, dans un pré-fabriqué: entre le moment de la destruction de son garage et la reconstruction.

Impensable pour le garagiste: les cambriolages seraient trop aisés. Par ailleurs, le début de la construction des logements est conditionnée à la vente de ceux-ci par le promoteur immobilier. Tant que 50% des logements ne seront pas vendus, rien ne démarrera. Amiens aménagement espère encore commencer les travaux fin 2013.

La seconde proposition, c'était un local qui fait le coin de la rue Duvivier, devant l'entrée de la gare routière. «Mais c'est un local sans volet métallique, sans chauffage, avec l'électricité et la toiture à refaire... Et Amiens aménagement m'a prévenu qu'ils ne verseraient rien pour y faire des travaux», explique Hervé Chausson.

Enfin, on lui propose une maison dont les occupants, un couple retraité, est parti. «Un local mal situé et c'est une maison: il n'y a pas de vitrine». Pas plus satisfaisant pour le garagiste.

Le garage reconstruit à côté de la demeure

Malgré une situation si mal engagée, avec quelques problèmes de communication entre les deux parties, une idée qui avait déjà circulé reparaît. Celle de reconstruire le garage près de la maison. «En août 2012 Amiens aménagement m'a fourni des plans plus précis. Je les ai étudié et j'ai proposé qu'ils reconstruisent le garage juste à côté de ma maison, dans un renfoncement de la future cour urbaine» détaille le garagiste. La SEM accepte tout de suite la proposition.

Après plusieurs années d'inquiétude, la situation semble s'éclaircir pour le garagiste. Même s'il reste, comme toujours, quelques détails à régler. «Ils me proposent de me récupérer ma surface au centimètre carré près. Mais sans l'électricité, sans le comptoir, sans dédommagement pour le déménagement...» Et le garagiste n'entend pas garder ces frais à sa charge.

Dans l'œil du Télescope

Pour aborder le thème de ce quartier en pleine mutation, j'ai décidé de rencontrer ce garagiste qui travaille désormais au milieu d'un grand vide. J'ai pu le rencontrer vendredi 2 août. Les propos de M. Broussois, directeur adjoint d'Amiens aménagement, ont été recueillis ce même jour, par téléphone.

Des vues d'architecte de la Zac sont visibles sur le site d'Amiens aménagement.