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Espace travail: quand l'insertion est sous-traitée

Le 12 October 2012
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Georges Vetrino: «C'est la volonté politique qui nous permet de continuer»

«Nous sommes une association mais nous avons les même contraintes qu'une entreprise», explique Ahmed Assal, directeur de l'association à but d'insertion par le travail, Espace travail.

Et plus encore. La vie d'une association n'est pas tous les jours aisée, et le serait d'autant moins sans l'intervention publique. Celle d'Amiens métropole, par exemple, qui inscrit une clause d'insertion dans tous ses chantiers et ceux de l'Opac, l'office HLM qu'elle gère.

Une clause d'insertion? Cela signifie qu'un certain nombre d'heures de travail sont allouées aux entreprises d'insertion. «C'est certain, si les clauses d'insertion étaient supprimées, nous serions en grande difficulté. Peut-être pourrions-nous tenir grâce aux subventions de postes mais il nous faudrait monter au créneau pour demander de favoriser des lots plus petits.»

Ainsi sur le chantier du campus universitaire de la citadelle, 58 000 heures de travail seront des heures d'insertion. Pour cet appel d'offre, Georges Vétrino, président de l'association, est rassuré: certains travaux ont été divisés en petits lots. «On avait travaillé en amont avec la SEM Amiens-aménagement, le maître d'ouvrage, ainsi qu'avec le Plie [Plan local pour l'insertion et l'emploi, ndlr]».

Des petits lots, c'est la possibilité pour une entreprise de petite taille comme Espace travail de pouvoir prendre entièrement en charge une mission.

Quand les entreprises de réinsertion servent de caution «insertion»

Mais ce n'est pas toujours le cas. Lorsque l'allotissement de l'appel d'offre n'est pas adapté aux petites entreprises, Espace travail est parfois réduit à devenir le sous-traitant d'autres entreprises, plus importantes.

Dans cette situation, les relations entre entreprises classiques et entreprises de réinsertion sont bien souvent motivée par la seule clause d'insertion. Les ouvriers recrutés par Espace travail deviennent les cautions «insertion» du chantier, et en récupèrent, en quelque sorte, les miettes, le strict minimum.

«On souffre d'un grand manque de visibilité»

Mais la situation s'aggrave lorsque l'intérim, qui est accepté dans les clauses d'insertion, s'en mêle. Les ouvriers et des CDD de longue durée sont en concurrence directe avec les intérimaires. Précaire contre précaire.

Pour l'association, cela pose des problèmes de gestion: «Nos contrats sont établis au plus juste, on ne peut pas se permettre d'employer des gens lorsqu'on n'a pas de chantier à leur proposer.» Georges Vetrino se souvient qu'en 2010, un creux dans l'activité leur avait coûté très cher, frôlant le dépôt de bilan pour n'avoir pas voulu licencier leurs ouvriers.

Désormais, ils ne font plus cette erreur. «Par exemple, aujourd'hui nos carnets de commande sont pleins jusqu'à novembre, pas plus. Nos CDD et nos CDD d'insertion (CDDI) se terminent donc pour la plupart dans les mois qui viennent, en espérant que l'on pourra les renouveler. Mais on souffre d'un grand manque de visibilité.»

Pourtant l'association aurait besoin de marges de manœuvre, plus qu'une autre entreprise. À Espace travail, on emploie 32 personnes. Parmi ces salariés, vingt-six sont en réinsertion.

Ils réalisent des chantiers de peinture, de nettoyage ou encore d'entretien d'espaces verts. Pour eux, les choses ne vont pas toujours d'elles-mêmes au travail. Lorsqu'ils poussent la porte de l'association de la rue Franklin-Roosevelt, ils sont souvent «éloignés de l'emploi», tels qu'on les définit pudiquement.

Certains n'ont jamais travaillé dans la peinture ou le nettoyage. Voire jamais travaillé auparavant. D'autres peuvent avoir des problèmes de sociabilité, des rapports difficiles avec les hiérarchies, ou auront eu des problèmes avec la justice. «Ces postes nécessitent un encadrement plus important, un suivi de leur apprentissage, on vérifie leurs techniques de recherche d'emploi...», expliquent les responsables.

Bref, l'association a besoin de moyens supplémentaires pour concurrencer les entreprises classiques.

«Parfois nos encadrants techniques ont besoin de rattraper le travail en retard sur le chantier.»

Heureusement, l'association est aidée par le ministère du travail et son représentant, la Direccte (Direction régionale des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi), qui finance des postes appelés «CDDI» ou CDD d'insertion. Un contrat à durée déterminée renouvelé tous les quatre mois pendant deux ans.

Une aide bienvenue, puisque l'association reçoit 9860 euros par an pour chacun de ces CDDI. «Ce n'est pas inutile, l'accompagnement de ces postes nous coûte entre 13 et 14 000 euros» selon les estimations du président.

Cette année, Espace travail est financée pour sept postes d'insertion, grâce à la Direccte. Mais elle doit compter avec les besoins des autres entreprises d'insertion: «Il existe un quota de CDDI pour le département. Nous sommes plusieurs, comme les Astelles ou Ménage service à nous partager les contrats d'insertion.» C'est la Direccte qui a le dernier mot.

«L'an dernier, par exemple, nous n'avions que six contrats d'insertion. Cette année, comme nous avions un regain d'activité, nous avons pu négocier un poste en plus. Il y a de la solidarité entre les entreprises d'insertion!»

Malgré cela, tous les salariés en réinsertion ne sont pas en contrats aidés. «On recrute ces CDD dans la même population que les CDDI, en passant par Pôle Emploi ou encore la mission locale. Ce sont des ouvriers qui ont besoin de plus de temps. Parfois nos encadrants techniques ont besoin de rattraper le travail en retard sur le chantier.»

Un encadrement qui plombe la compétitivité de cette association. Là où une entreprise prend sa marge et fait son bénéfice, Espace travail doit rémunérer ses encadrants. Il est donc rare que la structure puisse rivaliser sur un appel d'offre classique, où elle serait mise en concurrence directe avec toutes les entreprises de son secteur.

Pour fonctionner correctement, l'association bénéficiait jusqu'ici d'une enveloppe de 20 000 euros au titre de la politique de la ville. La moitié de l'État, la moitié d'Amiens métropole. Depuis 2011, l'enveloppe a été réduite à 6500 euros. À elle seule, l'agglomération a retiré 5000 euros. 

Espace travail fait avec. Mais l'équilibre de cette petite association est fragile, à l'image du secteur de l'insertion.

Dans l'œil du Télescope

J'ai rencontré Georges Vetrino et Ahmed Assal dans leurs locaux de la rue Franklin Roosevelt, le mardi 2 octobre. D'autres articles sur les entreprises d'insertion de la métropole suivront.