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«Deux jeunes penauds» devant les feux de la nouvelle année

Le 10 January 2013
Au tribunal commentaires
Par Rémi Sanchez

Ils sont deux jeunes hommes, de 20 et 21 ans, dans le box des accusés. "Caucasiens" comme on dit, pudiquement. De corpulence faible, l'air un peu désorientés devant l'appareil judiciaire. M. le président, les lambris de la salle ou les robes des magistrats, peut-être, tout cela doit être assez nouveau pour eux. Et, surtout, ils sortent de deux jours de réclusion à la maison d'arrêt d'Amiens.

La nuit du réveillon, plusieurs feux de poubelle se déclarent près du croisement des rues Denis-Cordonnier et Roger-Onfray. Les pompiers interviennent à plusieurs reprises pour éteindre les containers en plastique. Prévenus que, depuis plusieurs heures, des feux se déclarent, des policiers patrouillent dans le quartier St-Pierre.

Brûler une poubelle en pantoufles

À 5h30, ils aperçoivent un individu qui semble faire le guet, rue Denis-Cordonnier, un deuxième semble mettre le feu à une poubelle. En s'apercevant de la présence des policiers, l'un des deux s'engouffre dans une maison, et l'autre tente de s'enfuir. Il est en pantoufles. Celui-ci est rattrapé, le premier est identifié dans la maison, même s'il a légèrement changé d'apparence vestimentaire.

Voilà pour le rapport de police. Après cet épisode, les jeunes ont été emmenés, probablement d'abord en garde à vue pour en apprendre plus sur leur soirée. Puis transférés à la maison d'arrêt. Avant d'arriver, escorte bleue et menottes au poignet, dans ce box transparent.

À l'interrogatoire, ils se sont expliqués. En parallèle de leur réveillon, les deux beaux-frères sortaient à la rue pour fumer une cigarette. Leur vient l'idée de faire brûler une poubelle. L'un incendie, l'autre fait le guet. Le jeu leur plaît, et ils redescendent à plusieurs reprises, entre deux heures et cinq heures trente, pour incendier cinq poubelles, selon le même protocole. Il y avait l'alcool, mais à peine 0,5mg/l d'air lors du relevé, soit 1g/l de sang.

«Ce que je me demande, c'est pourquoi après la première poubelle, vous redescendez pour mettre le feu à une autre poubelle! Et vous? Vous restez sans réaction?» Lorsque le président, Mikaël Simoens, les questionne sur le déroulement des faits, sur leurs motivations, les deux jeunes gens bafouillent, s'étranglent dans leurs explications, bredouillent leur incompréhension et leurs excuses. «J'aurais dû le forcer à rester chez ma sœur» avance l'accusé, avec l'air de l'élève qui espère donner la bonne réponse à une leçon qu'il n'a pas comprise.

Dix ans de prison

Parmi le public de cet après-midi de comparutions immédiates, quelques membres de leur famille, visiblement. Dont deux jeunes filles, leurs deux petites amies, enceintes. Leurs regards se portent, avec inquiétude, vers la cour. «Ce n'est pas une petite bêtise, dans une société on ne peut pas tolérer que des gens mettent le feu à n'importe quoi, explique le président, vous savez que vous encourrez dix ans de prison?»

Ce soir-là, dans le quartier, plus d'une dizaine de poubelles ont brûlé, et quatre voitures, à quelques centaines de mètres, dans le quartier d'Amiens nord. Mais le tribunal retiendra que les versions des jeunes hommes devant la police ont été cohérentes, et seuls les cinq départs de feu avoués leur seront crédités.

Mais le procureur n'est pas satisfait: «On a devant nous deux jeunes penauds, qui nous disent qu'ils ne comprennent pas ce qu'ils ont fait». Ils seraient des «asociaux», pour avoir chacun un délit routier inscrit au casier judiciaire. Les deux jeunes gens acquiescent, le regard qui se perd sous le parquet.

Ils «n'ont pas intégré les règles du vivre-ensemble», «ils s'amusent devoir les pompiers éteindre leurs incendies, [...] vous jouez avec des institutions et, si vous n'aviez pas été interpellés, aujourd'hui vous vous en vanteriez»

«Vous ne serez pas les meneurs»

«Si vous retournez en maison d'arrêt, vu vos profils, je suis à peu près sûr que vous ne serez pas les meneurs», semble s'amuser le procureur. Il requiert, pour chacun d'entre eux, six mois de prison avec sursis, l'obligation de soins contre l'alcool et le remboursement de la victime - Amiens métropole.

Amers regrets

Leur avocate fera valoir qu'ils sont intégrés, l'un est agent d'entretien, l'autre recherche un emploi depuis peu. Chacun a, à sa charge, une petite amie enceinte et ramène l'argent du foyer. Les deux «regrettent amèrement», il faut donc que cette condamnation ait un sens, la prison ne leur apporterait rien, semble signifier l'avocate, probablement surprise que le procureur n'ait pas demandé de prison ferme.

Après que la cour leur eut rappelé leur faute, après qu'un examen de personnalité peu élogieux fut lu par le président, que le procureur et l'avocat de la défense se furent exprimés, le président laissa la parole aux deux jeunes, pour un dernier mot avant que la cour ne statue sur leur cas. «Je tiens à m'excuser pour les dégâts» murmure le premier en essayant de soutenir les regards des juges. «De même, emboîte le second, veuillez nous excuser pour ce qu'on a fait». L'expression est laborieuse, maladroite

L'attente du jugement

L'audience est levée, et une attente d'une dizaine de minutes attend les deux accusés. Ils restent assis, dans le box, n'échangent pas une parole, esquissent des regards vers leurs proches.

Derrière eux, les policiers qui les ont escortés discutent, plaisantent à voix basse pour ne pas troubler la tranquillité de la salle d'audience, se mordent les joues quand l'avocate vient donner une dernière leçon, des dernières consignes aux accusés.

La cour réapparaît dans la salle. Pour cette aventure insensée et grotesque, ces incendies alcoolisés en pantoufles au milieu de la nuit, le juge tranche: les jeunes hommes écoperont de la peine requise par le procureur, six mois avec sursis, mise à l'épreuve et obligation de soins, auxquels le magistrat ajoute l'obligation de travailler ou de chercher du travail. «Si vous remplissez bien les conditions et que vous vous présentez aux rendez-vous du contrôle judiciaire, dans deux ans vous n'entendrez plus parler de nous» promet le juge, pédagogue.