Un peu de résignation mais pas d'abattement. Voilà les sentiments qui se dégageaient, mercredi soir, des discussions avec les membres de l'association qui gère l'Accueil froid. Cette salle de spectacle, unique en son genre à Amiens, totalement indépendante et autogérée, a été inaugurée en septembre 2011. Un an et demi plus tard, le rideau tombe.
Entre-temps, plus de 250 concerts ont été programmés, et près de 1000 spectateurs différents (beaucoup revenaient régulièrement) sont venus jeter un œil et tendre un oreille dans cette salle pas comme les autres. «On a organisé des festivals qui ont super bien marché, on faisait une centaine de personnes tout le week-end, raconte Romain, musicien et membre fondateur de l'asso. Des soirées de tarés, on en a fait plein !» Un vrai succès, jusqu'à trois spectacles par semaine.
Romain, batteur dans le groupe Headwar et membre fondateur de l'association.
«C'étaient surtout des concerts mais on faisait aussi des pique-niques, des trocantes, des spectacles d'ombres chinoises, de marionnettes, se souvient Marine, musicienne spécialiste d'électro sexy, fan «de chevaux et de violons», et aussi membre de l'association. Un type comme Jean-Louis Costes est venu faire son spectacle, c'était vraiment bien. C'est des trucs qu'on ne peut pas voir ailleurs.» Cet artiste est connu nationalement pour ses «opéras pornos-sociaux».
Le problème à l'Accueil froid, ce n'est pas le succès, c'est le bâtiment. Situé au centre d'activité du Pont de la distillerie, rue d'Abbeville, il n'est pas apparu suffisamment sécurisé aux services de la mairie d'Amiens, qui sont venus à l'automne dernier faire un contrôle. «On nous reproche le système électrique du lieu, le manque de sortie de secours et des extincteurs pas aux normes», égraine Romain. À tout refaire, il y en aurait pour 20 000 euros.
Et même bien plus, selon Étienne Desjonquères, adjoint au maire en charge des association: «Les murs ne sont pas reliés jusqu'à la dalle de béton du plafond, du coup ça ne fait pas coupe-feu. Même chose pour le plafond qui est constitué de briques posées sur une armature métallique. Il faudrait poser un enduit coupe-feu. Il n'y pas eu non plus de diagnostic amiante alors qu'à l'époque de la construction du bâtiment, on mettait pas mal d'amiante dans les sols.» Des travaux qui pourraient faire sévèrement grimper une facture que, de toute façon, l'association n'a pas les moyens de payer.
La mairie a donc été à l'origine d'une fermeture administrative en octobre dernier. Fini les concerts. En tout cas en apparence. Car les portes n'étaient pas scellées. Les associatifs pouvaient toujours y organiser des soirées mais n'avaient pas le droit de le communiquer largement. Interdiction donc de distribuer des flyers ou de faire passer une publication dans la presse. «Du coup, on envoyait l'info par SMS», explique Julien, dit «Furu», membre de l'association et marionnettiste aux Cabotans d'Amiens. Résultats : beaucoup moins de monde recevait l'information. «On se retrouvait à une vingtaine de potes, c'était pas fabuleux», sourit-il.
Maintenir l'ouverture au public en dépit d'une interdiction, ce n'est pas nouveau pour une salle de concert. Comme le rappelait Étienne Desjonquères au micro de Radio Campus Amiens le 29 novembre dernier, la Briqueterie faisait la même chose à ses débuts: «Comme l'Accueil froid, à ses débuts, les ouvertures publiques [de la Briqueterie] étaient systématiquement précédées d'une interdiction d'ouverture signée par le maire de l'époque. Après, la Briqueterie faisait le choix malgré tout de maintenir et d'assumer sa responsabilité. Au moins, la responsabilité du maire était dégagée.» (Écouter l'émission en totalité : passage cité à 31'30)
Il y a quand même une fois où la soirée a dû être annulée à l'Accueil froid. «L'information est parue dans le journal, on n'était pas au courant. Les services de la mairie ont appelé pour dire qu'ils nous envoyaient les flics si on maintenait. Alors, on a déplacé le concert au Grand Wazoo», raconte Claire, musicienne et assistante de communication à la Lune des Pirates.
Claire, guitariste et assistante de communication à la Lune des Pirates.
Les soirées se raréfient tout doucement à l'Accueil froid depuis la fermeture administrative. Les rentrées d'argent aussi. Parce que jusqu'alors, l'association s'en sortait plutôt bien. Pas de quoi se payer des salariés mais juste assez pour faire tenir la baraque. Les entrées, trois à quatre euros, permettent de payer les artistes. Pour l'électricité et le loyer, l'Accueil froid comptait sur son bar. «Un pote nous vendait de la bière pression pas chère, du coup on la fait à 1,5 euro», détaille Claire. Sûrement la bière la moins chère d'Amiens (et pas la moins bonne).
Mais le bar ne suffit pas. Les 18 membres actifs de l'association déboursent une trentaine d'euros par mois pour payer le loyer (500 euros) et l'électricité (150 euros par trimestre) depuis le début de l'aventure en septembre 2011. «Sauf que là, comme il n'y avait plus trop de concerts, certains ne payaient plus. Et on ne flique pas les gens», explique Claire.
«En fait, on a vraiment décidé de fermer mardi, confie Furu. On n'allait pas continuer de payer un loyer pour rien. C'est dommage, on aurait pu programmer des concerts en mars et en avril. On avait plein de demandes de groupes. On va devoir les dispatcher au Grand Wazoo ou ailleurs.»
Mercredi soir, une cinquantaine d'habitués où de curieux avaient eu vent de cette soirée «d'enterrement de l'Accueil froid» et s'étaient déplacés. Histoire de profiter de l'ambiance, une dernière fois. Au menu du spectacle : Dent de lion (beatbox expérimental), Petra Pied de Biche (groove), Locoemotive (blues) et Carte noire (?). Alternatif, on vous dit.
L'Accueil froid n'est plus. Pour le moment. Mais les membres de l'association ont toujours en tête de continuer leur œuvre. Il leur faut désormais trouver un autre local qui soit à la fois suffisamment grand, à l'écart des habitations pour éviter d'importuner le voisinage, et dans des prix raisonnables.
Dès l'automne dernier et la fermeture administrative, la mairie avait promis d'aider à retrouver un lieu. «Ils ont fait semblant un petit moment, et maintenant plus rien!», peste Marine. «On les appelle régulièrement mais en 2013, on n'a toujours pas eu de nouvelles», abonde Julien. Auparavant, l'association avait été reçue par le maire Gilles Demailly et le premier adjoint Étienne Desjonquères.
Plusieurs visites de locaux ont eu lieu dans la foulée. «On a visité avec eux les anciens abattoirs, sur la zone de Montières. Mais c'était un peu cher et ça donnait sur des logements», relate Romain. Un autre lieu a fait l'objet d'une visite du côté de Dury «mais c'était à 3000 euros par mois, vraiment impayable pour nous».
Julien, dit Furu, marionnettiste et co-fondateur de l'association.
De son côté, Étienne Desjonquères assure que la prospection continue du côté des services de la mairie : «J'ai visité quatre locaux. Le maire a également fait des visites, tout comme le service du développement économique. Il y a une quinzaine de jours, j'ai encore vu passer une fiche du service de développement économique qui signalait un local potentiel».
Mais pour le moment, les recherches sont infructueuses : «On a fait le tour des locaux appartenant à la collectivité mais ça n'a rien donné. On a quelques locaux industriels mais ils sont souvent en ruine. On cherche aussi du côté du patrimoine privé, on peut faire l'intermédiaire entre les propriétaires et l'association.»
Pour les membres de l'association, il faut prendre son mal en patience : «Si on trouve dans trois mois, ce sera dans trois mois. On ne va pas faire n'importe quoi, explique calmement Julien. Déjà, on ne pensait pas qu'on resterait si longtemps ici, que ça marcherait aussi bien.»
Les photos portraits sont de Rémi Sanchez.