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Droit de vote des étrangers: «Remobiliser la droite humaniste»

Le 28 January 2013
Entretien commentaires
Par Mathieu Robert

Les Amiénois sont en avance. Deux mois avant la tenue du dixième Forum social mondial à Tunis, qui se veut une alternative au Forum Economique mondial, une dizaine d'organisations samariennes, associations (Attac, Ligue des droits de l'homme, Association des tunisiens de France...) ou syndicats (CGT, FSU, Solidaires), ont organisé leur propre Forum social local à Amiens, samedi au Square Friant. Au programme: débats, expositions, chansons. 

Les Amiénois étaient peut-être aussi en avance en décembre 1987, lorsqu'ils nommèrent, comme l'avaient fait avant eux quelques villes de la banlieue parisienne, des conseillers municipaux associés étrangers. Ces derniers participaient aux commissions et conseils municipaux et donnaient des avis consultatifs.

Sous la municipalité de René Lamps (PCF), qui a mis en place ce dispositif, Bernard Delemotte était conseiller municipal (PSU), délégué aux droits des immigrés. En septembre 2011, il a quitté son poste de conseiller municipal (Europe-Écologie-Les-Verts) de la majorité de Gilles Demailly. Aujourd'hui, il milite toujours au sein de l'Association de soutien à l'expression des communautés d'Amiens (Aseca), fondée en 1983 et dont il est le secrétaire.

 


Bernard Delemotte dans les couloirs du Forum social Amiens Picardie

Bernard Delemotte est en ce moment le relai local du collectif national «Droit de vote 2014». Le Télescope l'a rencontré samedi matin, à la suite de son intervention au Forum social Amiens Picardie pour en savoir plus sur le combat mené par ce collectif.

 

Le Télescope d'Amiens : Comment est né ce collectif national «Droit de vote 2014»?

Bernard Delemotte: Il est né en décembre dernier, prenant la suite du Collectif pour une votation citoyenne, et d'autres collectifs qui existent depuis vingt ans sur ce sujet. La particularité de cette nouvelle structure, c'est que l'association SOS Racisme et le Cofracir [Conseil français de la citoyenneté de résidence, ndlr] ont rejoint la centaine d'associations déjà membres.

À Amiens, les premières réunions ont eu lieu en janvier. Notre but, c'est de lancer une mobilisation nationale, dans les trois mois, autour du droit de vote des étrangers extra-communautaires aux élections locales. Nous faisons signer une pétition, qui sera adressée au Président de la république, en mars.

Il y a une position particulière à Amiens sur ce sujet. Rappelons qu'il y a un an et demi, le conseil municipal avait voté un vœu, à l'unanimité, pour le droit de vote des résidents étrangers aux élections locales. Cela fait suite à l'expérience des conseillers municipaux associés, en décembre 1987. Nous sommes reconnus, en la matière, comme une ville pilote.

Pourquoi 2014 ?

Si aucune décision n'est prise rapidement, c'est râpé ! Il faut lancer le processus dans les trois mois, avant les grandes vacances. Sinon, le droit ne pourra pas être effectif pour les prochaines municipales de mars 2014.

Vous allez prochainement rencontrer la centriste Brigitte Fouré pour la rallier à votre mouvement. Pourquoi elle?

Nous sommes aussi en contact avec les secrétariat du sénateur Marcel Deneux et du député Stéphane Demilly. Mais Brigitte Fouré est influente dans son groupe politique. Notre but, c'est aussi de toucher, à travers elle, Gilles de Robien. Même s'il n'est plus présent dans le débat politique, il est influent et nous savons qu'il s'était déjà positionné en 2000, en faveur du vote des étrangers aux élections locales. Nous voulons qu'il prenne à nouveau position dans le débat public.

Notre but n'est pas de convaincre la gauche, mais de remobiliser la droite humaniste sur cette question.

Comment les convaincre ?

Ils peuvent entendre que c'est un problème de démocratie et d'égalité avec les autres citoyens, qu'il n'est pas normal qu'un Algérien qui vit ici depuis trente ans n'ait pas le droit de voter aux municipales, alors qu'un Allemand qui est là depuis trois mois, lui, peut voter. Quelque part, ils sont moins étrangers, surtout lorsqu'il s'agit de savoir où l'on veut construire la prochaine piscine municipale ou le centre culturel.

C'est jouable, mais c'est pas gagné. Il y a eu un changement ces derniers mois. L'UMP a rejoint les positions de l’extrême droite sur la question des étrangers. Nous espérons qu'une partie de cette droite, plutôt humaniste, revienne sur ses positions antérieures à la campagne présidentielle.

Vous dites que le gouvernement doit prendre le risque de soumettre une proposition de loi, même si toutes les conditions ne sont pas aujourd'hui réunies.

Oui, rappelons que c'est une de leurs promesses électorales.

Pour cela, il faudrait modifier la Constitution, ce qui nécessite d'abord un vote identique du Sénat et de l'Assemblée nationale, puis un vote aux trois cinquièmes de tous les parlementaires, députés et sénateurs, réunis en congrès. Actuellement, il manque quelques voix. Il faudrait qu'une partie du centre ou de la droite, vote pour ou s'abstienne.

Pour mémoire, le droit de vote des femmes a été refusé plusieurs fois par le Sénat, dans l'entre-deux-guerres. Depuis les dernières élections, une partie des centristes comme Borloo n'osent plus dire qu'ils sont pour le droit de vote des étrangers. Ils disent que ce n'est pas la priorité. Ça explique en partie la reculade du gouvernement, mais ça ne l'excuse pas.

La deuxième possibilité qui s'offre au président, c'est de lancer un référendum.

Est-ce que ce n'est pas la voie la plus risquée?

S'il y a un référendum, nous ne sommes pas sûrs de gagner. Nous avons besoin d'un peu de soutien de la droite classique.

Mon association, l'Aseca [Association de soutien à l' expression des communautés d'Amiens, ndlr], organise un sondage chaque année depuis 18 ans sur le vote des étrangers aux élections locales. Il y a quinze ans, seulement un tiers des sondés étaient favorable. Puis il y a eu un changement dans l'opinion. C'est une question très liée à l'opinion sur l'immigration en général et à la question des sans-papiers.

Après l'évacuation de l'église Saint-Bernard, l'opinion avait un peu basculé. Depuis douze ans, nous étions à 50/50. En octobre 2011, notre dernier sondage, il y avait même 59% d'opinions favorables. Mais en septembre 2012, d'autres sondages ont montré qu'il y avait eu un recul dans l'opinion. Dans Le Monde, on apprenait que 70% des Français trouvaient qu'il y avait trop d'étrangers en France.

Pourtant, chez certains de nos voisins européens le droit de vote des étrangers est acquis et ne fait plus débat.

Oui, en Belgique, en octobre 2012, ont eu lieu les deuxièmes élections municipales avec vote des étrangers. C'est devenu banal. Les pays qui ont adopté ce principe ne reviennent pas dessus. C'est un acquis démocratique. Lorsqu'il y a un revirement politique, ils utilisent plutôt le durcissement de l'accès à la nationalité.

Le vote des étrangers aux élections locales est un problème de démocratie, il s'agit de leur redonner la citoyenneté de résidence. Si les étrangers de plus de 18 ans pouvaient voter, cela ne représenterait qu'une augmentation de 4,5% du corps électoral.