Deux mois, pas un jour de plus. Pour décider de changer de travail ou de région.
C'est la situation que vivent les employés du Simply Market d'Étouvie, cet été, depuis qu'ils ont reçu début juillet le courrier de la Direction des ressources humaines du groupe Auchan.
Un mot d'ordre: tous pour la sauvegarde du supermarché
L'alternative que leur propose la chaîne : s'accommoder d'un déclassement et travailler dans les entrepôts de la ZI Nord ou de la rue de Sully, ou accepter une mutation géographique, selon les possibilités de placement des différents magasins français du groupe. Dans les plans de la direction, pas de place pour la supérette des Coursives. On baisse le rideau le 31 août. Bonne vacance.
Le bras de fer des employés
Tout comme ses collègues de Simply Market, Catherine Bazin, employée commerciale depuis dix-huit ans, sentait le vent tourner. Une prestation qui stagne, qui régresse même, lorsque la direction retire les caddies ou supprime le rayon boucherie en 2006. Des murs vétustes, des fuites d'eau non maîtrisées au milieu du magasin, un aménagement plus que sommaire lorsqu'on le compare à la politique de la maison. Lorsque l'annonce tombe, au début du mois de juillet, certains collègues sont en congés, la mobilisation est difficile.
Mais l'employée, qui est aussi déléguée du personnel, ne baisse pas les bras. Elle contacte les associations du quartier. Avec l'ALQE (Amicale des locataires du quartier d'Étouvie), ils lancent une pétition contre le «lâchage» de la supérette des Coursives. Pour eux le groupe a laissé le magasin se dégrader sans réagir, sans investir, menaçant de priver de commerce de proximité, les 8000 habitants du quartier.
Des manifestations s'organisent dans la galerie des Coursives, gilets jaunes, pancartes et sifflets, et les clients signent de bon cœur. Chacun connaît une personne, une grand-mère, un invalide pour lesquels il serait impossible de faire ses courses dans les supermarchés plus éloignés.
Les élus locaux s'investissent alors dans les manifestations : Claude Chaidron, conseiller général et président de l'association de locataires, Etienne Desjonquères, 1er adjoint au maire d'Amiens ou encore Barbara Pompili, députée fraîchement élue de la deuxième circonscription de la Somme.
Qui est responsable?
Localement un consensus s'est déjà installé ; le Simply doit survivre. Pour l'emploi, pour les habitants du quartier, pour la galerie commerciale, vouée à la mort sans un commerce moteur.
Un pétition circule, habitants et clients signent de bon cœur
Mais la situation est bloquée, la communication avec la direction de plus en plus difficile. Malgré la mobilisation, certains employés fatalistes commencent déjà à se renseigner sur les postes de reclassement proposés par la direction.
Odile Cousin est directrice des ressources humaines et de la communication du groupe Auchan. C'est par elle que la nouvelle est arrivée aux employés. Elle l'affirme: cela fait longtemps que le magasin d'Étouvie est à la traîne. «Depuis 2006, nos indicateurs montraient la régression du magasin: chiffre d'affaires en berne, fréquentation en baisse et un montant d'achat moyen par client qui suivait cette chute.»
Des coupables invoqués? Netto, hard discount, à proximité et Intermarché qui s'est installé route d'Abbeville, à 750 mètres. «Dans la galerie des Coursives, notre magasin n'avait pas de visibilité. Et il faut bien l'avouer, Intermarché est neuf, propre et clair et donne envie d'aller y faire ses courses.»
La direction assure qu'elle a toujours agi dans l'intérêt du magasin: «Cela ne nous fait pas plaisir de fermer un magasin! On a vraiment retardé au maximum ce moment, tenté d'adapter la gamme à la clientèle, d'optimiser les indicateurs.»
Mais rien n'y fait, pour la responsable du groupe Auchan, «Désormais notre objectif est de reclasser, au mieux, les employés.»
Difficile d'avérer la dégradation économique du Simply d'Étouvie. Auchan ne livrera pas ses chiffres : «La politique du groupe Auchan est de ne pas communiquer de chiffres» sur ses magasins, explique-t-elle.
Le groupe, lui, se porte plutôt bien dans son ensemble. Plus de 800 millions de résultat net en 2011. C'est d'ailleurs ce que reprochent les employés et habitants en colère: l'abandon d'un groupe financièrement très puissant. Argument que ne peut accepter Odile Cousin:«On ne peut pas indéfiniment garder un magasin déficitaire.»
En attendant la table ronde
Catherine Bazin, employée et syndicaliste, à la tête des négociations contre la fermeture
Mais Catherine Bazin continue d'y croire.
La déléguée du personnel presse les élus locaux d'organiser cette fameuse table ronde qui pourrait sortir la situation de l'ornière. Mais quelles solutions proposer?
Pour Claude Chaidron, le conseiller général apparenté Front de Gauche, la direction du Simply Market, anciennement Atac, est entièrement responsable de la situation: «Cela fait dix ans que les caddies ont été enlevés, évidemment les gens sont partis ailleurs!»
Il y voit également un problème plus global que la simple baisse de performance du site, la dégradation générale des Coursives: «Les gens ont peur de venir aux Coursives! Cela fait des années que l'on demande une sécurisation: il faut mettre la galerie sous vidéo-surveillance. Mais Atac n'a pas su, ou pas voulu.»
L'ALQE, elle, pense déjà à un après-Simply, à Etouvie. Encore faut-il attirer une nouvelle enseigne. Pour l'amicale aussi, il faut sécuriser les Coursives dans leur ensemble, notamment pour faire baisser les charges de sécurité-incendie qui pèsent très lourdement sur les commerces de la galerie, détenue en co-propriété: Foncia, le syndic, serait bien évidemment invité autour de la table.
Le rôle que pourrait tenir le Conseil général de la Somme dans cette table ronde? Claude Chaidron le reconnaît: rien qui ne soit du ressort des conseillers généraux dans ce dossier.
Le préfet est-il plus compétent sur ce sujet?
A la préfecture, on prévient que le départ de Simply Market, propriétaire des lieux dans une copropriété privée ne regarde en rien les services de l'état.
Incapacité totale à faire évoluer le conflit donc, même s'ils assurent les habitants de leur soutien et souhaitent "amener le poids de l'état dans les réunions."
La mairie en position de négocier?
Problème d'attractivité et de visibilité du Simply?
Etienne Desjonquères est le premier adjoint de la mairie d'Amiens.
Dès la première manifestation, il a rencontré les employés. La mairie a déjà beaucoup fait pour la galerie, par la préemption de locaux commerciaux à l'abandon. Raison pour laquelle on trouve aujourd'hui des annexes des services municipaux au pied des coursives.
Mais de quelle façon la mairie pourrait-elle changer la donne? Rien n'est clair. Si jamais des négociations se tiennent entre la mairie et l'enseigne, du côté de Simply Market, on affirme, jusqu'ici, n'avoir reçu aucune invitation à une table ronde.
Y aura-t-il des portes de sortie pour les employés? Peut-on assurer un commerce de proximité dans cette zone?
Quelques centaines de mètres plus loin, place des Provinces françaises, une supérette doit voir le jour. Mais sa petite taille ne lui permettra pas forcément d'accueillir les 600 à 700 clients journaliers du Simply. Et encore moins de garantir la survie des petits commerces de la galerie.
L'Anru 2? Ce plan de rénovation urbaine financé en partie par l'état est seulement en discussion. Si les Coursives devaient effectivement subir un lifting grâce à ces crédits, ce ne serait pas avant plusieurs années.
Le mois d'août s'annonce difficile du côté d'Étouvie.
Catherine Bazin a eu vent, informellement, de résultats chiffrés pour le magasin d'Etouvie : la direction a annoncé à ses employés des pertes s'élevant à 480 000 € pour l'année 2011.