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Des écolos ouvrent leur boîte à idées participative

Le 15 March 2013
Article commentaires
Par Fabien Dorémus

C'est peut-être un événement important des prochaines municipales. Hier soir, Amiens – La Fabrique a été lancé sur la toile. Ce site internet propose aux Amiénois de débattre de l'avenir de la ville, de sa métropole, voire plus. Conçu dans l'optique de jouer un rôle pendant les prochaines élections locales, Amiens – La Fabrique devrait pourtant survivre à ce scrutin. À terme, il pourrait devenir une espèce d'observatoire de la ville. C'est en tout cas ce qu'envisagent ses concepteurs.

À l'origine du projet, on retrouve surtout d'anciens militants d'Europe-Écologie-Les-Verts (EELV). «Des ex-Verts qui ont malheureusement quitté le parti mais qui ne laissent pas tomber», résume Jean-François Vasseur, conseiller municipal et vice-président métropolitain chargé du développement économique. Des «ex» mais pas seulement. «L'exemple typique, c'est Jean-Pierre Tétu, il est toujours impliqué dans le parti et a participé à toutes les réunions avec nous. On ne fait pas d'exclusive.»

«Des propositions concrètes»

L'intéressé confirme: «J'ai été invité à rejoindre le groupe, explique Jean-Pierre Tétu. Je suis membre d'EELV mais dans La Fabrique je ne représente pas mon parti. Pour moi, c'est une forme de participation citoyenne dans un format nouveau. Je crois que ça peut réconcilier les citoyens avec la politique. C'est un espace dans lequel chacun peut laisser libre court à son imagination, à ses utopies réalistes. Il appartiendra ensuite au politique de se saisir de cette démarche citoyenne.»

L'association Une ambition pour Amiens-La Fabrique serait composée d'une vingtaine de personnes à l'heure actuelle. Des écolos mais aussi «des gens totalement extérieurs, des contributeurs que je ne connais même pas», indique Jean-François Vasseur.



Émilie Thérouin et Jean-François Vasseur.

Le principe du site est de faire appel à des contributeurs variés, qui n'ont pas besoin d'adhérer à l'association pour participer. Il suffit, pour s'inscrire, de faire une demande en ligne et de spécifier de quel sujet on veut parler. Les sujets seront répartis dans cinq thématiques: Mieux vivre (solidarités, sport, culture, éducation), Développement (commerce, économie, emploi, insertion), Démocratie (gouvernance locale, communication), Territoires (urbanisme, logement, transport), et Ville numérique (qui concerne «tous les usages du numérique»).

«Il faut que l'idée que l'on propose sur le site soit déclinable en quelques propositions concrètes, explique Émilie Thérouin, membre fondatrice de l'association et adjointe au maire d'Amiens en charge de la sécurité. Il faut indiquer le contexte local, les enjeux mais ne surtout pas faire d'attaque ad hominem. On veut un débat respectueux.» Les contributions des internautes seront relues par les modérateurs du site avant publication.

Une charte à respecter, c'est tout

Les contributeurs, s'ils veulent être publiés, devront respecter la charte de La Fabrique, qui stipule entre autre le respect de «valeurs humanistes, républicaines et progressistes» donc le rejet de toutes «provocations racistes, homophobes, sexistes ou autres». Les responsables du site l'assurent, la publication des contributions ne dépendra que du respect de cette charte.

«La Fabrique n'est pas un parti politique», clame Émilie Thérouin. Dans la page de présentation du site, il est expliqué qu'Amiens – La Fabrique veut «clairement influencer les politiques publiques territoriales et reconstruire de l’idéologie, en lieu et place du dogme». Qu'est-ce que ça veut dire? «On veut recréer une idéologie non pas à partir d'un Petit livre rouge – ou vert- mais grâce au brassage des idées. On est de centre gauche, c'est notre socle de base.»

Un wikipedia local

Ensuite, ce sont les contributeurs qui donneront, en quelque sorte, la ligne politique du site. Avec la possibilité de rencontrer des contributions totalement contradictoires, promet-on. «On va publier bientôt un texte expliquant qu'il faut arrêter les travaux à la Citadelle, confie Émilie Thérouin. Mais si on a une contribution qui donne des arguments opposés, on la publiera sans problème.»

À terme, le site «devrait devenir comme une sorte de wikipédia local dans lequel on aura une construction collective des propositions, en toute transparence», espère-t-elle. «Ce qui compte avant tout c'est d'argumenter, d'étayer. On veut surtout s'affranchir des concepts et des dogmes.»



Les contributeurs pourront écrire sous pseudonyme.

À propos justement de dogmes, l'adjointe à la sécurité est souvent pointée du doigt par la droite sur la question de la vidéosurveillance. Alain Gest et Benoît Mercuzot (UMP), candidats à la candidature à droite pour prendre le fauteuil de Gilles Demailly, ont tous deux expliqué que le refus de la municipalité d'augmenter le nombre de caméras de vidéosurveillance dans la ville était avant tout motivée par un dogme libertaire.

L'adjointe à la sécurité balaye en bloc: «Ce sont souvent les nouveaux candidats qui débarquent sur Amiens qui disent ça. Ils ne sont pas habitués à mes interventions en conseil municipal. Mes arguments à ce sujet ont toujours été l'efficacité et le pragmatisme. Je fais en sorte qu'on utilise l'argent public à bon escient. Je ne dis jamais que la vidéosurveillance c'est mal parce que ça porte atteinte aux libertés publiques. Ce n'est pas mon argumentation.»

«Agiter le bocal» de la gauche amiénoise

Lancer le site Amiens – La Fabrique, c'est aussi «essayer d'agiter le bocal» de la gauche amiénoise, selon l'expression de Jean-François Vasseur. «Des primaires à gauche auraient facilité les choses», reconnaît-il. Mais on n'en prend visiblement pas le chemin. «En face d'une droite caricaturale, on a une gauche atone, passive, qui attend que la fumée blanche sorte de l'Hôtel-de-Ville», ironise Émilie Thérouin, faisant allusion à la décision de Gilles Demailly de se représenter ou non en 2014. Une décision qui ne devrait pas advenir avant l'automne. «Si on ne fait rien, on va se retrouver avec un programme à minima. Avec le site, on veut aussi mettre un coup de pied aux fesses de la gauche.»

Pour Jean-François Vasseur, la stratégie actuelle de la gauche municipale est mauvaise. «Les partis ne peuvent pas taper trop fort sur le gouvernement de gauche, alors ils vont attendre le mois de novembre pour dire «Amiens est menacée par le retour de la droite, unissons-nous ». Ils feront une liste avec les appareils politiques en mettant en avant la Citadelle et le tramway. C'est une erreur à mon avis.»

«Combattre la non réflexion»

Une autre mauvaise stratégie, selon l'élu, serait de trop en promettre aux électeurs. «D'une manière générale, la capacité d'écoute aux promesses est très faible. Les municipales se feront sur la crédibilité et la confiance.» Avec le site participatif, Jean-François Vasseur espère «combattre la non réflexion.»

On a évoqué plus haut la proposition d'arrêter le chantier de la Citadelle, mais d'autres propositions iconoclastes sont dans les tuyaux d'Amiens – La Fabrique. Comme la vente par la Ville de l'hippodrome et du stade de la Licorne afin de faire des économies. Ou encore de présenter lors des élections un «ticket» paritaire, un duo maire d'Amiens et président(e) d'Amiens métropole, des fonctions qui ne seraient alors plus occupées par la même personne, comme c'est actuellement le cas. De quoi alimenter les débats.

Dans l'œil du Télescope

Pour écrire cet article, j'ai d'abord rencontré Émilie Thérouin mardi matin. Ce même jour j'ai pu consulter une version (non encore achevée) du site puis interviewer à nouveau l'élue l'après-midi par téléphone. Le lendemain j'ai rencontré Jean-François Vasseur en mairie. Puis nous avons organisé une rencontre pour la séance photo. J'ai contacté Jean-Pierre Tétu par téléphone hier soir.