«La révolution numérique n’a pas commencé avec les premiers ordinateurs, lesquels remontent aux années 40. Elle est arrivée avec l’ordinateur individuel, qui est apparu dans les années 80 puis par Internet dans les années 90. La clé n’était pas la technologie, mais la démocratisation de cette technologie», expliquait Chris Anderson, le 25 décembre dernier, dans une interview accordée au journal Rue89.
Chris Anderson en 2008 - Credit photo Kris Krüg
Cet ancien rédacteur en chef du magazine américain de nouvelles technologies, Wired, aujourd'hui reconverti dans le business des imprimantes 3D l'affirme: la révolution numérique ne fait que commencer. Après avoir bouleversé l'industrie de l'information (cinéma, musique, presse...), elle va toucher la fabrication des objets simples du quotidien.
«Tout est possible désormais. Du plastique à la céramique en passant par le fer. Pour moi, elle est là, la révolution. Nous pouvons tout faire ou presque grâce aux baisses de prix sur le matériel électronique. Tout comme celui des imprimantes 3D dont les premiers prix tournent autour de 2000 dollars, les scanners 3D ou les machines à découpage laser.»
Exercice de prospective diffusé au musée Disseny Hub de Barcelone en 2010
Ce qu'il prédit, c'est un monde où les particuliers pourraient dessiner des objets chez eux, les scanner ou en télécharger les plans sur internet, et ensuite les fabriquer chez eux à moindre frais.
«Prenons l’exemple de l’imprimerie, explique encore Chris Anderson. À une certaine époque, il fallait passer par des entreprises spécialisées pour réaliser un rapport, des cartes de visite ou des albums de photos. Aujourd’hui, c’est à la portée de tous, depuis chez soi, grâce aux programmes de mise en pages et aux imprimantes couleur, laser ou jet d’encre. La baisse des prix de ces technologies a révolutionné l’industrie de l’impression».
Scanner et imprimer son propre buste, c'est déjà possible
«Dans cinq ans, les imprimantes 3D se vendront dans les grands magasins comme des imprimantes normales», espère Chris Anderson.
Mais nous n'en sommes pas encore là. Les prix des machines numériques ont baissé certes. Certaines imprimantes 3D, à monter soit même, coutent seulement 300 euros comme la Rep Rap. D'autres plus précises, comme l'Ultimaker, également à monter soi-même, coûtent environ 1400 euros. Mais les acheteurs/constructeurs de ces outils, sont rares. Parmi eux, Jean-Baptiste Heren, informaticien amiénois.
Jean-Baptiste Heren aux côtés de son Ultimaker, rue Saint Leu
Avec son acolyte Sébastien Personne, acousticien à l'Université de Compiègne, il veut créer à Amiens un atelier ouvert au grand public et aux entrepreneurs, où tout un chacun pourrait utiliser ces outils de fabrication numérique bon marché. «L'idée, c'est de reprendre confiance en soit, de maîtriser la technique. Chacun peut venir avec son propre projet, et apprendre en le réalisant», explique Jean-Baptiste. Ce lieu, en création, devrait prendre la forme d'un Fab Lab.
Le Fab Lab? Un lieu imaginé aux États-Unis, au célèbre Massachusetts Institute of Technology (MIT), il y a plus de 20 ans. C'est un atelier, comme l'expliquait son créateur, le professeur Neil Gershenfeld, où l'on peut «fabriquer n'importe quoi».
Mais pas n'importe comment, le Fab Lab est aussi un concept, une philosophie. «Les Fab Labs sont un réseau mondial de laboratoires locaux, qui rendent possible l’invention en donnant aux individus accès à des outils de fabrication numérique», explique la charte des Fab Lab. Concrètement, l'atelier doit être ouvert au public au moins un jour par semaine. Pendant cette journée, les utilisateurs doivent consentir à partager les plans des objets qu'ils construisent.
Sébastien Personne nous présente les résultats obtenus grâce à sa première réalisation, un appareil de mesure du son 100% artisanal.
Le mouvement Fab Lab est aujourd'hui mondial. «Les Fab Labs ont conquis les Pays-Bas, s’installent en Norvège, en Angleterre, en Espagne et émergent en 2011 en France», explique Fabien Eychennes chargé de mission de la Fing, dans son rapport sur les Fab Lab, publié en mars 2012. «Encore méconnus du grand public, ils intéressent les bricoleurs, les designers, les ingénieurs, les hackers, les électroniciens, les roboticiens amateurs qui cherchent à réaliser des projets par eux-mêmes ou en collaboration avec d’autres et qui ne peuvent les réaliser chez eux ou dans leur lieu de travail.» Un concept qui a plu à Sébastien et Jean-Baptiste, adeptes de l'open source et de l'open hardware.
«J'ai découvert ça sur le site Owni en 2011», se souvient Jean-Baptiste Heren. Depuis, les deux compères ont créé, rue Saint Leu, une entreprise de services, Etoele, et un petit atelier, Etolab, qui sert de prototype pour leur futur Fab Lab. Actuellement, ils cherchent des locaux plus grands et des partenaires pour monter un atelier digne de ce nom à Amiens.
Adrien, l'un des premiers utilisateurs de l'atelier
Problème, pour l'instant, il n'existe pas de modèle économique autonome pour les Fab Labs. Partout dans le monde, ces ateliers sont adossés à des structures plus importantes, grandes écoles, universités ou collectivités. Les deux fondateurs d'Etolab ont donc besoin de partenaires. Ils ont déjà rencontré la Région, fin 2012, mais sans suite pour l'instant. «On sent qu'il y a de l'envie mais ça prend un peu de temps», explique Jean-Baptiste Heren.
Des idées plein la tête
Sébastien et Jean-Baptiste sont pourtant plein d'espoirs. «Avec les Fab Labs, il y a de nouveaux emplois qui vont voir le jour, assure Sébastien. L'innovation en entreprise, c'est compliqué pour beaucoup de raisons. Ici, tu peux venir développer tes propres projets à moindre coût, rencontrer des gens qui n'ont pas les mêmes connaissances, la même façon de penser que toi. C'est propice à l'innovation.»
D'ailleurs, ensemble, l'informaticien et l'acousticien ont déjà des idées plein la tête. «Nous avons des idées de produits pour faire de la maintenance préventive dans les usines. Lorsqu'une machine tombe en panne, il faut arrêter la chaîne, ça engendre de gros coûts pour l'entreprise. Nous sommes en mesure de créer de outils pour prévenir ces risques...»
Et ils sont prêts à se diversifier pour que cet espace d'innovation et d'apprentissage voie le jour. «Ce que l'on veut, c'est ramener suffisamment d'argent par les prestations pour faire fonctionner un Fab Lab ouvert au public, explique Sébastien. Cela peut passer par des formations, de l'animation, de l'impression 3D.»
Aujourd'hui le marché des impressions 3D pour le grand public existe déjà en France, mais il est émergent. La société Sculpteo, basée en région parisienne, connait par exemple un franc succès avec ses coques d'iPhone personnalisables. «Si tu veux un objet, tu peux facilement le télécharger sur internet, dans des banques de données», explique Jean-Baptise Heren. Une fois téléchargé, n'importe qui peut le modifier à sa guise.
«Tu peux faire des choses hyper simples, par exemple avec le logiciel Sketchup. Et nous, on imprime.» Les premières commandes arrivent déjà. Récemment ils ont reçu une demande d'impression pour un compteur de DeLorean, la voiture du film Retour vers le futur, en 3D! «La seule limite ici, c'est les idées. Tu apprends en fabricant. Tu gagnes en connaissance.»
Un buste en plastique de Yoda: sur internet, c'est devenu le mètre étalon pour mesurer la précision d'une imprimante 3D.
En France les Fab Labs sont déjà largement implantés, et le gouvernement semble décidé à soutenir ce modèle, si l'on en croit ce tweet de la ministre déléguée à l'Économie numérique, Fleur Pellerin, le 9 décembre dernier.
Espérons que ces paroles ne resteront pas lettre morte, et que Sébastien et Jean-Baptiste pourront faire découvrir aux Amiénois les joies du bricolage numérique.