Antoine Lazarus, président de la section française de l'Observatoire international de le Prison.
Qui peut aider à faire valoir leurs droits à ceux qui ont bafoué les droits des autres? C'est la question que se posait hier soir Antoine Lazarus à Amiens, au cloître Dewailly, à l'invitation de l'association Pourparlers en Picardie.
Antoine Lazarus est professeur de santé publique, ancien médecin de la prison de Fleury-Mérogis (Essonne). Depuis 2012, il est également président de la section française de l'Observatoire international des prisons (OIP). La création de cette ONG en 1990 partait du constat que la prison est un lieu clos, rassemblant les conditions favorables aux violations des droits. Au contact des détenus ou de leurs familles, l'organisation s'est forgée un point de vue éclairé et sans fard des conditions de détention dans les établissements pénitentiaires français.
Mais la tâche n'est pas simple: défendre les droits des détenus recouvre beaucoup de situations différentes, et ces populations ne sont pas les plus averties sur leurs droits.
Dans le contexte du projet de réforme pénale de la ministre de la Justice Christiane Taubira, qui prévoit de supprimer les peines planchers de la récidive et de favoriser les peines sans incarcération, Le Télescope d'Amiens a souhaité interroger le président de l'OIP sur les droits des prisonniers et sur les améliorations de leur condition qui pourraient venir de cette réforme pénale. Entretien.
Le Télescope d'Amiens: Quels sont les droits que votre association tente de défendre?
Antoine Lazarus: La vie en prison est décrite par le code de procédure pénale. Il indique ce qu'il en est des droits, des prises en charge, de l'éducation, de la vie ordinaire... Mais c'est difficile de parler des «droits en prison» de façon générale, car on peut en parler par 1000 angles différents. Il y a les droits par rapport aux procédures pénales, les droits par rapport aux procédures d'hygiène, le droit d'avoir un toit, d'être chauffé, d'être instruit, d'être encadré... En 2012, l'OIP a réédité son guide du prisonnier, qui recense 500 questions sur la vie quotidienne, les procédures de permission, la santé...
La vie en prison est une vie complète. L'objectif de l'OIP c'est de défendre la dignité des détenus, dans tous les aspects de leur vie. Nous nous mobilisons si un détenu ou une famille nous écrit pour nous alerter sur une situation particulière, par exemple: «Nous sommes trop nombreux en cellule».
Comment se fait-il qu'une ONG prenne en charge cette mission? Les détenus ne sont-ils pas en condition de faire valoir leurs droits?
Faire valoir ses droits implique des pré-requis: connaître ses droits, s'en sentir digne, et avoir envie de les défendre. Certains détenus ont fait peu d'études, d'autres sont étrangers et ne comprennent pas notre système. Or, il faut avoir du recul sur soi-même.
Pour certains, c'est le foutoir dans leur tête et ils ne respectent pas grand-chose. Pour faire valoir ses droits, il faut avoir une certaine maturité par rapport aux règles de la République: pourquoi demander à faire respecter la loi si soi-même on n'a pas l'habitude de la respecter? Et, ensuite, il faut savoir comment s'y prendre. Faut-il se tourner vers une assistante sociale? Vers sa famille? Son avocat, si on a encore des contacts avec? Une ONG?
Quand ces conditions sont réunies, il faut que le système - le surveillant, le directeur, le juge d'application des peines - soit prêt à écouter la demande du détenu. Si ces intervenants donnent une réponse positive, il faut enfin que la solution proposée soit appliquée.
Parfois on intervient pour des droits qui n'ont pas encore été clarifiés, et faire apparaître que le détenu ne peut pas les faire valoir puisque le droit est absent. C'est le cas pour le droit du travail en prison, par exemple.
Ces gens qui sont en prison y sont car ils n'ont pas respecté la loi, pas respecté les droits des autres. Pourquoi faudrait-il défendre leurs droits à eux? Il n'est pas simple de faire comprendre notre démarche du respect inconditionnel des droits, quelle que soit la personne, quel que soit ce qui a été commis. C'est la question du respect des droits de l'Homme, de façon générale.
Imaginez que nous fassions une campagne de don pour les enfants orphelins ou handicapés, et qu'ensuite nous fassions une campagne pour les détenus de droit commun en prison. Laquelle récolterait le plus de dons? Laquelle serait la plus populaire? Cette cause n'est pas populaire, ni facile. C'est la raison de la création de la section française de l'OIP en 1996: se mobiliser pour les délinquants ou les criminels, alors qu'Amnesty international se concentre sur les détenus pour des délits d'opinion.
Pourquoi les droits des détenus peuvent-ils être bafoués? Est-ce le système qui est mal organisé?
Il peut y avoir plusieurs raisons. Le droit peut exister sur le papier, mais son mode d'exercice complexe et mal adapté. Par exemple, il y a le rapprochement familial. Les détenus ont le droit d'être emprisonnés dans un établissement proche de leur famille. Mais certains détenus seront souvent déplacés, parce qu'ils sont indisciplinés, parce qu'ils sont soupçonnés d'organiser une évasion, pour qu'ils n'aient pas le temps de monter un coup, pour qu'ils n'aient pas le temps de créer des réseaux ou, simplement, parce que les maisons d'arrêt sont surpeuplées. Donc on fait tourner les détenus.
Le droit du travail, par exemple, est problématique. Les détenus ont le droit de travailler. Mais peu y accèdent. Et les textes de loi sont assez flous. Les concessionnaires extérieurs qui viennent ouvrir un atelier doivent payer 40% du Smic si le rendement est bon. Mais s'ils sont malades, ont-ils droit à des indemnités journalières? Ont-ils des indemnités s'ils ont un accident du travail? Cotisent-ils pour la retraite?
Un autre exemple, c'est le mauvais suivi des traitements médicaux. Par exemple, ce sont des gens à qui on ne donne plus de médicaments depuis leur changement d'établissement pénitentiaire. D'autres fois les détenus se plaignent de fouilles à nu nombreuses, parfois plusieurs fois par jour. La loi dit que sans raison particulière, on ne doit pas le faire. Que faire? On interpelle le directeur d'établissement, ou alors on fait un recours auprès du tribunal administratif ou du Conseil d'État. Enfin, nous pouvons aussi saisir la Cour européenne de justice.
Les études montrent que l'état de santé des prisonniers est souvent mauvais, la prison concentrant des personnes précaires, avec des problèmes de toxicomanie ou de santé mentale. Est-ce pour l'OIP un autre champ d'action?
En effet. Au niveau de la santé, cela fait vingt ans, depuis une loi de 1994, que les systèmes de santé ont quitté les prisons. Ils ne dépendent plus désormais de la pénitentiaire mais de l'hôpital public. Ce qui est mieux, car la pénitentiaire pouvait parfois être juge et partie sur l'état de santé des détenus.
Pourtant tout n'est pas parfait aujourd'hui. La psychiatrie n'est présente qu'aux heures de bureau, les délais d'attente pour des consultations à l'extérieur de la prison peuvent être longs, car il est difficile d'escorter un détenu à l'extérieur. En consultation, pendant l'entretien avec le médecin il peut y avoir des gens qui surveillent ou alors on les laisse menottés. Par la peur de l'évasion ou de la prise d'otage, les détenus sont parfois traités de façon très discriminatoire.
C'est vrai, en Suède, par exemple, 50% de la peine fait l'objet d'une libération provisoire de droit, que le magistrat peut toujours annuler. En France, la loi Taubira envisage de ramener cette portion de liberté à 25% de la peine, ce qui fait déjà débat. Pourtant on sait qu'il vaut mieux faire sortir les détenus avant, dans un dispositif d'obligation de contrôle: les études qui montrent que cela limite la récidive, par rapport à la prison suivie d'une sortie sèche.
Dans certaines prisons, il y a zéro surpopulation. Une cellule pour un détenu, ils vivraient presque comme des citoyens ordinaires, d'autres quartiers avec des cellules pour plusieurs détenus.
Certaines expériences prévoient un ensemble de mesures d'insertion dès la sortie de la prison. Par exemple, trouver un logement, ce qui évite que les détenus se retrouvent perdus, livrés à eux-même à la sortie de la prison.
La contrainte pénale, l'allègement de la peine de prison ferme, vous paraissent de bonnes solutions pour enrayer la récidive?
À l'OIP, nous sommes favorables à la diminution de la durée des peines. Si on compare les chiffres entre 1982 et 2011, il y avait sensiblement le même nombre d'entrées annuelles en prison: 88000 en 2011 contre 80000 en 1982. Mais en 30 ans, la durée moyenne des peines a doublé, en passant de 5,1 mois à 10 mois en 2011. Par conséquent, le nombre de détenus a aussi augmenté, passant de 30000 à 67000, sans compter les bracelets électroniques. C'est dû à la fois au durcissement de la législation, avec les peines planchers, et à la sévérité des jugements. Pourtant le sentiment d'insécurité a continué à augmenter. Alors s'est-on trompé de remède?
Le projet de Christiane Taubira propose 1000 conseillers des Services de pénitentiaire d'insertion et de probation (SPIP), cela vous paraît-il suffisant?
Je ne sais pas vraiment. 1000 créations c'est déjà bien, il faudrait que travailleurs des SPIP n'aient pas à suivre 100 à 120 personnes chacun mais plutôt trente ou quarante personnes.
Comment l'OIP juge-t-il le reste de la prochaine réforme pénale?
Nous sommes favorables à la contrainte pénale [alternative à l'enfermement prévue dans le projet de loi, ndlr.]. Par contre nous regrettons quelques reculs. Par exemple, jusqu'à présent l'aménagement de peine, c'est-à-dire la possibilité de ne pas effectuer sa peine en prison, se faisait pour des peines allant jusqu'à deux ans. Aujourd'hui cela sera rabaissé aux peines d'un an, et aux peines de six mois pour les récidivistes. Par ailleurs, la réforme ne touche pas à la rétention de sûreté. Mais je ne suis pas étonné, la gauche au pouvoir est sévère. Lors du premier septennat de Mitterrand, le nombre de détenus avait grimpé.
Enfin, nous sommes en désaccord sur la construction de nouvelles prisons. Pour nous l'argent qu'on y met, c'est de l'argent qui ne va pas à la probation et à la prévention de la récidive.